Les blogs perso hébergés via Soi-esprit.info

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

chantemerle 2

J'ai évoqué, il y a quelques semaines, la maison familiale de village à Samoëns, en Savoie – rose et magique. J'adorais cette maison qui a été vendue il y a quelques années. Juste après l'entrée, à droite, un escalier en pierre aux larges marches montait à l'étage. Une boule d'or se dressait à la rampe, et à mes yeux elle luisait de mille feux : elle me semblait être la sentinelle d'un monde fabuleux.

Je ne sais pourquoi tout dans cette demeure me paraissait cristalliser l'éternité. Mon père lui préférait le « chalet » – la ferme ancestrale du Tour, sur l'adret de la vallée et la route de Morzine. Son altitude la couvrait fréquemment de neige. Venant alors de Paris – quand, au réveil, je voyais, par la fenêtre, la neige tomber et ayant tout enfoui sous sa blancheur, j'étais évidemment aux anges. Mais la maison manquait de confort, il n'y avait pas d'eau courante et la lumière était faible, je ne pouvais lire à mon aise. Or rien ne me stimulait davantage, dans ma vie. Les lits aux matelas de paille ne me donnaient pas non plus un bon sommeil. Cependant la neige remplaçait tout.

On m'a dit récemment que la famille venait en réalité du petit village de Chantemerle, un peu plus loin vers l'est, sur un promontoire qu'on peut voir d'assez loin. J'y suis allé. C'était incroyable. Un épais bois le surplombe, un clocher élégant le domine, pointu et à bulbe. C'est la Savoie, c'est presque oriental. Si la maison de mon père est isolée sur la pente, le hameau de Chantemerle est plus serré – même si, comme de juste, les maisons ne se touchent pas : nous ne sommes pas réellement en pays latin. Ici, on reste individualiste, comme en Allemagne, comme en Suisse.

La chapelle qui s'y dresse a été vouée au bon saint François de Sales. Peut-être y est-il passé. Il est au moins passé à Samoëns : c'est historique.

Chantemerle est essentiellement fait d'un groupe de maisons savoyardes sombres et massives, avec la partie supérieure en bois – en fait la grange, campée sur l'étage habitable en pierre. Comme on sait, le dessus était fait pour le foin, le dessous pour les hommes et les animaux. On appelle le dessus grange, et non grenier, car pour le grain on construisait de petites maisons en bois à l'extérieur, le foin rendant la maison inflammable. Il n'en était pas moins nécessaire de le placer en hauteur, car la terre en ces lieux est très humide : elle ruisselle d'eau en permanence, et la neige l'imprègne d'eau aussi. Elle est presque aussi verte que l'Irlande. Cela explique l'architecture de ces maisons, qui apparaît comme si jolie et esthétique aux touristes : les Savoyards en auraient été surpris, ce n'était pas leur intention, qui était purement pratique. On a depuis souvent transformé en appartements les granges en laissant à l'extérieur les planches en bois, et en studios les petites maisons à grains – les greniers. En France, d'ordinaire, la grange est une grosse maison à l'extérieur, le grenier la partie supérieure de la maison habitée : c'est trompeur. En Savoie, on a fait le contraire.

Les granges placées à l'étage donnent aux maisons de la Savoie un air massif de château, rappelant les fermes du nord de l'Europe. Le soupçon existe que cette forme ait reçu l'influence des Germains – des Burgondes, réputés originaires ultimement de Norvège, de Bergen. Cela a pu être plus simplement une influence alémane venue de Suisse : à l'époque où celle-ci était barbare, sauvage et pauvre les Alamans migraient volontiers vers le sud, et la vallée de Samoëns en a accueilli beaucoup. Le village voisin de Sixt a été entièrement peuplé d'eux, sous l'impulsion des moines. Les Mogenet en viendraient.

La langue locale, quoique latine de source, a aussi ses sonorités rappelant l'allemand. Les colporteurs savoyards, autrefois, se rendaient surtout dans les Allemagnes catholiques – comme on disait alors, les parties catholiques de l'Europe germanophone : Alsace, Bavière, Autriche. Ils en ramenaient des techniques, des idées, de l'art. On voit notamment des tableaux allemands dans les églises et les chapelles : ils étaient envoyés par les cousins des Allemagnes depuis Vienne, Nuremberg ou Munich. Les clochers à bulbe signalent la prégnance du Saint-Empire romain germanique, dont la Savoie a fait partie quasiment jusqu'au bout. Ils seraient d'origine ukrainienne mais seraient passés par Fribourg, en Suisse.

Comme le bois des granges est devenu sombre, les maisons ont un air de méditation ténébreuse, comme si elles ruminaient dans leur esprit le temps qui infiniment passe !

On songe aux générations de paysans qui ont vécu – rassemblant leurs vaches, dormant dans leurs pièces noires, fiers et mâles sur leur hauteur, face aux grandes montagnes qui ne les éblouissaient pas, mais se tenaient face à eux comme des géants immortels, de glorieuses sentinelles !

Je regardais ce groupe de maisons sur son promontoire, et soudain une vision en moi se fit. Voici qu'elles me semblèrent contenir l'esprit ancestral, qui est celui d'une communauté, d'une famille ! Sa bouche ouverte avait apparemment un message à délivrer – et elle était obscure et large, comme s'il s'agissait d'un ogre, et comme si mon lignage en était issu – en avait été craché, ou bavé.

Quelle fille des hommes ce génie alpin avait-il épousé pour donner naissance à ce peuple d'hommes fiers, regardant droit dans les yeux les sommets aux fronts luisants, aux couronnes de nuées ?

Et je me demande : les villages savoyards matérialisent-ils des ogres, dans le corps desquels les habitants vivaient ?

Oui. Oui, c'est à peu près cela. On ne le sait pas, on ne le voit pas, mais il en est bien ainsi.

Il y avait le génie du foyer – et il était petit en apparence, lorsqu'il vivait dans le feu de la cuisine, sous la hotte. Mais son corps pouvait aussi être immense – et c'est peut-être la taille de leurs maisons, en plus d'être des montagnards libres de tout seigneur local, qui donnait aux gens de Samoëns leur orgueil légendaire, leur sentiment d'appartenir à une race supérieure !

Il y avait une sombre présence, un être élémentaire plus ample que rien n'était aux yeux, et j'étais impressionné.

C'était simplement un beau village, avec ses maisons grosses amassées sur le promontoire, et je me demandais pourquoi je n'y vivais pas, comme si j'aurais dû y vivre, comme si cela avait relevé de l'obligation, comme si j'étais une plante qui eût dû rester fixée en cet endroit. La tentation existait, car cet ogre est lié à Ahriman, quoi qu'on dise – malgré ses bons côtés, les reflets angéliques, par endroits, de sa vieille robe bien usée par les millénaires de vie sur Terre, après la chute initiale !

Les maisons littéralement me parlaient, comme si je les avais toujours connues, et qu'elles me reconnaissaient, moi-même.

Il y avait là quelque chose qui rappelait le sentiment laissé à beaucoup de gens par l'ancienne Rome : le souvenir diffus d'une autre vie, magnifique et somptueuse, mais lourde et virile pour l'âme.

Le génie de Rome a aussi fait le choix de migrer. Tous les esprits finalement font le choix de ne pas devenir l'esclave des autres installés sur Terre et de se tourner vers les étoiles – seule véritable patrie cosmique, sans doute. Il y a un temps où les génies des peuples se spiritualisent, quittent la Terre, rejoignent les dieux dont ils sont issus. Autrefois par exemple le génie du peuple français se confondait avec les rois de France. On vénérait le roi comme son émanation visible. La chute du roi montre que le génie s'est détaché de la vie sociale physique. Le régime politique est détaché du monde spirituel : on attend donc que les gens votent librement, selon leur cœur, ou leurs pensées élaborées. Mais alors, cela veut dire qu'on attend qu'ils se mettent volontairement en relation avec le génie du peuple, pour en être éclairé. Car il n'a pas totalement quitté la Terre, il s'est surtout élevé d'un degré, il a toujours son reflet dans l'air. On peut dès lors créer l'image d'un super-héros de l'Intermonde, à la fois homme et ange, ou entre les deux. Il porte sur lui les insignes du pays – le lys est sur son buste, car il est le vrai héritier des rois, la royauté ayant été spiritualisée. Il soutient la volonté du peuple souverain, absolument pas celle d'un roi qui incarnerait faussement le génie national – même en étant élu et en portant le titre de président. Pour quelque raison, il prend le titre maintenant compris d'emblée de Captain. On peut dire Captain France, Captain Savoy – aussi. J'ai créé ces héros, images psychiques faites pour accueillir l'esprit brillant qui protège les lieux et les gens concernés. Ils témoignent de la spiritualisation du génie national, de son refus d'être saisi dans des personnes distinctes, représentatives – des rois. Ils sont les successeurs des rois, déplacés d'un cran dans le monde spirituel – la nappe éthérique de la Terre. On peut les suivre, sur divers réseaux où je les présente. On les verra bientôt en volumes imprimés – si Dieu le veut. Il est possible que si cela n'arrive pas, malgré les promesses d'éditeurs divers, je finisse par les mettre ici – attention. Pour l'instant je me contente de parler du génie de Chantemerle, ogre sourd qui m'a parlé. Cela se fait sur le mode de la rencontre personnelle. C'est plus accessible, sans doute. À la semaine prochaine !