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 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • « (…) Si les gens qui défendent une conception du monde scientifique n’étaient pas trop paresseux pour méditer leurs concepts, leurs conceptions du monde, scientifiques et matérielles, ceux-ci les conduiraient assez rapidement à la science de l’esprit. Il ne s’agit donc pas du contenu des concepts de la science naturelle, mais de la façon de les traiter. Ces concepts sont fins, intimes, mais leur application par les hommes reste d’esprit matérialiste (…). »

    Stuttgart, 24 février 1918 - GA174b

    Rudolf Steiner
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Il y a déjà pas mal de temps, Le Monde diplomatique a fait paraître, sous la plume de Jean-Baptiste Malet, un article à charge contre Rudolf Steiner et l’anthroposophie que leurs pourfendeurs continuent d'adorer citer, malgré des articles plus récents, parus dans Le Monde tout court, qui ont démontré que l'essentiel des accusations lancées était fallacieux, et n'était fait que pour trouver de bonnes raisons de s'en prendre à l'anthroposophie. L'idée même, tendancieuse, de multinationale de l’ésotérisme, était issue d'un article du sociologue Stéphane François paru dans Critica Masonica, qui essayait d'évaluer moralement l'anthroposophie, parce qu'elle était, disait l'auteur, à la mode. Même s'il modérait ses critiques, Stéphane François, de toute façon quelqu'un de modéré et de centriste, suggérait des déviances qui n'avaient plus qu'à s'exprimer plus passionnément chez des auteurs moins exposés, tels que Jean-Baptiste Malet, ou même des organes moins faciles d'accès, tels que Franc-Maçonnerie Magazine.

Car si, dans ce dernier journal, Jean-Moïse Braitberg a concédé que Rudolf Steiner avait conçu génialement la biodynamie, en sondant de l'intérieur les forces de la Nature, quelque temps plus tard, Jean-Philippe Fons devait dénoncer une tendance à la mythologie, dans les écoles Steiner, qui lui paraissait aller contre l'esprit scientifique - et de critiquer en particulier la présence de la mythologie germanique, pourtant accessible à tous depuis que la compagnie Marvel a édité et produit des comics et des films sur Thor et Odin. Or, Stéphane François, dans d'autres articles, devait dénoncer lui aussi le lien entre la biodynamie et le culte des êtres élémentaires dans la poésie romantique allemande, ce qui pourtant ne fait que la rapproccher de la tradition asiatique, par rapport à la française. Car en Corée, en Thaïlande, au Cambodge, on a des poèmes à la gloire des dieux qui dirigent les éléments, et on les récite en chœur lors des grands événements, en les accompagnant de danses, de chants, notamment lors des fêtes propitiatoires agricoles. Quoique la biodynamie reste plus sobre et européenne, cela n'a pas empêché Stéphane François d'affirmer un lien avec le nazisme, parce que selon Jacques Bergier Adolf Hitler essayait de conjurer les forces élémentaires dans ses guerres contre tout le monde, en invoquant Wotan et le Walhall. Je me souviens que dans ses discours, Charles de Gaulle déjà dénonçait ce néopaganisme au nom du christianisme, et des Francs qui s'y étaient convertis. Car eux aussi, selon Grégoire de Tours, adoraient les éléments en y plaçant Wotan et les autres; et De Gaulle ne l'ignorait pas. On répétait les guerres de Charlemagne le chrétien contre les Saxons païens, elles-mêmes chantées dans plusieurs chansons de geste; car Charlemagne dans la tradition historique et poétique ne s'est pas seulement battu contre les païens du sud, aussi contre ceux du nord. Cependant, il était germain lui-même, s'habillait selon sa mode franque, le francique, une sorte de néerlandais primitif, était sa langue naturelle, il n'avait appris le latin qu'ensuite. Et il a fait rassembler, selon son biographe Eginhard, les chants et récits de son peuple dans sa propre langue, signe qu'il ne rejetait absolument pas le patrimoine germanique.

D'ailleurs, celui-ci est bien présent dans nos chansons de geste. Leurs personnages se comportent bien, à peu près, comme ceux de l'Edda scandinave, et Roland a l'orgueil de Thor, et il sonne du cor quand il est battu par le dragon sarrasin, comme Heimdall quand arrive le Ragnarok. Cependant, la différence est que Charlemagne, à cheval sur les deux cultures, ou les deux époques, ne meurt pas sur le champ de bataille comme Odin, mais domine ses adversaires, guidé, dit La Chanson de Roland, par l'ange Gabriel. Tels que les décrit aussi Grégoire de Tours, les Francs du temps de Clovis et de son successeur Gontran se comportent encore bien comme des héros germaniques, comme les archétypes de leurs anciens récits, comme les dieux qu'ils chantaient autrefois. L'épisode du vase de Soissons en dit long, sur la question. Il est sublime, et en parler aux élèves est important, car il applique un principe appliqué constamment par les Francs, et qu'ils énonçaient en latin: Differs ultionem. Attends, pour te venger, pour exercer la justice, que les choses aient refroidi. C'était d'ailleurs aussi une vertu romaine, et raconter les aventures de Roland et Charlemagne, c'est raconter à la fois celles d'Odin et Thor, et enraciner la France dans la romanité, que les Francs assumaient, reprenaient à leur compte: le modèle de Louis le Débonnaire, fils de Charlemagne, était notoirement l'empereur Constantin.

Pour ce qui est de l'esprit scientifique, rappelons que Jean-Jacques Rousseau aussi condamnait l'apprentissage intellectuel trop précoce. Exactement comme plus tard Rudolf Steiner, il préconisait que le monde des idées ne soit enseigné que quand l'enfant était déjà bien formé physiquement. Pourquoi? D'un strict point de vue rationnel, l'enfant, inférieur physiquement à l'adulte, ne peut exercer son esprit critique face aux idées que ceux-ci versent dans son âme: il les reçoit passivement, et, impressionné par l'adulte, est toujours plus ou moins endoctriné. Si on ne veut pas qu'il le soit, il faut attendre qu'il ait acquis ces forces intérieures qui ne le permettront pas, qui lui permettront d'exercer un véritable esprit critique. Or, selon Rousseau, ces forces étaient bien sûr acquises par les travaux manuels et la dépense physique, mais aussi, plus tard, par des récits édifiants tirés de l'ancienne Rome, de la république romaine qu'il admirait tant, et qui est bien à l'origine de la république française, dans ses principes. De même que le royaume des Francs s'inspirait de l'Empire romain, de même, la république française s'inspire de la romaine. Ces récits fortifiaient en l'enfant l'âme, le jugement, par des modèles proposés, des images fortes. Ensuite, guidé par ces modèles, il pouvait, plus tard, exercer son esprit critique intellectuellement. Paradoxalement, puisque Rousseau prônait le récit d'actes héroïques, tels par exemple que ceux de Caton d'Utique, cette force modélisante pouvait même permettre de remettre en cause certaines idées de Caton d'Utique: il ne s'agissait pas d'endoctrinement.

Il est vrai que Rudolf Steiner, autrichien qui n'avait pas une culture classique aussi détaillée que celle de Rousseau, qui n'avait pas appris le latin dans son enfance, avait des références moins romaines, moins républicaines, si on veut. Mais il en avait aussi, il les donne, elles sont présentes, dans l'évolution des études des écoles Waldorf. Et puis les vertus dans le monde ne sont pas seulement romaines, quoiqu'ait cru Rousseau. Steiner voulait, dans un esprit réellement universaliste, qu'on puisse appréhender celles de tous les héros, de tous les pays. Les mythologies invoquées sont celles des Grecs, des Égyptiens, des Indiens, aussi bien que celle des anciens Germains. Il est vrai, aussi, que Rousseau était rationaliste et n'aimait pas le merveilleux, et que ces mythologies en contiennent: même nos chansons de geste en contiennent, faisant intervenir les anges et les saints du ciel, ou plaçant contre les Francs des sorciers, des géants et des démons. Mais le merveilleux détachant l'enfant de la pression du monde physique, il forme avec d'autant plus de force son intériorité, la laissant à l'abri de la force des adultes. Les programmes officiels contiennent bien les Contes de Charles Perrault et les Métamorphoses d'Ovide, qu'il a toujours été recommandé (notamment chez Montaigne) d'enseigner aux enfants. On sait que l'imagination donne de la force intérieure aux enfants, et donc les maintient en bonne santé, puisque la croissance en eux nécessite de grandes forces intimes. Bien sûr il ne faut pas qu'elle devienne obsessionnelle, mais précisément ces mythologies classiques l'empêchent: ce sont les succès publics contemporains, avec les films et les images, les effets de masse, qui créent des obsessions en faveur de Harry Potter ou de Spider-Man. Refuser aux enfants l'accès de ces mythologies anciennes, si belles et équilibrées, est les exposer à l'aspiration intérieure vers les illusions de la production culturelle américaine. Est-ce cela, qu'on veut?

L'universalisme de Steiner, qui le poussait à conseiller des mythologies de tous les pays selon l'âge des enfants, a peut-être bien fait naître en Stéphane François son expression de multinationale de l'ésotérisme pour l'anthroposophie. Alors qu'il l'accuse par ailleurs d'être trop marquée par la tradition allemande, c'est fort de café. Reconnaît-il implicitement, ainsi, que Goethe et Schelling sont plus universels que Victor Hugo et Descartes? On ne va pas, bien sûr, commencer à faire des compétitions entre les Allemands et les Français, alliés et amis - en théorie. Rappelons que l'hymne européen est un poème magnifique de Schiller mis en musique par le grand Beethoven, et que l'Europe pourrait être mieux construite, si les Européens, Français compris, l'apprenaient à l'école en langue originale. Mais Stéphane François est peut-être comme Michelet dans l'idée que seule la France a le droit d'être universelle dans ses perspectives: je ne sais pas. Qu'il faudrait être complètement et seulement français, si on veut être universel, et ne pas perdre de temps à apprendre l'allemand ni même l'anglais. Il serait dans le fanatisme de Rivarol, en quelque sorte.

Ce chauvinisme à prétention universaliste, héritier du colonialisme et de Jules Ferry, nourrit en réalité l'imaginaire du Monde diplomatique et de ses lecteurs, qui pensent au nom des pauvres mais qui ne voient, comme solution en leur faveur, que les États-Nations, en particulier la France, qu'ils croient à cet égard parfaite. Rappelons à cet effet ce que Machiavel énonçait: pour se faire obéir du peuple, un prince doit toujours faire croire qu'il est bon, et a comme seul souci de rétablir l'égalité entre les pauvres et les riches. Ne soyons pas trop dupes. Ce qui est universel, c'est l'univers, c'est l'humanité entière, avec ses Asiatiques qui invoquent les êtres élémentaires pour faire fleurir leurs vergers, avec ce qui reste de mythologie germanique dans l'histoire franque et donc dans la France elle-même, ou les pays occidentaux en général, et avec bien sûr ce qui est venu des Juifs, des Grecs et des Romains, si importants pour les Allemands eux-mêmes. Le terme de multinationale suggère un capitalisme sauvage et méchant, aux petits Français habitués que l'État les protège, mais que Steiner n'ait pas été communiste ne signifie pas qu'il ait été libéral au sens le plus sauvage. Il ne concédait la validité du libéralisme que dans la vie culturelle, qu'il voulait absolument libre - et il y mettait l'éducation, aussi effrayant cela soit-il aux Français traditionnels. Dans la vie économique, il a toujours dit que l'État devait agir pour protéger les droits des individus, et que précisément l'argent donnait des droits: donc le droit à l'éducation doit être assuré par l'État. Mais pas (forcément) l'éducation elle-même: il s'agit du coût. C'est de cela qu'il parlait. Les pauvres n'ont pas à s'inquiéter. Les fonctionnaires et journalistes (subventionnés) qui veulent diriger la vie culturelle évidemment ne sont pas d'accord avec lui, et on comprend qu'ils ne l'aiment pas beaucoup. Mais de là à le traîner dans la boue et à en faire une sorte de gangster...

On raconte que Jean-Baptiste Malet serait allé au Goetheanum et y aurait été très bien reçu, grâce à un article qu'il a écrit contre les tomates toxiques. Il a donc beaucoup déçu. Mais je m'y attendais, car quand j'étais jeune, j'ai essayé de lire Le Monde diplomatique, mais pour moi, même les articles justifiés en soi, critiquant les méfaits du capitalisme, revenaient toujours à poser, implicitement, l'État-Nation à la française - et même l'État-Nation français - comme solution. Or, je n'y crois absolument pas, car je crois aussi à la liberté dans la vie culturelle, que cet État ne permet pas tellement, ou pas assez. J'aimais aussi la mythologie, quand j'étais petit, et la jugeais fortifiante et éclairante, et ensuite, le fait est qu'en philosophie, j'ai été très bon. Réfléchissons aux véritables raisons pour lesquelles certains instituteurs n'aiment pas la mythologie: avec elle, l'âme de l'enfant leur échappe, ils ne peuvent plus la modeler comme ils veulent, et cela les agace. J'agaçais, oui, par ma capacité à remettre en cause des certitudes, des idées toutes faites. Ou j'amusais, car je ne le faisais pas méchamment. Mais c'est cela, l'esprit critique. C'est cela qu'il fait: agacer les autoritaires. Et, comme aurait dit Stendhal, il réjouit les hommes d'esprit. Et même si Stendhal, matérialiste, détestait la mythologie en général, je le dis: la mythologie plaît aussi aux hommes d'esprit.

 

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