Sur le site Internet de la Société anthroposophique française, élégamment formalisé par notre ami Louis Defèche, on peut lire un article d'Alain Tessier répondant aux critiques violentes adressées publiquement à l'anthroposophie, notamment en France: il pose la question de savoir comment défendre Rudolf Steiner et sa philosophie, laquelle était située, par lui-même, entre la thésosophie et l'anthropologie (voir Défendre l'anthroposophie et Rudolf Steiner, in Société Anthroposophique en France).
Alain Tessier confesse qu'il est difficile de défendre l'anthroposophie parce qu'elle est très variée. Il énonce essentiellement une série de valeurs éthiques avec lesquelles je suis bien sûr d'accord: la dignité, la liberté de pensée, de croire ou ne pas croire, d’aimer, de s’exprimer, de chercher des voies inédites pour le futur des hommes et de la Terre, la liberté de s’associer avec tous ceux qui poursuivent des buts similaires, tout cela dans le respect des diversités et des lois générales. C'est ce qu'on pourrait appeler une forme de spiritualité laïque, et j'aime que l'anthroposophie défende de telles valeurs.
Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas forcément sa spécificité, car sinon elle se confondrait assez avec les associations humanistes en général, pour ne pas être constamment critiquée par les philosophes rationalistes.
De fait, l'anthroposophie a pour profonde spécificité de chercher la source spirituelle des valeurs morales: de sonder l'Inconnu pour y trouver les forces organisatrices de l'univers, et de les reconnaître comme émanant de l'amour divin. En d'autres termes, elle considère que toute valeur éthique, quelle qu'elle soit, a sa source dans l'ordre secret du cosmos - dans l'action divine! Elle considère qu'il est dangereux pour l'humanité et son avenir non seulement d'avoir des valeurs morales mauvaises, mais aussi de ne pas fonder les bonnes dans l'organisation générale de l'univers.
Car si d'un côté on dit que l'être humain, notamment dans le cadre national, doit épouser des valeurs nobles, mais que de l'autre côté l'univers est mû par des forces indifférentes, ou même mauvaises, qui écraseront ces valeurs nobles et jusqu'aux communautés sur lesquelles elles sont fondées, qu'arrivera-t-il? La vérité est que l'individu ne fera pas l'effort de suivre des injonctions morales illusoires - qu'il laissera aux autres -, mais agira selon ce qu'il a compris comme étant objectivement le plus efficace. La civilisation n'en sera donc pas moins ruinée.
Il est important que l'univers lui-même soit moral, afin que l'action morale soit fondée dans la réalité cosmique, c'est à dire soit scientifiquement fondée: d'où l'expression de science de l'esprit.
Mais dès lors se posent des problèmes nouveaux, puisque les philosophes rationalistes dans leur majorité soit disent que l'univers n'a aucune force morale particulière en lui, soit disent que s'il en a un on ne peut pas le connaître; donc ils s'en prennent à ceux qui disent le contraire, surtout s'ils ont un certain succès auprès du public, comme c'est le cas de Rudolf Steiner.
C'était le sacrifice qu'il devait faire, car malheureusement le raisonnement est juste: l'homme n'agira moralement que si cela correspond à des forces réellement agissantes dans l'univers, et destinées par conséquent à dominer les phénomènes. Si les phénomènes sont dominés par d'autres forces, on pourra toujours parler dans l'abstrait, au moment d'agir on ne pourra pas se résoudre à suivre des principes dont on croit qu'ils ne sont les lubies illusoires d'une communauté donnée. On agira selon ces autres forces, inéluctablement.
C'est donc cela, l'anthroposophie, le fondement de l'éthique par la science de l'esprit de l'univers, l'exploration du sens caché des choses. Cela ne plaît pas à tout le monde, car cela fait un peu peur. En effet, quand on agit mal, on veut croire que cela n'aura pas de conséquences réelles, et le fait est que Rudolf Steiner s'efforce de démontrer le contraire. C'est plutôt fâcheux.
Il y a aussi bien sûr les fonctionnaires qui voulant garder le privilège d'énoncer ce qui est bien et mal essaient de faire apparaître l'État comme la seule instance morale possible. Ils en profitent sans doute, si l'illusion fonctionne; mais qui peut croire, sur le long terme, qu'un État puisse s'imposer à l'Infini? Cela ne tient pas debout. Il faut donc forcément aller plus loin, comme le voulait Steiner.
Ensuite chacun est libre de contester ses idées, ou sa démarche. Mais se mettre en colère contre lui n'est pas très conforme aux valeurs éthiques de la liberté de conscience et d'expression.
Il faudrait du reste admettre que l'univers a lui-même une conscience libre, pour être certain d'avoir envie de respecter la liberté de conscience aussi chez l'être humain.
Cela tourne à l'intérieur de soi; cela a de la logique; c'est ce qui est beau.
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