Extrait de la première conférence du cycle « Formation du destin – Vie après la mort »
Berlin, 16 novembre 1915
Rudolf Steiner – GA157a
2005 - Éditions Anthroposophiques Romandes
Traduction : Claudine Villetet
Ndlr : Cet extrait de conférence présuppose une étude préalable de concepts de base de la science de l’esprit d’orientation anthroposophique pour pouvoir en pénétrer pleinement la compréhension. Voir par exemple ici : Ouvrages de base
(...) Vous savez que nous passons notre vie physique ici entre veille et sommeil ; nous sommes pleinement conscients à l'état de veille, et, si nous sommes des êtres humains normaux, nous entrons dans un état inconscient entre l'endormissement et le réveil. Vous savez aussi, d'après ce qui a été exposé dans Comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs? [1], que cette vie pendant le sommeil peut être éclairée par les rayons de la conscience, que l'on peut pénétrer du regard les événements qui se déroulent entre l'endormissement et le réveil. Si l'on réussit à approfondir la connaissance de cette vie que mène l'homme pendant son sommeil ici entre la naissance et la mort, on découvre là, véritablement, une immense richesse. Oui, c'est une vie extrêmement riche qui se déroule, pendant l'existence humaine normale, dans cet état inconscient entre l'endormissement et le réveil. Il se passe énormément de choses. Et ce dont on ne tarde pas à s'apercevoir, dans cette vie du sommeil, c'est qu'elle est beaucoup plus active que la vie de veille.
Pendant le sommeil, nous sommes dans notre « moi » et dans notre corps astral, tandis que nos corps physique et éthérique sont à l'extérieur de nous. Cette vie extérieure est certes active, très active même chez certains. Si elle semble tant active, c'est parce que nous ne tenons pas tellement compte de tous les éléments passifs qu'elle comporte. Vraiment, s'il fallait que tout ce qui constitue la vie extérieure vienne de notre propre initiative, nous serions très étonnés de voir à quel point les choses se dérouleraient différemment. Pensez donc : vous vous levez chaque matin. On peut à peine dire que vous prenez la décision de vous lever : vous le faites par habitude. Et vous n'en savez pas davantage non plus sur votre rapport au monde, sur le fait qu'à certains moments, il faille passer sa vie dans tel état, ou dans tel autre, qu'il faille cette alternance - où trouve-t-on ce genre de réflexion ? On est accoutumé à ce que cela se déroule ainsi, et c'est tout. Et maintenant essayez de réfléchir au nombre de choses que vous accomplissez dans votre vie, et qui se déroulent pour ainsi dire automatiquement : vous vous apercevez que la vie entre le réveil et l'endormissement comporte énormément de moments passifs, alors que la vie entre l'endormissement et le réveil est très active. Il règne là une activité intense, énorme. Il est intéressant de constater que ceux qui sont relativement mous dans la vie extérieure, pendant la veille, sont les plus affairés entre l'endormissement et le réveil. Dans cette phase, l'être humain déploie une incroyable activité, mais, dans la vie normale, il n'en sait rien. Et quand on regarde plus précisément ce que fait l'âme - le « moi » et le corps astral - on découvre que cette activité est vraiment intimement liée à toute l'existence de l'être humain.
Quand nous traversons la vie, nous n'en accueillons consciemment qu'une infime partie. Nous sommes bien loin de valoriser au maximum cette vie qui vient à nous de l'extérieur. Je voudrais prendre un exemple qui nous est proche. Voyez-vous, vous écoutez en ce moment cette conférence, qui dure, disons, une heure. Sans vouloir blesser quelqu'un, je peux dire qu'il serait possible aux chers amis présents d'entendre infiniment plus dans les mots de cette conférence qu'ils ne le font en réalité. Car il serait possible d'entendre beaucoup plus dans tout ce que je peux dire que ce que je sais moi-même. Mais – je ne dis ceci que pour souligner mon propos - vous allez rentrer à la maison, vous allez vous coucher, dormir, et vous réveiller demain matin. Et entre l'endormissement et le réveil, vous allez retravailler - de façon complètement inaccessible à la conscience normale - bien des choses que vous n'êtes pas en mesure d'entendre en ce moment. Vous retravaillez cela avec une grande précision dans votre prochain sommeil, et peut-être aussi au cours des nuits suivantes. Entre l'endormissement et le réveil, on voit l'âme travailler d'une tout autre manière ce qu'elle a reçu. Et même s'il arrivait que quelqu'un ait écouté fort peu attentivement, mais avec une grande ouverture de cœur, du simple fait de cette ouverture, de cette attitude d'accueil, il relierait à son âme les potentialités spirituelles, les impulsions spirituelles contenues dans la conférence. Et cela serait élaboré pendant le sommeil, non seulement pour les besoins de cette vie-ci jusqu'à la mort, mais au-delà de la mort.
Nous retravaillons ainsi toute notre vie de veille, telle qu'elle se déroule du réveil à l'endormissement. Toutes les expériences que nous faisons durant le jour, nous les retravaillons pendant la nuit, si bien que, pour ainsi dire, nous en tirons des enseignements, dont nous avons besoin pour toute notre vie au-delà de la mort, jusqu'à la prochaine incarnation.Nous sommes les propres artisans prophétiques de notre vie quand nous sombrons dans le sommeil. Cette vie pendant le sommeil est un phénomène profondément énigmatique parce qu'elle est liée beaucoup plus intimement à nos expériences qu'à la conscience extérieure. Mais nous retravaillons tous ces événements du point de vue de leur fécondité pour la vie suivante. Utiliser éventuellement l'impact de nos expériences comme un moyen formateur, c'est en cela que consiste notre travail dans le temps qui s'écoule entre l'endormissement et le réveil. Que notre âme devienne plus énergique ou plus forte, ou que nous ayons à nous faire des reproches : nous retravaillons ce dont nous faisons l'expérience pour en faire un fruit de vie. Vous voyez, mes chers amis, que cette vie entre l'endormissement et le réveil a une importance considérable, qu'elle occupe une place capitale dans l'énigme humaine.
Supposez maintenant que le chercheur en esprit se propose un jour, disons qu'il lui vienne à l'idée de comparer cette vie de sommeil avec une autre vie, avec une vie extra-sensorielle. Il en arrive alors à la comparer aux jours qui suivent le panorama de la vie, dans le kamaloca[2]. Et voyez chers amis - mais cela ne se révèle qu'au regard du chercheur - tandis qu'ici, dans la vie, on se souvient par la mémoire de tout ce qu'on a vécu dans la vie diurne, après la mort, quand s'achève la phase de contemplation du panorama de la vie, on reçoit la mémoire de toutes les nuits qu'on a passées. Et c'est un mystère important qui se révèle ici : on se souvient de toute sa vie nocturne. Cette marche rétrograde se présente ainsi : on revit la dernière nuit de sa vie, puis la précédente, et ainsi de suite. On refait ainsi, remontant dans le temps, l'expérience de toute sa vie, mais sous son angle nocturne. Donc, tout ce qu'on a pensé, exploré, inconsciemment à propos de la vie, on en fait encore une fois l'expérience dans la mémoire rétrograde. On traverse encore une fois réellement sa vie, mais pas du côté diurne.
Combien de temps cela peut-il durer, approximativement ? Pensez que l'on passe à peu près un tiers de sa vie à dormir. Certaines personnes dorment naturellement encore beaucoup plus longtemps, mais en moyenne, on dort un tiers de sa vie. C'est pourquoi la marche rétrograde dure environ un tiers de la vie terrestre passée. Pensez à quel point cela concorde avec les autres points de vue que l'on peut trouver. Nous avons toujours dit que la vie dans le kamaloca durait environ un tiers de la vie terrestre. Mais si on tient compte de ce que nous venons de dire, on convient effectivement qu'il faut que ce soit un tiers : c'est ainsi que les choses concordent ! Les faits particuliers concordent toujours. C'est ce qui est merveilleux dans la recherche spirituelle. On découvre une chose, et, une fois qu'elle est identifiée, on apprend à la connaître sous un autre angle. C'est comme lorsqu'on gravit une montagne : on a une vue d'abord d'un côté, puis de l'autre. Malgré les différences, l'essentiel concordera toujours. Nous pouvons dire ici : on parcourt la vie terrestre entre la naissance et la mort en subissant les interruptions continuelles de la vie nocturne, et on se souvient de la vie diurne, des choses que l'on a vécues au cours de la vie diurne. Mais dans la vie nocturne, on s'est occupé différemment de ces choses : comme je vous l'ai dit, on s'est contenté de les élaborer. Les choses dont on ne peut se souvenir dans la vie physique, on s'en souvient pendant la vie dans le kamaloca. C'est un point capital, et en le notant, vous comprendrez maintes choses que sinon, vous ne comprendriez pas d'emblée. (...)
[1] Comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs ?, GA10, Éditions anthroposophiques romandes, Éditions Novalis ou Éditions Triades-Poche, voir le chapitre : « L’accès à la continuité de la conscience ». Ce chapitre est également accessible en podcast sur le site de soi-esprit.info (Podcast - GA010 - L'initiation - P2-03-Comment s’acquiert la continuité de la conscience).
[2] Ndlr : « jours qui suivent le panorama de la vie » : Rudolf Steiner fait référence ici aux 2, 3 à 4 jours qui suivent la mort, au cours desquels l’être humains contemple le panorama de sa vie passée jusqu’à sa mort. Ensuite seulement, il entre dans un autre état encore lorsque commence la traversée du kamaloca : il revit à rebours son existence passée (depuis le moment de la mort jusqu’à la naissance), non pas du point de vue de sa conscience ordinaire (diurne) au cours de la vie passée, mais entre autres du point de vue des conséquences objectives de ses actes ; notamment il revit ce que les autres êtres humains ont éprouvés et vécus, en bien ou en mal, en tant que conséquences de ses actes. Pour se familiariser avec ces concepts de base, voir notamment « La Théosophie », GA9. Voir aussi sur ce site le court article : "Le tableau de la vie contemplé par les défunts".
[Caractères gras, italiques et soulignés S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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