Robert Fludd , Utriusque cosmi historia , Oppenheim / Francfort, 1617–1621.
Extrait de la première conférence du cycle « Formation du destin – Vie après la mort »
Berlin, 16 novembre 1915
Rudolf Steiner – GA157a
2005 - Éditions Anthroposophiques Romandes
Traduction : Claudine Villetet
(...) La première chose qui s'impose quand on dépasse les préjugés les plus étriqués du matérialisme - j'entends par là toutes les assertions qui nient catégoriquement l'existence d'un monde spirituel - c'est d'en admettre un. Le champ de vision de ceux qui ne nient pas ce monde spirituel, mais affirment seulement qu'on ne peut rien en savoir par des moyens purement humains, est déjà un peu plus large. Comme je l'ai dit, si vous ne défendez pas le premier point de vue matérialiste, très étriqué, et que la vie vous apporte la maturité suffisante - et elle peut l'apporter rapidement - vous pourrez admettre l'existence d'un monde spirituel, même si vous niez qu'il soit accessible à la connaissance humaine, vous serez conduits à penser que le savoir et les objectifs envisageables dans le cadre du monde matériel ordinaire sont peu de choses, comparés à la grande richesse qu'offre le monde spirituel qui s'étend derrière le monde sensible.
Certes, il y a à notre époque des âmes matérialistes étriquées, qui veulent enfermer l'être humain dans un cadre si limité qu'elles le réduisent à un animal supérieur, plus développé, certes, mais animal avant tout. Oui, il y a des gens comme ça. Mais ils seront de moins en moins nombreux car, comme nous l'avons vu souvent, même la science officielle ne retient pas ces préjugés. Commencer à admettre que l'être humain recèle quelque chose qui dépasse les données naturelles extérieures, c'est découvrir ensuite très rapidement le caractère limité, très circoncis de la réalité physique sensible, par rapport à l'immensité et à la puissance véritables du monde.
Et, quand on regarde ensuite l'être humain, quand on prend conscience de ce qui vit en lui, de ce qui peut y vivre, on est amené à dire : le monde spirituel est vaste, sa richesse infinie, mais l'être humain est une sorte de microcosme. Tout inconnue qu'elle nous paraisse encore, la richesse entière du monde spirituel est présente en son être.
Même si les zones les plus enfouies du monde spirituel demeurent cachées au regard sensible dans les profondeurs de l'âme qui les abrite, elles font vraiment partie de l'être humain. Ce dernier n'est pas seulement, comme son corps physique, une combinaison de forces et de substances extérieures, physiques, il est le résultat du monde entier, un véritable microcosme. Et nos activités, nos recherches sont en grande partie destinées à montrer dans le détail en quoi l'homme est une résultante du monde spirituel, dans la mesure où l'on ne trouve pas en lui que les forces de cette terre, mais celles du ciel entier, pourrait-on dire.
Une fois qu'on a saisi cette idée, on réalise du même coup que la science ordinaire ne nous livre qu'une connaissance fort restreinte de l'être humain : cette science appréhende une partie des lois naturelles, et on l'acquiert entre la naissance et la mort. Mais il suffira d'approfondir un peu la science de l'esprit, - non pas en récitant des dogmes mais en énonçant les énigmes de la vie - pour convenir que, si l'on veut connaître l'être humain, on doit se tourner vers quelque chose de tout autre que le peu de savoir extérieur accessible entre la naissance et la mort par les moyens corporels: les sens extérieurs et l'entendement lié au cerveau.
Maintenant, mes chers amis, relions cette idée à une autre, celle qui constitue, pour ainsi dire le fil rouge de toutes nos études : l'idée des vies terrestres répétées. Ce qui doit venir en premier à l'esprit de ceux qui ont un peu étudié nos conceptions, c'est que le temps que nous passons ici entre la naissance et la mort est relativement court, comparé au temps que nous passons dans le monde spirituel entre la mort et une nouvelle naissance. À partir des points de vue les plus différents[1], nous avons développé ceci : en général, ce temps que l'être humain doit passer entre la mort et une nouvelle naissance est beaucoup, beaucoup plus long que celui d'une vie physique, ici-bas, entre la naissance et la mort.
Il y a un lien entre ces deux idées que je viens de formuler : le rapport du peu de savoir et de fruits de vie que nous acquérons entre la naissance et la mort à la richesse spirituelle des mondes auxquels appartient l'être humain, est équivalent au rapport de la brève durée de la vie physique à la longue durée qui sépare la mort d'une nouvelle naissance. Car en fait - vous vous en convaincrez en examinant nos considérations antérieures - l'âme humaine entre la mort et une nouvelle naissance a pour mission de s'approprier de tout autres forces et connaissances que celles que l'on s'approprie ici dans la vie physique. On peut vraiment dire, mes chers amis, que lorsque nous pénétrons ainsi dans la vie terrestre physique, lorsque nous arrivons du monde spirituel et que nous sommes insérés dans le corps donné par le courant héréditaire venu de nos ancêtres, notre tâche consiste à disposer de toutes les forces et de toutes leurs fines ramifications nécessaires à l'organisation de ce corps.
Voyez-vous, notre corps, tel que nous le recevons, ce sont nos parents qui le mettent au monde. Mais à ce corps se lie notre être spirituel et psychique, qui a passé auparavant une longue période dans le monde spirituel entre la mort et une nouvelle naissance. Si nous pouvions voir - à supposer que l'on puisse envisager cette hypothèse un bref instant - ce que peut devenir cet être humain extérieur à l'aide des seules forces de l'hérédité, les forces propres à la substance transmise par les parents, nous verrions qu'avec ces forces, l'être humain ne peut pas devenir celui qu'il est. Dans ces forces qui constituent notre existence physique extérieure, dans ces substances, ces structures organiques, dans la forme que nous recevons des parents, nous devons couler l'âme que nous apportons et en faire, à partir d'éléments abstraits, la personnalité individuelle que nous sommes.
Comme nous l'avons dit, c'est une hypothèse folle, mais qui nous sert à mettre une chose en évidence : imaginons ce qui se passerait si vous ne pouviez naître que de vos parents ? Faisons ici abstraction du karma, qui nous fait naître bien sûr dans telle ou telle famille, ne regardons que l'hérédité physique : vous seriez alors tous des êtres humains semblables, vous n'auriez que le type humain physique universel ! Si vous êtes un individu déterminé, si un nombre défini d'individus est assis ici devant nous, c'est parce que l'archétype humain universel est ciselé, jusque dans ses structures les plus fines, par l'individualité spirituelle qui vient du monde spirituel et plonge dans ce qui est donné par les parents. Pour cela, de même qu'il faut avoir des doigts pour saisir un objet dans le monde physique et de même qu'il faut voir l'objet pour le saisir, qu'il faut avoir des organes et avoir appris à saisir quelque chose - l'enfant ne sait pas attraper un objet, il doit apprendre -, il faut apprendre à s'adapter aux différents organes qui constituent notre organisme physique.
N'est-ce pas, nous avons des oreilles «de type universel», mais nous avons une audition individualisée. Nous avons des yeux «de type universel», mais notre vision est individualisée. C'est encore sur les organes extérieurs que ce phénomène est le moins perceptible, mais pour le comportement intérieur de l'homme, cela est déjà plus apparent. C'est pourquoi nous devons faire entrer notre âme et notre esprit dans tous ces organes qui constituent un support tout à fait général, il nous faut les modeler de façon individuelle, nous devons connaître les forces, les « gestes » intérieurs, de nature psychique et spirituelle, qui donneront une forme individuelle à nos organes héréditaires, nos oreilles, notre nez, nos yeux, notre front. C'est-à-dire que, quand nous entrons dans le monde physique par la naissance, nous devons avoir des connaissances, et pas seulement des connaissances mais des possibilités pratiques d'utilisation de cette merveilleuse construction architecturale humaine, dont la science extérieure nous apprend si peu[2]. Nous devons, par exemple, connaître intérieurement toute la fine architecture du cerveau, parce qu'il nous faut l'organiser de part en part de l'intérieur. Et toutes ces interventions d'ordre psychique et spirituel, tout ce qui nous permet d'être un homme dans un corps humain entre la naissance et la mort, tout cela, il nous faut l'acquérir. De même qu'il nous faut acquérir de l'habileté dans les choses de la vie, il nous faut acquérir, entre la mort et une nouvelle naissance, la faculté de pouvoir être un homme dans la vie physique.
Il faut que nous saisissions bien cela, mes chers amis, il faut que cela soit clair pour nous. Et nous pourrons alors nous faire une idée des lacunes que comporte une connaissance purement physique de l'être humain et de ce qu'il nous faut découvrir par cet autre savoir que nous devons pratiquement nous approprier entre la mort et une nouvelle naissance. Mais, nous le savons, ce savoir-là est construit sur tout ce que nous nous sommes appropriés dans nos vies terrestres antérieures. Notre vie physique ici-bas, entre la naissance et la mort, est réglée, comme l'est aussi notre vie entre la mort et une nouvelle naissance. Le petit enfant, n'est-ce pas, entre dans la vie physique mi-dormant, mi-rêvant. Nous n'avons tout d'abord aucune mémoire, nous apprenons peu à peu à la développer. Mais si nous y regardons de plus près, nous découvrons qu'à l'époque précédant le développement de la mémoire, l'enfant doit faire certaines acquisitions pour s'adapter au monde extérieur. D'abord, il marche à quatre pattes, puis il apprend à saisir les objets. Il acquiert systématiquement certaines aptitudes. Il apprend à cette époque beaucoup de choses, beaucoup plus qu'on ne l'observe habituellement. Puis, à chaque période de la vie, ce qui est assimilé sert de base à ce qui s'acquiert ensuite. Le cours de la vie humaine est donc structuré, lui aussi, entre la naissance et la mort, comme l'est le corps physique. De même, la vie entre la mort et une nouvelle naissance obéit à certaines règles. Il nous suffit de regarder quelques points que nous connaissons depuis longtemps, pour découvrir à quel point cette vie-là obéit à des règles précises. (...)
[1] Voir les conférences de Berlin du 5 Novembre 1912 au 1er avril 1913, La vie entre la mort et une nouvelle naissance, GA141, EAR et les conférences de Vienne, du 6 au 14 avril 1914, GA153, Vie intérieure, mort et immortalité, Triades.
[2] Ndlr : Il ne s’agit évidemment pas de « connaissances » mise en œuvre par l’embryon ou le petit enfant sur base de sa conscience éveillée, diurne, mais d’une sagesse agissante mise en œuvre à partir de sphères autres que cette forme de conscience. Ces notions sont à approfondir en étudiant la science de l’esprit d’orientation anthroposophique.
[Caractères gras, italiques et soulignés S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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