En juin 2022 est paru sur le web un ouvrage pour le moins étonnant et disons peut-être « téméraire » sous le titre « Ending the Russo-Ukrainian War Through the Separation of Culture and State ». L’auteur en est Travis Henry.
Ce document de 116 pages richement illustrées peut être téléchargé gratuitement au format PDF sur cette page : https://www.gottlieb.institute
Trois actions constituent le cœur de la proposition de Travis Henry :
- Reconnaître internationalement la patrie historique de l’Ukraine et la patrie historique de la Russie. Au travers de nombreuses cartes et exemples, il apparaît non seulement que les patries historiques de l’une et l’autre entité sont beaucoup plus vastes que les frontières des États actuels, mais aussi qu’elles se chevauchent, qu’elles ont fortement varié dans le temps et le feront encore à l’avenir. Si l’on comprend la notion de « patrie » comme relevant de la culture de certains peuples, alors force est de constater que la patrie historique de la Russie, par exemple, s’est autrefois étendue jusqu’en Amérique du Nord.
- Mettre totalement fin à l'actuelle ukrainisation de la communauté russophone imposée par l'État, en facilitant fortement la séparation structurelle-constitutionnelle complète de la culture et de l'État dans toute l'Ukraine.
- Mettre en œuvre un condominium binational dans les territoires contestés et occupés (pour saisir ce dont il s'agit dans l'esprit de l'auteur... il faudra bien se résoudre à lire l'ensemble du document :-) ).
Note : dans cet ouvrage, il faut entendre par « Nation », non pas l’État-Nation, mais une « organisation de la vie culturelle libre », qui trouve son fondement ultime chez l’individu. En page 51 : « Chacun a le droit de déterminer et d'indiquer sa nationalité. Nul ne peut être contraint de déterminer et d'indiquer sa nationalité ». En page 50 : «(...) la véritable liberté de nationalité exige qu'aucune entité gouvernementale ne puisse "attribuer" une nationalité à un individu. Et aussi, les individus seraient libres de s'identifier à autant de nationalités qu'ils le souhaitent, plutôt que d'être contraints de choisir une seule nationalité (...) ».
Ceci n’apparaissait pas aussi clairement dans les premières pages, à la lecture desquelles on aurait pu comprendre que c’étaient des institutions culturelles (et non pas les individus) qui déterminaient in fine leur contenu, territoire, organisation, etc.
Remarquons encore qu’en Russie, le terme « nationalité » ne se réfère pas tant à la citoyenneté (= membre de l’État) qu’à l’appartenance à diverses minorités… (cfr. https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/2107_rus_minorites_ethniques_153828_web.pdf )
Nous ne faisons ici que relater l’existence de l’ouvrage de Travis Henry, sans déjà en avoir fait une analyse approfondie. S’il comporte selon notre trop rapide première lecture certaines faiblesses ou points discutables, voire aussi des considérations parfois quelque peu naïves, il nous semble que son immense mérite consiste à ne pas s’en tenir seulement à des réflexions portant sur la guerre actuelle, ses protagonistes, ses causes et ses conséquences possibles, mais aussi à être force de propositions d’idées concrètes (certes perfectibles et « follement audacieuses »), qui si elles étaient largement diffusées, comprises et peaufinées, pourraient ouvrir des perspectives de sortie de guerre. À vrai dire, peu à peu appliquées à large échelle, et pas seulement à la situation de l’Ukraine et à la Russie, elles sont de nature à prévenir un grand nombre de conflits et de guerres à venir.
La tragédie actuelle constitue en quelque sorte un nouvel appel, une nouvelle invitation, à se saisir avec sérieux et profondeur de ces concepts (inspirés par la triarticulation sociale), à les approfondir, à les retravailler en vue de les faire connaître et bien sûr les réaliser petit à petit.
Stéphane Lejoly