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 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • « Il n'est donc pas si simple d'avancer des exigences sociales, car la plupart de ceux qui les profèrent n'ont pas du tout conscience à quel point l'antisocialisme est profondément ancré dans la nature humaine. Et surtout, l'être humain n'est pas disposé à reconnaître pareille chose sur lui- même. Cela lui serait plus facile s'il admettait tout bonnement qu'il n'est pas seul à être dans ce cas, mais que c'est quelque chose qu'il partage avec tous les hommes. Hélas, tout être humain, même s'il admet qu'en général l'être humain en tant que penseur est un être antisocial, tout être humain forme en secret un soupçon de réserve pour lui-même : Oui, mais moi, je suis une exception. Même s'il ne se l'avoue pas complètement, il a toujours dans la conscience un petit peu de ce : Je suis l'exception, ce sont les autres qui sont antisociaux en tant que penseurs. »
    Dornach, 6 décembre 1918 – GA186

    Rudolf Steiner
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L’image de Christian Clement sur l’investigation de l’esprit chez Rudolf Steiner

La reconnaissance de l'enfant par l'adulte
Par Frank Linde

Enseignant et pédagogue

Traduction : Daniel Kmiecik - Document PDF source (= traduction de Daniel Kmiecik)
Source : Les traductions de Daniel Kmiecik − www.triarticulation.fr/AtelierTrad


 

Note de la rédaction : l’article ci-dessous de Frank Linde concerne un ouvrage qui fait l’objet de controverses et d’impacts particulièrement importants, non sans raisons, au sein du mouvement anthroposophique. Il porte aussi sur des formes d’incompréhension profondes de certains aspects essentiels de l’anthroposophie. Ceci est bizarrement encore très peu connu en francophonie. 

L’ouvrage dont il est question est la SKA : « Rudolf Steiner. Schriften. Kritische Ausgabe ». Cette SKA, édition critique des écrits de Rudolf Steiner, est publiée par frommann-holzboog Verlag et commentée par Christian Clement[1]. La SKA comprend en 2022 8 volumes. 8 autres volumes sont en préparation. La distribution s'effectue en coopération avec la maison d'édition Rudolf Steiner Verlag située à Dornach.

Cette « édition critique » fait donc à la fois l’objet de maints soutiens de la part d’anthroposophes qui y voient notamment la base en vue d’un examen scientifique-académique de l'anthroposophie, et de critiques sévères (ainsi que nombre de démissions de la Société anthroposophique…).

Dans son article ci-dessous, s’appuyant sur les commentaires de Christian Clement dans le volume 7 de la SKA, Frank Linde montre que Clement ramène l’ésotérisme anthroposophique à une « représentation imagée de conceptions philosophiques ». Dans le fond, Clement en vient à considérer que les mondes spirituels que décrit Rudolf Steiner dans d’innombrables conférences et ouvrages et dont l’être humain peut entre autres commencer à faire l’expérience dans des Imaginations, sont simplement inexistants. «Le seul et unique être, que rencontre l’être humain dans la méditation, est finalement, selon Steiner, l’élément propre et certes à la fois individuel-personnel et universel-absolu». Précisons ici que ce n'est pas "selon Steiner", mais bien selon Clement (il s’agit d’une des citations de Clement) ! 

Quand on est à ce point éloigné de la compréhension de textes, pour lesquels il suffit simplement de savoir lire, ne devrait-on pas s’abstenir de mener des activités scientifiques quelconques? Ce qui est bien plus inquiétant encore, est qu’apparemment de trop nombreux «anthroposophes» ni voient que du feu et soutiennent des propos qui constituent des falsifications tellement évidentes de la recherche menée par Rudolf Steiner.

L'article de Frank Linde constitue aussi une invitation à entrer bien plus en profondeur dans la compréhension des exercices spirituels imaginatifs mentionnés par Rudolf Steiner, ainsi qu'à distinguer clairement et notamment hallucinations, visualisations et Imaginations. En ce sens, il constitue une contribution précieuse en vue de l'approfondissement de l'anthroposophie.

Pour mieux comprendre les liens qui existent entre imagination pathologique (hallucination), imagination créatrice (celle des enfants ou de l’acte artistique = fantaisie) et enfin l’Imagination en tant que faculté de connaissance objective des mondes supérieurs, nous conseillons la lecture, par exemple, du cycle de conférences «Les forces formatrices et leur métamorphose» de Rudolf Steiner (GA205).

 

Les premières recensions favorables ont paru, sur le terrain avancé, au début de 2015, du volume 7 de la SKA : Écrits sur l’apprentissage cognitif[2]. En novembre 2014, Roland Wiese écrivit dans Das Goetheanum :  Clement est « un  scientifique pondéré procédant de manière différenciée, sans tendance démontrée »[3]. Dans le numéro de Noël de la revue Anthroposophie, Wolf-Ulrich Klünker caractérisa l’ouvrage comme « une pierre milliaire dans l’histoire des textes de l’œuvre de Rudolf Steiner »[4]. C’est moins étonnant que David Marc Hoffmann, directeur des Archives-Rudolf-Steiner à Dornach, en mars 2015 parle d’une « édition soignée »[5] dans la Neue Zürcher Zeitung, alors que, dès avril 2014, dans une prise de position de l’administration de la succession de Rudolf Steiner et de la maison d’édition Rudolf-Steiner, la collaboration avec la SKA et la coopération commerciale avec la maison scientifique spécialisée frommann-holzboog, il fut établi que « seule la qualité de l’exploitation des textes de Rudolf Steiner a été « décisive pour l’acceptation de la SKA dans le programme de la maison d’édition Rudolf-Steiner et non pas les idées dans l’introduction et les commentaires rédigés par Clement au sujet des textes de Steiner »[6]. Mais les idées, qui sont exposées dans les introductions et les commentaires des passages d’une édition critique, sont-elles considérées aussi réellement comme secondaires pour le déroulement du débat scientifique ?[7]

Les écrits ici récemment ré-édités — Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ? et Les degrés de la connaissance supérieure — adoptent une position clef dans l’œuvre de Rudolf Steiner. Ils décrivent un cheminement de la façon dont tout être humain peut parvenir aux perceptions et connaissances propres au monde spirituel. Au point central, se trouvent les méthodes et exercices qui, au moyen d’un développement systématique du penser, mènent à la capacité d’une connaissance supérieure. Steiner les décrit comme connaissance imaginative, connaissance inspiratrice etconnaissance intuitive. Avec cela, une importance particulière échoit au tome 7. Mais comment cette importance peut-elle venir à bout de sa tâche si elle explique comme non réel, « impropre et de nature imagée »[8], ce que Rudolf Steiner décrit comme des faits [concrets, ndt] spirituels ? 

Dans l’introduction de son ouvrage, Clement défend la conception que les « phénomènes imaginatifs ou inspirateurs — que Steiner dépeint — en tant que tels, ne sont rien que des ‘hallucinations, visions et illusions’ ». Le cheminement cognitif de l’anthroposophie ne mène pas à la perception de faits et êtres spirituels réels, qui existent en dehors du soi, lequel fait l’expérience de lui-même dans la méditation. Clement interprète le mot imagination manifestement autrement que ce dont répond Steiner. Ainsi affirme-t-il que Steiner a conçu les « chakra » comme des « illustrations imaginatives » de processus de la vie de l’âme et de l’esprit[9] et « ce qu’on appelle le corps astral et le corps éthérique » et ainsi de suite, ne sont pour lui que de « simples visualisations, ou selon le cas, des imaginations », pour rendre représentables des phénomènes de l’âme et de l’esprit au moyen « d’images sensibles »[10]. Une anthroposophie comme visualisation et illustration ?  — En conséquence, selon Clement, « l’ésotérisme anthroposophique » ne s’avère que comme « une représentation en images de conceptions philosophiques »[11].

Les questions soulevées ici sont d’une haute importance, car elles concernent, non seulement les méthodes cognitives, en tant que telles, de la science de l’esprit, mais au contraire aussi les résultats obtenus par elles.  Avec l’imagination, l’inspiration et l’intuition, Steiner ouvre une porte vers le monde spirituel. Dans les commentaires de Clement, cela apparaît comme si ce monde en vérité — et aussi dans la propre compréhension de Steiner — n’existait pas du tout.

Imagination en tant qu’hallucination

Dans le premier chapitre de l’introduction, Clement discute le problème de la « manière imagée de l’exposition », au moyen de laquelle Steiner décrit les résultats de son investigation spirituelle :

« Nous y lisons au sujet « d’auras » et de « formes d’idées », de « chakra » et de « corps éthériques », dont les couleurs et forme sont décrites d’une manière si évidente, comme s’il s’agissait de « table et de chaise » (CMS) et non pas d’expériences subtiles spirituelles et de l’âme traduites en images. »[12]

Ne doit-on pas, 

« … considérer les « fleurs de lotus », les « corps astraux » ou bien le « gardien du seuil », comme des personnages qu’il fait apparaître lui-même de sa propre imagination — tel Faust son Hélène — comme par enchantement à partir d’un « nuage d’encens » ? Et ne tombe-t-on pas, comme le voyant spirituel goethéen, dans une confusion et une rêverie illimitée, lorsque l’on tient, de manière naïve pour des réalités, ces configurations nébuleuses auto-fabriquées ? »[13]

L’éditeur de la SKA veut-il dire avec cela que tout ce que Steiner décrit[14], en tant que « monde spirituel objectif » ne sont que des créations subjectives qui en réalité, n’existent pas ? Ou bien veut-il attirer l’attention sur le fait que la forme d’exposition de la réalité spirituelle ne doit pas être confondue avec celle-ci ? Dans l’imagination, manifestement Clement ne peut rien reconnaître de réel :

Steiner voyait très bien ces apories[15] et il s’est aussi foncièrement efforcé, en certains endroits de son écrit, d’expliquer clairement à son lecteur que les phénomènes imaginatifs et inspirateurs décrits par lui, en tant que tels, ne sont que des « hallucinations, visions et illusion» (DCS, 251), et que ce qu’on appelle « spirituel » est aussi peu fixé dans les images que le concept dans les caractères imprimés, au moyen desquels il vient à s’exprimer. Il a aussi tenté, au moyen de remaniements lexicaux d’agir à l’encontre d’une réception naïve non-critique de ses textes, …en mettant l’accent sur le fait qu’on ne puisse pas «voir» réellement des auras, ni «entendre» réellement des inspirations. Pourtant de telles remarques restent toujours seulement des intercalations critiques dans un texte qui, dans l’ensemble, troque le trait abstrait conceptuel et critique exigé dans un discours scientifique, contre l’élément imagé suggestif et aussi le ton autoritaire dogmatique de l’enseignant spirituel. »[16]

Steiner a-t-il réellement expliqué, que les phénomènes imaginatifs et inspirateurs décrits par lui, en tant que tels ne sont rien que des « hallucinations, visions, et illusions » ? Et la réception de l’anthroposophie de plusieurs dizaines d’années, l’investigateur de l’esprit l’a-t-il faussement comprise? Clement voit manifestement cela exactement ainsi :

« Au lecteur inconstant les textes procurent, aussi dans leur forme révisée, l’impression qu’il s’agisse effectivement, lors de ce qui est intérieurement vécu pendant la méditation, effectivement de «choses» ou «d’êtres» réels, qui existent dans «au-delà», ou selon le cas «en dehors» du Je qui les vit en se trouvant dans la transcendance. Au lecteur tout à fait exact seulement elles divulguent qu’il ne s’agit pas ici de métaphysique au sens pré-critique, mais au contraire d’une exposition de philosophie de la conscience dans l’esprit de Kant et de Fichte, c’est-à-dire d’une phénoménologie des contenus de la conscience humaine. Le seul et unique être, que rencontre l’être humain dans la méditation, est finalement, selon Steiner, l’élément propre et certes à la fois individuel-personnel et universel-absolu. »[17]

Si ces déclarations devaient être vraies, la condamnation serait prononcée sur l’anthroposophie dans son ensemble. Ces méthodes cognitives ne conduiraient ni ensuite à la connaissance du monde spirituel réel ni à celle des êtres spirituels existant en dehors de la conscience de l’être humain. Comment Clement en arrive à une telle manière de voir qui veut direde facto une négation, de l’anthroposophie au nom de la science académique ?

Perceptions sans cause extérieure

Dans l’écrit Les degrés de la connaissance supérieure Steiner emploie effectivement les mots cités par Clement :

« Cela étant, considéré tout d’abord de manière totalement extérieure, la totalité du monde imaginatif consiste en de telles hallucinations, visions et illusions.[18]»

Mais ici Steiner ne dit pas — et c’est le point décisif — que les phénomènes imaginatifs et inspirateurs « sont » des « hallucinations, visions et illusions ». Clement ne cite pas en correspondance aux sens. Il détache trois mots de la phrase et pose une affirmation qui renverse en son contraire la déclaration de Steiner. — Pour pouvoir juger correctement la portée de ce qu’il en est, nous devons comprendre ce que veut dire réellement Steiner avec les mots « tout d’abord » et avec de « telles » hallucinations.

Clement cite Les degrés de la connaissance supérieure, page 42 [au milieu de la page 55 de l’édition française, ndt]. Auparavant, à la page 41 [p.54 et en haut de la page 55, seconde phrase, de l’édition française, ndt] Steiner expose que personne ne pourrait échapper à la traversée de l’imagination sur le chemin menant à la connaissance supérieure. À cet endroit, Steiner explicite plus précisément sa compréhension des hallucination, vision et illusion. Que l’on perçoive dans le monde physique des couleurs, des sons, des odeurs, on n’est pas pour autant au clair sur le fait que les causes des perceptions sont les objets qui sont là « dehors dans l’espace » :

« [Les couleurs les sons, les odeurs procèdent de ces objets, ndt] On ne voit pas de couleurs flottant librement, sans prendre conscience en même temps des objets auxquels adhèrent ces couleurs, en tant que propriété « inhérente » ; [on n’entend pas de sons sans prendre conscience de la source dont ils émanent. Le fait d’être conscient que les objets et entités sont la cause des perceptions physiques, confèrent à celles-ci et partant, à l’homme, assurance et solidité.] Si quelqu’un a des perceptions sans cause extérieure, on parle alors d’états anormaux, pathologiques. De telles perceptions sans cause sont appelées illusions, hallucinations, visions. »[19]

Ici le mot « de telles » se trouve là pour la première fois. Steiner veut dire des perceptions sans causes extérieures. S’ensuit le paragraphe avec la phrase, à partir de laquelle Clement cite :

« Cela étant, considéré tout d’abord de manière totalement extérieure, la totalité du monde imaginatif consiste en de telles hallucinations, visions et illusions. Il a été montré dans «Comment acquiert-on les connaissances des mondes supérieurs ?» comment ces visions et autres sont artificiellement créées par l’apprentissage occulte. En orientant la conscience sur la graine ou bien sur une plante qui dépérit, on fait naître devant l’âme certaines formes qui ne sont d’abord [soulignement de F.L.] que des hallucinations [à savoir des perceptions sans causes extérieures, F.L.]. Cette [sorte de] «formation de flamme [Flammenbildung]», dont il a été dit là qu’elle peut entrer dans l’âme au moyen de la considération d’une plante ou de choses analogues et qui, après un temps se détache complètement de la plante, c’est, considéré extérieurement [soulignement de F.L.], à prendre en compte ad instar une hallucination. Et ainsi en va-t-il encore dans l’apprentissage occulte, lorsqu’on entre dans le monde imaginatif. Ce dont on était accoutumé, à savoir à les voir procéder des choses ou leur être inhérentes, «là-dehors dans l’espace», les couleurs, sons et odeurs etc., remplissent à présent l’espace en y flottant librement. [Les perceptions se détachent de toutes les choses extérieures et flottent dans l’espace ou y tournoient. Et l’on sait pourtant très bien dans ce cas, que ce ne sont pas les choses qu’on a devant soi qui ont provoqué ces perceptions, mais bien plutôt «soi-même».] Voilà pourquoi on en vient à devoir penser que l’on a perdu «le sol sous ses pieds». »[20]

À deux reprises, Steiner utilise le mot « d’abord », et à deux reprises, il insiste sur le fait que les phénomènes imaginatifs seulement «considérés extérieurement» sont comparables à des hallucinations. Steiner n’utilise donc le mot «hallucination» qu’en comparaison. Il ne dit pas que la «formation de flamme», qui surgit au moyen de la méditation sur la graine, «est» une hallucination, mais au contraire elle est «observée extérieurement» à prendre en compte ad instar une hallucination. Et c’est compréhensible puisqu’elle se révèle ici, en couleurs et formes flottant librement dans l’espace, comme une perception sans causes extérieures.

Le degré suivant l’imagination

Cela étant, on ne doit pas en rester aux mots de Rudolf Steiner cités par Clement. On doit continuer de pénétrer de ce qui apparaît «tout d’abord considéré tout à fait extérieurement», comme une hallucination jusqu’à la véritable nature de l’apparition. Car la «prochaine étape de la connaissance imaginative» montre que les couleurs et formes planant librement sont l’expression d’entités spirituelles, qui se manifestent au travers de celles-ci. Des imaginations ne sont justement pas des hallucinations, mais au contraire une expression d’être — de la même façon qu’un sourire au visage d’un être humain n’est pas une hallucination mais une expression de son essence intérieure qui éprouve de la joie. Les phrases décisives, que Clement ne cite pas ni surtout ne mentionne pas, ont la teneur suivante :

« À présent la prochaine étape de la connaissance imaginative doit consister à découvrir une nouvelle base et une nouvelle raison à ces représentations devenues sans attache. Cela doit justement se produire dans l’autre monde qui à présent va se révéler. Des nouvelles choses et entités s’emparent de ces représentations. Dans le monde physique, la couleur bleue, par exemple, «adhère» au bleuet. Dans le monde imaginatif, elle ne doit pas non plus rester à «flotter librement». Elle afflue pour ainsi dire vers une entité et tandis qu’elle était précédemment encore sans attache, elle devient maintenant l’expression d’une entité. Quelque chose s’exprime au moyen d’elle en direction de l’observateur de ce qui peut seulement être perçu à l’intérieur du monde imaginatif. Et ainsi les représentations devenues sans attache se rassemblent-elles en certains centres. Et l’on perçoit que des êtres nous parlent au travers d’elles. Et de la même façon que dans le monde physique aux choses et aux êtres corporels «adhèrent» des couleurs, des odeurs et des sons, etc., ou bien en proviennent, ainsi nous parlons à présent «d’entités spirituelles» s’exprimant au travers d’elles. Ces «entités spirituelles» sont en effet toujours présentes ; elles bourdonnent constamment tout autour des êtres humains.»[21]

Ces dires cités de Rudolf Steiner ne sont pas difficiles à découvrir, ils se trouvent sur une double page dans le GA012 aux pages 41 et 42. Sur le côté gauche se trouvent les mots que cite Clement : « hallucination, visions et illusions ». En vis-à-vis, sur le côté droit, se trouve ce que Steiner décrit comme l’étape suivante de l’imagination : la perception des imaginations en tant qu’une expression d’entités spirituelles. Clement ne mentionne pas ces exposés centraux.

La flamme spirituelle

Lors de la description de l’exercice méditatif sur la graine dans Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ? sont distingués aussi divers degrés de la connaissance imaginative. La méditation commence ainsi en posant devant soi une graine réelle et en la décrivant exactement. Puis on construit la plante qui croîtra de cette graine dans « une imagination exacte » — et ceci est une image engendrée par soi-même. Dans une progression suivante, l’effet de l’exercice est décrit. Il ne s’avère qu’après «quelques temps [de pratique de l’exercice, ndt] — peut-être seulement après de nombreuses tentatives» et seulement aussi «si on le réalise de la manière correcte» (ebenda) Dans la présentation qui est faite de l’exercice (en tout, en sept degrés), trois choses sont distinctement indiquées : 1. la graine sensible visible, 2.l’image de la plante engendrée par l’imagination exacte, 3. La flamme spirituelle visible en tant que phénomène suprasensible.

« Que l’on pose devant soi une petite graine d’une plante… Tout d’abord, on se rend compte très clairement de ce qu’en fait on perçoit avec les yeux. Que l’on décrive pour soi, forme, couleur et tous les autres caractères de la graine. …Il en naîtrait une plante très structurée, si la graine avait été mise en terre. Que l’on se représente cette plante. On l’édifie dans l’imagination exacte… Et l’on pense : ce que je représente à présent dans mon imagination précise, ce sont les forces de la Terre et de la lumière qui plus tard tireraient cela hors de la graine. …On s’abandonne à l’idée : L’invisible deviendra visible. … (Ensuite Steiner décrit l’effet et le but de l’exercice, F.L.). Si l’on réalise cela de la manière correcte, alors après quelque temps — peut-être seulement après de nombreuses tentatives — on ressentira une force en soi. Et cette force procurera une autre vision intuitive. La graine apparaîtra comme enclose et nimbée d’une petite lumière. Cela est ressenti, d’une manière sensible-spirituelle, comme une sorte de flamme. Envers le centre de cette flamme, on ressent quelque peu l’impression provoquée par la couleur lilas ; en regard du bord de la flamme, on ressent celle provoquée par la couleur bleuâtre. — Apparaît alors ce qu’on n’a pas vu avant et ce que la force de l’idée et du sentiment ont créé, celle que l’on a fait naître en soi. Ce qui était sensiblement invisible, la plante, qui ne sera visible que plus tard, cela se révèle alors d’une manière spirituelle-visible. »[22]

La méditation sur la graine

La flamme spirituellement visible est un phénomène suprasensible. Il est visible à la graine que l’on a posée devant soi. Il se distingue nettement de l’image d’imagination précise de la plante que l’on a créée soi-même auparavant. Si l’on a devant soi une graine de tournesol, alors naîtra dans l’imagination exacte, l’image d’un tournesol, avec ses racines profondément enracinées au sol, les larges feuilles [rêches et nervurées, ndt] sur la tige vigoureuse, et la lourde couronne florale au cœur tourné vers l’environnement solaire. Combien différente se révèle alors l’image mobile flamboyante ! — Comme autre exercice, que l’on se place en face de soi une plante qui se trouve en plein développement. Steiner construit la méditation d’une manière semblable, avant d’en décrire ici aussi l’effet. Dans l’âme, une force se développe, qui conduit à «une nouvelle vision intuitive». Steiner appelle celle-ci une «perception spirituelle» :

« De la plante grandit de nouveau une sorte de formation de flamme spirituelle. Celle-ci est naturellement relativement plus grande que celle décrite auparavant. La flamme peut être ressentie quelque peu en son centre, comme on ressent une partie bleue verdâtre et de même pour sa bordure extérieure avec du rouge jaunâtre. 

On doit expressément insister qu’ici, ce qu’on caractérise comme «couleurs», ne ressemble pas à ce que les yeux physiques voient aux couleurs, mais au contraire il s’agit, au moyen de la perception spirituelle de ressentir quelque chose de semblable à ce que l’on ressent lors d’une impression colorée physique. Percevoir spirituellement «bleu», cela veut dire ressentir quelque chose d’intuitivement reconnu par le sentiment comme analogue à ce que l’on ressent lorsque le regard physique se pose et contemple la couleur «bleue». … »[23]

Steiner insiste ensuite, là-dessus, qu’il est important de construire l’exercice sur une graine réelle. L’imagination qui y survient ne se révèle pas ensuite comme une création de l’imagination personnelle, mais au contraire comme un être réel :

« Car ce qui importe, c’est que je ne me procure pas moi-même des visions intuitives, mais au contraire que la réalité les créée en moi. Des profondeurs de ma propre âme, la vérité doit sourdre ; mais mon je habituel ne doit pas être lui-même le magicien qui veuille attirer la vérité hors de l’âme, au contraire, les êtres doivent être ce magicien, desquelles je veux voir intuitivement la vérité spirituelle. »[24]

Clement, par contre, dénie, non seulement qu’il y ait réellement la flamme spirituelle — dans le commentaire sur ce point, il la caractérise comme une « image auto-engendrée » —, mais encore il réalise une forfaiture sur l’ensemble des exercices de méditation de Steiner et remet avec cela implicitement et foncièrement en cause le cheminement cognitif de l’anthroposophie :

« À la description de cet exercice, il devient particulièrement évident que l’objectif de la méditation — et au fond l’objectif de tous les exercices de la méditation steinérienne — ne consiste pas à percevoir des «objets» métaphysiques quelconques, mais bien plus dans le renforcement de  l’expérience intérieure, qui va ensuite produire une image intérieure. Cette image qui s’engendre elle-même, cette «formation de flamme» est alors uniquement le moyen, pour ce que Steiner appelle «perception spirituelle» et non pas l’objet de cette perception. Ce n’est pas l’image imaginative en tant que telle qui est objet de la connaissance imaginative, mais encore, par exemple, ce qui peut être vécu intérieurement au moyen de cette image. »[25]

La méditation dans la présentation de Steiner ne correspond pas à ceci. Clement confond manifestement les références indiquées par Steiner : il pense que l’image de la flamme, de nature imaginative est l’image engendrée de soi par l’imagination exacte — ce qu’elle n’est définitivement pas —, et ensuite il distingue l’image de la flamme d’une «perception spirituelle», dont il ne dit pas cependant en quoi consiste son contenu.

Et ce qu’il caractérise comme objectif de la méditation anthroposophique, à savoir le «renforcement de l’expérience intérieurement vécue», ce qui doit être une «image auto-engendrée» en tant que moyen pour une «perception spirituelle» indéterminée,  n’est que, selon Steiner, la préparation (description de la graine, édification de l’image de l’imagination exacte de la plante ou du symbole et ainsi de suite). L’énergie de l’âme qui y est renforcée forme l’organe de perception supérieure et rend possible le degré suivant, de sorte qu’une nouvelle «vision intuitive» se met en place, un «nuage lumineux», une «formation de flamme spirituelle», qui est ressentie d’une manière «sensible-spirituelle». Celle-ci est la perception d’un phénomène spirituel apparaissant. Elle déclenche des sensations/sentiments au niveau de l’âme, de la même façon que la perception d’un phénomène sensoriel apparaissant déclenche des sensations/sentiments au niveau de la vie de l’âme [seelisch, terme peu précis et « fourre-tout » en allemand ! ndt]. L’objet de la perception est à chaque fois la cause de la sensation/sentiment, l’objet n’est pas engendré par la sensation/sentiment. Il est autonome. par rapport à celle-ci. Ainsi le «nuage lumineux» ou bien «flamme», selon Steiner, est une «image qui s’engendre elle-même» et pas non plus «simplement le moyen» pour la «perception spirituelle». Ce qui est ressenti comme flamme, c’est la perception spirituelle, elle est, quant à son contenu, indépendante de l’être humain percevant, à savoir une réalité suprasensible. Que les perceptions spirituelles pénètrent la conscience seulement au moyen de la mise en œuvre d’une activité accrue, ne doit pas mener du tout au jugement faussé qu’elle n’existerait pas indépendamment de l’observateur:

« Une contradiction singulière peut surgir dans cette description du mode de connaissance du monde supérieur. D’une certaine manière l’être humain doit être le créateur de ses représentations ; et nonobstant ces représentations ne doivent pas être naturellement ses propres créatures ; au contraire, car au travers d’elles, les événements du monde supérieur doivent pareillement s’exprimer, comme dans les perceptions de l’œil, de l’oreille et autres, les événements du monde inférieur s’expriment. »[26] 

Contemplation spirituelle et audition [ou ouïe, ndt] spirituelle

La déclaration que Steiner ait insisté sur le fait que l’on ne peut pas voir réellement des «auras» et ne pas réellement «entendre» réellement des inspirations n’est pas exacte ainsi. Le mot aura se trouve à 5 endroits différents dans Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ?[27]

En aucun de ces endroits, Steiner n’a affirmé que l’on «ne puisse pas voir» réellement des auras. Et tout aussi peu a-t-il souligné que l’on «ne peut pas entendre» réellement des inspirations. Il importait beaucoup plus à Steiner de rendre claire la différence par rapport à la perception sensible. Ainsi il ne dit justement pas, au sujet de la flamme spirituelle, que les couleurs «ne seraient pas réelles», mais encore qu’on «ne les voit pas comme» des couleurs physiques. C’est une différence énorme.

Le percevoir spirituel présuppose en outre la formation d’organes de perception spirituels. Steiner parle des «yeux spirituels»[28] et «d’une oreille désormais ouverte à l’esprit».[29] Il décrit d’une manière extrêmement différenciée, comment l’organisme suprasensible est fait en organes, centres et courants et comment se révèle la qualité de la perception spirituelle. Ainsi lors d’une réelle imagination «l’extension tridimensionnelle de l’espace … s’en est complètement allée, on se sent « non plus en dehors, mais encore à l’intérieur de l’image coloré et on a la conscience que l’on participe à sa naissance.» »[30] Des couleurs imaginatives ne sont plus simplement vues, elles sont vécues.[31]

La manière de voir — attribuée faussement à Steiner — que l’on «ne pourrait pas voir réellement» des phénomènes spirituels et « ne pas les entendre réellement » », a en vérité la signification opposée : on voit plus qu’avec les yeux sensibles, et on entend plus profondément avec l’oreille sensible dans la réalité du monde, que cela serait possible.

Illusion et réalité

En rapport avec la perception de la flamme spirituelle, — comme en de nombreux autres endroits —  Steiner rend attentif à combien il est important de «ne pas confondre l’une avec l’autre, l’imagination et la réalité spirituelle.»[32] Distinguer le «sens sain de la vérité de l’illusion», devrait constamment être cultivé.[33] Clement reprend aussi cette déclaration en commentaire : Il insiste sur combien il est difficile au fond :

« … de distinguer la production d’images intérieures, caractérisée par Steiner comme «imagination», de l’activité imagée habituelle de l’être humain, par exemple dans la fantaisie, le rêve ou bien l’hallucination. Il concède pourtant lui-même que l’imagination en tant que telle ne se distingue pas fondamentalement d’un rêve ou d’une image fantasque… »[34]

Ici aussi Clement inverse le sens de la déclaration de Rudolf Steiner en son contraire. Steiner ne concède nulle part ce que Clement affirme. Le terme «rêve» ne se présente pas lors de la méditation sur la graine. Et «d’hallucination», il n’y est point question non plus.

Une présentation juste de la cause du cheminement cognitif de l’anthroposophie montrerait que celui-ci émane de la plus haute faculté humaine, à savoir du penser .[35] — Steiner appelle aussi la Méditation «Repenser la pensée de manière contemplative[36] [C’est d’ailleurs le sens que Lessing lui donnait aussi, ici, que j’ai adopté en français, ndt]». Au moyen de l’apprentissage scientifico-spirituel, le penser, progressant avec un apprentissage méthodique de toutes les énergies de l’âme et morales, est élevé à un degré plus élevé. L’expérience imaginative pénètre une activité intérieure jamais connue auparavant et une vivacité du penser qui ne peut pas être confondue avec la fantaisie, le rêve à demi-conscient ou encore même l’hallucination habituelles ! Le rêve se trouve à un degré de conscience inférieur à la conscience de veille, la conscience imaginative à un degré supérieur à cette dernière. 

Et pour ne pas confondre des peintures fantaisistes préparées d’avance et les imaginations réelles, Steiner a toujours insisté sur la nécessité de s’éduquer conséquemment à la capacité de faire la distinction entre illusion et réalité :

« On doit tout d’abord s’attendre à ce que l’illusion joue de mauvais coups. Partout les possibilités guettent que des images surgissent qui ne reposent que sur des illusions des sens extérieurs, des anormalités de la vie. De toutes ces possibilités, on fait tout d’abord table rase. On doit tout d’abord boucher complètement toutes les sources du fantastique, alors seulement on peut en arriver à l’imagination. »[37]

Et il exprime clairement :

« Lorsque l’observateur des mondes spirituels sait un jour ce qu’est réellement une imagination, alors il acquiert très bientôt la sensation que les images du monde astral ne sont pas de simples images, mais encore des manifestations d’entités spirituelles. Il apprend à reconnaître qu’il a à rapporter les images imaginatives pareillement aux entités spirituelles ou à la vie de l’âme comme les couleurs physiques aux choses physiques ou aux êtres. »[38]

Réalité de qualité substantielle

L’œuvre de vie de Rudolf Steiner renferme une abondance, largement inépuisée jusqu’à aujourd’hui, des résultats d’investigations sur l’action des entités spirituelles individuelles dans l’être humain et dans le monde extra-humain. Il lui revint, justement, de montrer que le spirituel n’est pas à découvrir au-delà du monde derrière le monde sensible, mais au contraire à l’intérieur du monde sensible lui-même. De la même façon que le chercheur de la nature, explore les choses du monde, de même l’investigateur de l’esprit explore le spirituel qui agit dans les choses.[39] Les entités sont reconnues qui agissent à l’intérieur de la Terre, dans les métaux et cristaux, dans la conformation de la surface terrestre, des massifs montagneux, dans tous les phénomènes naturels, dans l’eau, l’air, la chaleur et la lumière, dans le brouillard, la pluie et le tonnerre, dans les plantes et les animaux. La recherche spirituelle reconnaît les esprits qui ordonnent l’alternance des saisons et les mouvements des planètes, du spirituel dans les comètes, dans le Soleil et les étoiles et tout particulièrement dans la technique créée de mains humaines. Elle explore les êtres élémentaires dans la nature, les âmes groupes végétales, animales et minérales, les entités spirituelles des hautes Hiérarchies supérieures [angéliques, à l’instar de Hermès Trismégiste, la science spirituelle aborde et étudie ce qui est en Haut comme ce qui est en Bas. ndt] ainsi que dans leur évolutions celles qui sont en retard et agissent de manières variées comme des entités créant des obstacles [à l’évolution humaine et même à celle naturelle, ndt]. Ces êtres spirituels agissent jusqu’à aujourd’hui chez l’être humain et dans la nature extra-humaine.

Ainsi la connaissance supérieure fait ses preuves de sorte que «la vraie nature, celle absolument originelle du monde sensible, est elle-même spirituelle.»[40] :

« Vue du monde spirituel, les propriétés, énergies, substances et autres, disparaissent du monde sensible ; elles se dévoilent comme un simple semblant. De ce monde [spirituel, ndt] on n’a plus alors encore que des entités devant soi. Dans ces entités repose la réalité vraie. »[41]

Et à la fin de sa vie, Steiner récapitule en une quintessence, la connaissance essentielle de l’anthroposophie à l’instar de maximes :

« Car la réalité consiste en effet partout en une réalité substantielle ; et ce qui n’est pas de cette nature substantielle en elle, c’est l’activité, qui se déroule dans les rapports d’être à être. »[42]

Il y a une méprise profonde à la base de l’anthroposophie, à voir en elle une simple « phénoménologie des contenus de la conscience humaine », comme la désigne Clement (voir ci-dessus). Non seulement cela vient contredire la teneur même des paroles de Rudolf Steiner, mais plus encore aussi sa conscience du soi parfaitement expliquée. Il s’agit pour Steiner d’une exploration concrète du «monde de la perception spirituelle» objectif.[43] Les «objets» de la connaissance spirituelle ne sont ni des hallucinations, ni encore des images auto-créées de la fantaisie, mais au contraire des faits et des êtres du monde spirituel.

La raison de la forme de présentation imagée repose dans la tâche de forger un contenu spirituel dans des formes idéelles, qui sont accessibles et adaptées à la conscience ordinaire. Il importe pour celui qui «expose et présente ce qui est spirituellement contemplé» :

« [d’]apporter ces contemplations intuitives jusqu’à les couler correctement dans la forme idéelle, sans qu’elles perdent, au sein de cette forme, leur caractère imaginatif. »[44]

« Car le contenu de ce qui est contemplé spirituellement ne se laisse transmettre qu’en images (imaginations), au moyen desquelles s’expriment des inspirations, qui proviennent de la réalité spirituelle intuitivement vécue. »[45]

Une fois que ces imaginations sont travaillées à fond, elles mènent l’étudiant en science de l’esprit [que nous sommes TOUS, ndt] à une expérience de ces entités mêmes. Déjà par la présentation merveilleuse de la perception spirituelle de l’organisme de l’âme avec ses organes complètement différentiés, les fleurs de lotus et courants, Steiner fonde la forme d’exposition imagée en allant jusqu’au point où l’on ne pourrait pas le percevoir sans les images :

« Quelqu’un pourrait objecter : À quoi bon décrire ainsi en configurations imagées les expériences suprasensibles ; ne pourrait-on pas dépeindre cette expérience en idées, sans de telles restitutions imaginatives ? À cela il faut rétorquer : pour l’expérience de la réalité suprasensible, entre en considération le fait que l’être humain se connaisse lui-même suprasensiblement dans le suprasensible. Sans considérer sa propre entité suprasensible, dont la réalité se révèle parfaitement à lui selon sa nature — dans la description qui est ici donnée des «fleurs de lotus» et du «corps éthérique» — l’être humain s’éprouverait dans le suprasensible comme s’il se trouvait encore seulement dans le sensible de sorte qu’autour de lui les choses et événements se manifestassent, tandis que lui ne connût rien de son propre corps. Ce qu’il contemple dans son «corps d’âme» et son «corps éthérique» comme étant sa configuration suprasensible à lui, cela fait qu’il se trouve dans le suprasensible en étant conscient de son soi, comme au moyen de la perception de son corps sensoriel, il est conscient de son soi dans le monde sensible. »[46]

La réalité de l’entité suprasensible de l’être humain se révèle ici parfaitement selon sa nature dans cette imagination ! Elle se comporte de même avec toutes les autres imaginations que l’initié et investigateur du spirituel, Rudolf Steiner, a développées du monde spirituel. Ainsi en est-il avec les grandes imaginations cosmiques sur le cours de l’année[47] ou bien celles des actes des entités spirituelles des Hiérarchies supérieures au commencement de l’évolution cosmique de la Terre. Il n’importe pas de savoir si ces images seraient maladroitement façonnées, avec des Chérubins et Trônes comme des êtres humains ailés, mais encore de les vivre là-dedans de manière méditative dans les énergies de notre âme :

« Si nous nous adonnons profondément à de telles images, alors nous faisons ce qui nous conduit peu à peu à de tels êtres. »[48]

Il est absurde dans ces présentations de l’investigateur du spirituel de voir de « simples visualisations » ou selon le cas, des « imaginations » d’expériences intérieures. La conclusion de Clement, que l’ésotérisme anthroposophique s’avère « comme une représentation imagée de conceptions philosophiques »[49], n’est pas tenable eu égards aux résultats des recherches de Steiner qui sont d’une autre teneur.

Le Leitmotiv de Clement

Clement a présenté un leitmotiv à son introduction au sujet des Écrits de Steiner sur l’apprentissage cognitif. En voici la teneur :

« À contrecœur, je te découvre un grand mystère
Des déesses, bien loin règnent en retraite solitaire,
Autour d’elles pas de lieu, et moins encore d’ère ;
En parler, c’est déjà connaître la gêne : les Mères ! »

Clement donne bien la source de sa devise — Johann Wolfgang von Goethe : Faust, la Tragédie seconde partie, Galerie obscure (vers 3173-6306) —, mais il ne dit pas, qui parle véritablement ici. C’est Méphistophélès ! — Dans cette scène celui-ci est sensé mener Faust dans le royaume des Mères, dans le monde spirituel, qui repose derrière le monde sensible.[50] Pourtant, comment donc Méphisto parle-t-il de ce monde que Faust va trouver là ?

« Rien tu ne verras dans ce lointain vide éternel,
Aucun bruit ne résonnera en échos à ce que tu fais,
Tu ne trouveras rien de consistant où te reposer. »

Méphisto se révèle à Faust comme cette esprit, «qui sans cesse renie », de la destruction, bref du mal» dénommé comme son véritable élément. Un développement qui relie l’être humain à l’esprit, il ne peut le supporter. Il proclame l’inanité de tout être et de tout devenir : «Car tout ce qui naît / Ne vaut que pour sombrer; / Mieux valût, que rien ne naquît.»[51].

Cette attitude spirituelle, l’Être de l’anthroposophie ne peut pas la concevoir. Et aussi voudrait-on rétorquer avec Faust :

«Dans ton Néant, j’espère découvrir le Tout.»

Avec cela, des questions fondamentales se soulèvent sur le sens de la SKA. Si elle n’approche pas l’œuvre qu’elle édite, en s’y rattachant, qu’elle n’y travaille pas méthodiquement au point d’en fausser le cœur de la cause, une telle entreprise perd toute sa justification et doit à peine attendre du public, et en particulier du monde des sciences spécialisées, la reconnaissance qu’elle en espère[52]

Avec la connaissance imaginative, inspiratrice et intuitive, Steiner ouvre la porte du monde spirituel. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’être humain peut entrer, en pleine conscience en connaissant dans le monde spirituel. Ce que Clement appelle un «recul dans la manière du discours mythologique»[53], est en vérité le plus grand progrès dans la culture spirituelle de l’humanité moderne. Il permet d’exprimer le spirituel de sorte qu’il devienne immédiatement compréhensible au penser.

La discussion avec la SKA démontre une fois de plus la nécessité, de travailler dans leur profondeur indispensable, les fondements anthroposophiques. Ainsi seulement l’étude de l’anthroposophie peut mener, en tant que premier pas de l’apprentissage spirituel, réellement à la vie de l’esprit, qui s’exprime de l’œuvre de Rudolf Steiner. Cela vaut pour le travail silencieux et dans les champs de la vie et de l’action de l’anthroposophie dans le monde. Ce n’est aucunement un cheminement dans «la confusion illimitée et la rêverie», comme le pense Clement, c’est une cheminement qui présuppose un penser dénué de tout préjugé et qui se transforme dans le travail méditatif de manière telle qu’il en arrive à rendre individuellement apte à la «libre imagination»[54] à partir d’un effort personnel.

La question du comment se présente l’anthroposophie aujourd’hui en tant que science de l’esprit devant la science académique et le monde n’a pas encore trouvé de réponse conforme à sa cause.[55]

Die Drei, 11/2015.

Frank Linde, né en 1956, à Flensbourg. Étude de mathématique, musique et sciences de l’éducation. Formation à l’Université libre de Stuttgart, séminaire de la pédagogie Waldorf. Enseignant en école Waldorf à Rendsbourg et Tübingen. Depuis 1990 actif au séminaire de la formation des enseignants Waldorf à Kiel. Membre de la fondation « Chemins vers la qualité ». Publications sur des sujets anthroposophiques entre autres, sur l’apparition du Christ dans le monde éthérique, le cheminement d’apprentissage, la réincarnation et le Karma, les impulsions du mal, Christ et l’amour. En 2008 il fonde la fondation-Ernst-Michael-Kranich, Institut d’encouragement pour la pédagogie, l’art et la science.

 

Notes

[1] NDLR : Christian Clement est actuellement professeur de littérature allemande à l'Université Brigham Young de Provo (Utah), gérée par les Mormons. 

[2] Christian Clement (Éditeur) : Rudolf Steiner : Écrits — Édition critique, volume 7 dans ce qui suit : SKA 7.

[3] Das Goetheanum 48, 28.11.2014 [traduit en français, accompagné d’un interview de Christian Clement par Wolfgang Held, respectivement DG 48B14 & DG48A14.DOC, disponibles auprès du traducteur Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ndt] .

[4] Wolf-Ulrich Klünker : La critique de texte n’est pas une critique du contenu, dans : Anthroposophie n°270, Noël 2014, p.362. En conséquence ultérieure sont parues aussi des contributions écrites ; par exemple : Lorenzo Ravagli : L’anthroposophie : une « dévolution dans le mythe ? » www.anthroblog.anthroweb.info

[5] Neue Zürcher Zeitung, 11.3.2015, www.nzz.ch/feuilleton/die-freiheit-des-erkenntnisweges

[6] Prise de position de l’administration de la succession de Rudolf-Steiner et de la maison d’édition Rudolf-Steiner concernant : Rudolf Steiner : Écrits Édition critique (SKA), éditée par Christian Clement. 3 avril 2014. http://www.rudolf-steiner.com/wpcontent:uploads:zusammenarbeit.pdf

[7] L’introduction englobe, toujours est-il, 111 pages et les commentaires des passages en annexe, 139 pages.

[8] SKA 7, p.CXV.

[9] SKA 7, p.LVI.

[10] SKA 7, p.LVII.

[11] SKA 7, p.LX.

[12] SKA 7, Introduction, p.XXVIII. Christian Clement utilise pour : Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ?, l’abréviation « CMS » et pour : les degrés de la connaissance supérieur « DCS ».

[13] SKA 7, p.XXIX.

[14] Rudolf Steiner : Les degrés de la connaissance supérieure (GA 12), Dornach, pp.13 et suiv.

[15] « Aporie » veut dire l’impossibilité de résoudre une question philosophique, puisqu’elle renferme des contradictions qui reposent dans la chose elle-même ou bien dans les concepts utilisés pour son élucidation ; aussi impossibilité de trouver une issue et de s’en sortir. FL.

[16] SKA 7, p.XXIX.

[17] SKA 7, p.XXVIII-XXIX.

[18] Rudolf Steiner : Les degrés de la connaissance supérieure (GA12), Dornach 1993, p.42.

[19] Ebenda p.41 et suiv. [pp.54-55 de l’édition française EAR, dans la traduction ici, de Laetitia Lescourret : le passage a été complètement cité ici par mes soins, afin de suivre le cheminement de la pensée de Steiner sur ce point important. ndt]

[20] Ebenda p.42 et suiv. [p.p.55-56 de l’édition française EAR le passage a été complètement cité ici par mes soins. ndt]

[21] Ebenda,, p.43 [pp.57-58 de l’édition française EAR].

[22] Rudolf Steiner : Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ? (GA10), Dornach 1992, pp.60 et suiv. de l’édition allemande [pp.69 et suiv. de l’édition Triades de 1965].

[23] Ebenda, p.66 [pp.74 et suiv. de l’édition de Triades 1965, ndt].

[24] Ebenda, p.66 [p.76 de l’édition de Triades 1965, ndt].

[25] SKA 7, 248 et suiv.

[26] GA 12, p.52  [p.70 de l’édition EAR]

[27] Pages 24, 25, 135, 167, 233 de l’édition allemande [Pages 35, 36, 146, 176, 244 env. de l’édition Triade de 1965. ndt]

[28] GA 10, p.54. [p.66 de l’édition Triade de 1965. ndt]

[29] Ebenda p.101. [p.110  de l’édition Triade de 1965. ndt]

[30] GA 12, p.70. [p.88 de l’édition EAR ndt]

[31] Voir les exposés sur le « voir aurique » dans la conférence tenue 15 ans plus tard du 20 août 1923 à Penmaenmawr, dans Rudolf Steiner : Connaissance de l’initiation (GA 227), Dornach 2000, pp.45 et suiv. Sur l’audition spirituelle, voir GA 10, pp .50 [62 de Triades 1965] et suiv. et GA 12, pp.73 et suiv. [pp. 92 et suiv. de l’édition EAR, ndt]

[32] GA 10, p.62 [74 de l’édition Triades 1965].

[33] Ebenda, p.63.

[34] SKA 7, p.249.

[35] Voir Rudolf Steiner : Théosophie (GA 9), Dornach 2003, pp.172 et suiv. ; Rudolf Steiner : La science de l’ocuclte en esquisse (GA 13), Dornach 1989, pp.130 et suiv., pp.340 et suiv.

[36] GA 10, p.38.

[37] GA 12, p.20.

[38] GA 12, pp.71 et suiv. Dans La science de l’occulte en esquisse ces contextes sont clairement décrits aussi. Steiner y développe la méditation du Rose-Croix en tant qu’exemple de l’approfondissement méditatif conscient dans un symbole qui mène  à la connaissance imaginative (Voir GA 13, pp.309-327).

[39] Voir, à titre d’exemples, Les Hiérarchies spirituelles et leurs reflets dans le monde physiqueGA 110 ; L’évolution du point de vue de la véracité, GA 132 Les entités spirituelles dans les corps célestes et les règnes naturelsGA 136 Les mystères de l’histoire biblique de la créationGA 122.

[40] Rudolf Steiner : Le seuil du monde spirituel (GA 17), Dornach 2009, p.77.

[41] Ebenda, p.78.

[42] Rudolf Steiner : Maximes anthroposophiques (GA 26), Dornach 1998, p.120. [On ne saurait trop recommander à ces universitaires qui se mettent à étudier « tout d’un coup » un domaine intégral, qui n’est le leur, en général plutôt spécialisé, de lire l’extraordinaire travail de Lucio Russo : Commentaires sur les maximes anthroposophiques (sur le site italien : www.ospi.it) disponible en français et sans frais auprès du traducteur Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ndt]

[43] Rudolf Steiner : La philosophie de la liberté (GA 4), Dornach 1995, p.256. [Encore une fois, on ne saurait trop recommander à ces universitaires qui se mettent à étudier « tout d’un coup » un domaine intégral, qui n’est le leur plutôt spécialisé, de lire l’extraordinaire travail de Lucio Russo : Commentaires sur Philosophie de la liberté (sur le site italien : www.ospi.it) disponible en français et sans frais auprès du traducteur Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ndt]

[44] GA 13, p.27. [il importe de remarquer ici que Steiner a recours à un Verbe hineingiessen qui est utilisé pour couler dedans le métal en fusion, ainsi on peut qualifier me semble-t-il cette activité de sidérurgie spirituelle, sans en exagérer du tout la difficulté ni la performance. ndt]

[45] Ebenda, p.26.

[46] GA 10, pp.224 et suiv. [p.228 de l’édition Triades 1965].

[47] Rudolf Steiner : La participation à la vie du cours de l’année en quatre imaginations cosmiques (GA 229), Dornach 1999. [Encore une fois, on ne saurait trop recommander à ces universitaires qui se mettent à étudier « tout d’un coup » un domaine intégral, qui n’est le leur plutôt spécialisé, de lire l’extraordinaire travail de Armin Scheffler : Les processus chimiques dans les quatre imaginations cosmiques de Rudolf Steiner un document disponible en français auprès de l’Institut Kepler- Les cahiers de Biodynamis et édité par le Mouvement de Culture Biodynamique en 1998. Car en effet, n’est-ce pas s’il y a des processus chimiques en fonction des « quatre imaginations cosmiques » c’est bien qu’il y a une réalité spirituelle en amont ou derrière car le Logos est le plus prodigieux et le plus grand chimiste de l’univers ! ndt]

[48] Rudolf Steiner : L’évolution du point de vue de la véracité (GA 132), 31.10.1911, p.21.

[49] SKA 7, pp. LVII et suiv.

[50] Dans ses conférences sur le Faust Steiner a parlé à plusieurs reprises de cette scènes des Mères, Voir GA 273, 02.11.1917, p.82 : GA 272, 23.01.1910, pp.31 et suiv. [Je n’ai pas conservé ici la version si belle et apurée de Jean Malaplate, car j’ai préféré en ramener le sens au plus près de la question de la théorie de la connaissance du spirituel qui est sous-jacente ici, et au volume 7 de la SKA (où elle a été de toute évidence mal comprise, malheureusement, par Clement) et ausis dans l’esprit de cet article-ci qui le démontre en restant justement sur le terrain strictement cognitif. ndt]

[51] Johann Wolfgang von Goethe, Faust, p.43: vers 1338-1344.

[52] NDLR : Si Clement avait fait une expérience réelle d’Imaginations de manière tout à fait consciente, ne serait-ce qu’une seule minute dans sa vie, il se serait rendu compte que les commentaires qu’il a écrit sur ce sujet ne sont que des propos stupides qui reflètent sa totale ignorance des réalités en question. Même sans avoir fait la moindre expérience imaginative, il est simplement impossible de penser que les propos de Clement reflètent la pensée de Rudolf Steiner, si l’on fait une étude rigoureuse et approfondie des propos de Rudolf Steiner sur ce sujet. Ce que fait de manière très claire et éloquente Frank Linde.

[53] SKA  7, XXVIII, pp. 321 & 328.

[54] Rudolf Steiner : Impulsions évolutives intérieures de l’humanité / Goethe et la crise du 19ème siècleGA 171, 17.09.1916, p.35.

[55] Une version plus détaillée, qui entre dans d’autres contenus, se trouve publiée dans : www.anthroblog.anthoweb.info.

 

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