Bonjour,
J’aimerais partager avec vous quelques impressions suite à la lecture de cet article de Christoph Hueck.
L’auteur présente le cas du « riz doré » comme un exemple d’application non-égoïste du génie génétique. Cette application serait donc de ce fait bénéfique pour l’humanité souffrante de carence en vitamine A (à la différence d’autres applications ayant pour but de générer des profits).
On peut d’abord se demander d’où provient une telle situation de carence ? De quand cela date-t-il ?
Dans de nombreux pays, la transformation de l’agriculture vivrière en agriculture intensive de productions spécialisées destinées à l’exportation vers les pays « riches » a considérablement augmenté les problèmes de sous-nutrition et de mal-nutrition. Comme l’écrivait Majid Rahnema, « quand la misère chasse la pauvreté »...
Christoph Hueck le reconnaît : « La culture de légumes propres serait assurément l’alternative la plus saine et complète ». Pourtant, il balaie cette option en quelques mots : « mais dans la réalité de la vie concrète des personnes concernées, cela n’est pas réalisable », sans plus de détails, pour ensuite défendre une solution qui serait rapide et efficace : la culture massive d’un riz OGM. C’est assez troublant...
En médecine, la guérison passe par la recherche des causes profondes de la maladie, pas simplement par la suppression des symptômes (ces signaux du corps et de l’âme qu’on cherche trop souvent seulement à baillonner).
Sur internet et dans les médias, la polémique est vive. On peut s’en faire une idée en consultant l’article de Wikipedia relatif au riz doré:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Riz_dor%C3%A9
ou bien le site d’une association opposée à la dissémination des OGM :
https://www.vigilanceogm.org/index.php/articles/riz-dore
Revenons sur la notion de désintéressement mise en avant par Mr Hueck.
Dans un dossier spécial des années 90 de la revue aujourd’hui disparue Lettre aux Amis des Champs et des Jardins intitulé « La protection du consommateur », un autre auteur allemand, Udo Hermannstorfer, se penche sur la question de la certification des produits agricoles et du contrôle. Il écrit : « Travailler en respectant la terre, favoriser la santé des hommes ou rechercher une plus grande justice sociale peuvent être des bases de motivation intérieure qui conduisent une personne à respecter un « cahier des charges » même sans contrôle extérieur. [...] Cependant, cette motivation personnelle ne sera véritablement féconde qu’à partir du moment où elle sera éclairée par une connaissance précise du contexte et des êtres avec lesquels on agit. Lorsque cette base de connaissance manque, la simple motivation peut donner des résultats opposés à ce que se représentait peut-être celui qui agit. « Je voulais pourtant bien faire » est l’excuse que nous employons souvent pour les actions dont nous ne découvrons le contexte global et les conséquences qu’après les avoir éxécutées. »
Excusez la longueur de la citation mais elle me semble particulièrement éclairante. Savons-nous vraiment ce que nous faisons en modifiant génétiquement des êtres vivants ? Ces questions ne sont-elles que « des craintes théoriques et des réflexions de principes face aux végétaux génétiquement modifiés » comme l’écrit Mr Hueck ? Vu le caractère probablement irréversible de la dissémination d’OGM à grande échelle, ne vaut-il pas mieux appliquer pleinement le fameux principe de précaution et pousser (beaucoup) plus loin les recherches ? « Une application, rien qu’en Inde déjà, épargnerait des centaines de milliers de vies. » assure Mr Hueck, voulant assurément bien faire ! Mais en est-on si sûr ? Si la présence de pro-vitamine A dans le riz doré a été mise en évidence, son efficacité dans le « traitement » des carences n’est pas documentée, et il n’y pas eu d’étude sur son éventuelle toxicité...
J’aimerais développer un peu la question des vitamines et des problèmes de carence. Les recherches du chimiste Rudolf Hauschka l’ont amené à remettre en question l’équation [ une vitamine = une molécule particulière ]. En effet, d’après lui, les « vitamines » sont avant tout des processus, plus que des substances, et il vaudrait donc mieux parler d’« effet vitaminique ». Dans cette optique, qu’en est-il de la qualité d’une « vitamine » issue d’un gène introduit artificiellement dans une plante, par rapport à celle produite naturellement ? Par exemple, quand on utilise la méthode des cristallisations sensibles pour comparer de la vitamine C extraite à partir de fruits avec de la vitamine C de synthèse, le résultat est sans appel : si la vitamine C extraite présente des qualités vitales certaines, la vitamine C synthétique (une molécule chimiquement identique !) est une substance quasiment morte. Certes la vitamine A produite par le riz doré n’est pas à proprement parler synthétique, mais que penser de l’effet sur la cohérence globale d’un être vivant de l’introduction, si précise soit-elle, d’une information génétique complètement étrangère ? Mr Hueck écrit : « Je ne souhaiterais pas ici affirmer [...] que la modification génétique fût de nature quelconque à influencer les forces de vie de la plante »... Certes, mais les recherches dans ce domaine restent à mener ! Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut pas affirmer non plus le contraire. Et que dans le cas des plantes hybrides F1 par exemple, ces forces de vie sont clairement modifiées, dans le sens d’une augmentation de la puissance végétative de la plante (volume, rendement) au détriment de sa capacité à mûrir et à se structurer harmonieusement (arômes, conservation, qualités nutritives, évaluation par cristallisation sensible).
En prenant en compte ces considérations, mon sentiment est que le parallèle fait par Mr Hueck entre cet exemple de riz OGM et le « chemin en quatre degrés vers une expérience cognitive éprouvée » décrit par Rudolf Steiner est bien hasardeux... Finalement, c’est la vision simpliste de la génétique comme science (et technologie : on peut l’appeler une technoscience) qui pose question. Même si le « dogme de la biologie moléculaire », qui soutient qu’un gène (portion d’ADN) code pour la fabrication d’une protéine, elle-même responsable d’une (ou un nombre limité de) fonction(s) dans l’organisme, est remis en cause par les découvertes (plus ou moins) récentes et le développement de ce qui est appelé « l’épigénétique », on continue, avec les OGM comme avec la nouvelle technique CRISPR-Cas9, à considérer les cellules et les organismes de manière utilitariste, comme des machines : des usines de production de molécules d’intérêt, programmables et reprogrammables à l’envi. Est-ce bien cela faire preuve de « vénération » et de « dévouement » ? Ne manquons-nous pas cruellement de cette « maturité » dont parle Steiner ?
Il ne s’agit pas de fermer la porte définitivement et dogmatiquement à toute possibilité pour l’humain de faire évoluer plantes, animaux et autres micro-organismes. Les animaux d’élevage, les plantes cultivées, sont issus de l’action des hommes et des femmes durant des millénaires. Une question clé est alors Comment procède-t-on ? Je citerai à nouveau Hermanntorfer : nous avons besoin d’une « connaissance précise du contexte et des êtres avec lesquels on agit ». A ce propos, une étude plus approfondie de ce qu’est l’ADN serait sans aucun doute profitable.
On peut trouver des pistes dans la brochure de Jacqueline Bascou éditée par l’APMA (Associations des Patients de la Médecine Anthroposophique) intitulée « Les gènes, l’ADN et la vie ». On peut y lire : « Chez les micro-organismes, les gènes sont continus et groupés par fonctions. Chez les eucaryotes, les gènes sont souvent morcelés en plusieurs parties qui doivent être recollées pour qu’un message unique puisse être traduit dans les cellules. [...] En d’autres termes, les génomes bactériens apparaissent comme des objets plus évolués, finis tels des pièces d’orfèvrerie, les génomes des eucaryotes, et celui de l’homme en particulier, apparaissent comme des bric-à-brac. [...] Enfin, il apparaît aussi que le déterminisme génétique est moins grand chez les organismes supérieurs (eucaryotes) que chez les bactéries. Par exemple, du fait des gènes morcelés, des variations existent lors des recollages nécessaires pour élaborer un message traductible. Certaines parties peuvent être choisies à un moment donné de la vie de la cellule et d’autres à d’autres moments. Ainsi à une même séquence d’ADN peut correspondre une famille de protéines. Ce n’est plus l’ADN qui donne des ordres, mais c’est la périphérie, le contexte de vie. Le jeu de la vie que l’on croyait réduit à l’ADN reprend son espace. L’ADN n’est-il pas en fait la marque du passé ? une molécule dont le rôle est appelé à diminuer ? »
Un peu plus loin elle poursuit : « Une première constatation s’impose, l’ADN ne détermine pas toute la vie. Il joue un rôle mais toujours associé à des protéines en relation permanente avec le contexte de vie. Le flux d’information va dans les deux sens : de l’intérieur vers la périphérie et de la périphérie vers l’intérieur. De plus, l’importance de l’ADN est plus forte chez les bactéries (et les virus) que chez les autres organismes. Comme il a été dit, leur ADN est plus fini, celui de l’homme, en particulier, apparaît plus flou. Et que dire de tout cet ADN dont on ne connaît pas le rôle. Ne peut-on voir dans l’ADN humain vers une plus grande influence du spirituel sur la matière. »
Il y a là de quoi stimuler la réflexion !
Une dernière remarque pour terminer : Mr Hueck fait aussi référence dans son article à la Philosophie de la Liberté, ouvrage dans lequel Rudolf Steiner défend la notion d’individualisme éthique. Hueck nous demande : « Peut-être qu’il serait plus facile de découvrir la règle de conduite d’une décision morale, si l’on s’interrogeait simplement : comment déciderais-je moi-même si toute l’affaire dépendait de moi et si je pouvais ou devais me dire le matin : «riz doré» oui ou non ? » N’est-ce pas saugrenu ? Car « toute l’affaire » ne peut précisément pas dépendre d’un seul et unique individu ! C’est une question éminemment sociale et collective, n’est-ce pas ?
Florent Vial
Formation initiale scientifique, expérience dans la recherche publique et l'enseignement.
Aujourd'hui boulanger avec sa compagne, quelque part à la campagne dans le sud-ouest de la France.
Investi en tant que chercheur indépendant dans l'Observatoire Associatif pour la Pratique des Tests Sensibles (OAPTS). Cette association vise à promouvoir la santé des sols, des plantes, des animaux et des hommes, à travers l'utilisation de méthodes qualitatives (en particulier la cristallisation sensible) comme outil pour mettre en évidence et évaluer la vitalité des substances issues du vivant, alimentaires ou médicinales.