Extrait du cycle de conférences « Nature et destin de l'homme - Évolution du monde »
4ème conférence - Christiana (Oslo), 19 mai 1923
Rudolf Steiner – GA226
(…) Ce qui est particulièrement intéressant pour l'observation du karma, c'est la toute première enfance. Les décisions d'un enfant nous paraissent tout à fait capricieuses - pourtant elles ne le sont pas. Certes, l'enfant imite dans ses actions ce qui se passe autour de lui. J'ai même expliqué dans la conférence publique comment l'enfant est tout entier un organe sensoriel, comment il ressent intérieurement chaque geste, chaque mouvement de ceux qui l'entourent. Et il les ressent dans leur coloration morale. S'il a un père coléreux, il ressentira très bien ce qu'il y a d'immoral dans ces colères. Et dans les mouvements les plus subtils de son entourage, il ressent les pensées. Nous ne devrions donc jamais nous permettre des pensées impures ou immorales dans le voisinage d'un enfant en nous disant que l'enfant n'en sait rien. Ce n'est pas exact. Quand nous pensons, les cordons nerveux intérieurs vibrent plus ou moins, et l'enfant le perçoit, surtout dans les premières années de sa vie. L'enfant est un fin observateur et un imitateur. Mais ce qui est remarquable, et d'un intérêt très élevé, c'est que l'enfant n'imite pas tout: il choisit, et ce choix s'effectue de façon très compliquée.
Représentez-vous dans le voisinage de l'enfant un père impulsif et coléreux qui fait toutes sortes de choses déraisonnables. Comme, l'enfant est tout entier organe sensoriel, il absorbe tout cela ; comme l'œil, il ne peut se défendre et est obligé de percevoir tout ce qui se passe autour de lui. Mais l'enfant n'absorbe ainsi que durant l'état de veille. Puis il s'endort. Les enfants dorment beaucoup. Et c'est pendant le sommeil que se fait leur choix : ce dont il veut s'imprégner, l'enfant le projette de son âme dans son corps. Ce qu'il n'accepte pas, il le rejette dans le monde éthérique. Il n'accueille dans son organisme que ce gui lui est destiné de par son karma, de par son destin. C'est donc pendant ces toutes premières années de l'enfance qu'on voit sous une forme vraiment vivante l'action du karma.
Lorsqu'on est intellectuel, on se croit souvent très intelligent, et on croit l'enfant terriblement borné. Mais en apprenant peu à peu à bien voir le monde, on acquiert le jugement inverse, et l'on aperçoit combien on est devenu bête depuis son enfance. Seulement, l'intelligence que l'on a acquise depuis est consciente. Mais la sagesse avec laquelle l'enfant fait le choix que nous avons décrit entre ce qu'il doit assimiler en fonction de ce qu'il a vécu dans ses existences précédentes, et ce qu'il doit rejeter dans l'éthérique universel, cette sagesse est infiniment plus grande que celle que nous acquérons plus tard.
C'est surtout durant les premières années de l'enfance que l'homme apporte ce qui vient de sa précédente existence, pendant ces premières années où la question de la liberté n'entre pas du tout en ligne de compte. Dans la phase de la vie où se forme la conscience d'être libre, nous avons déjà introduit dans cette vie la plus grande partie de ce qui nous vient de nos existences précédentes. Et lorsqu'à trente-cinq ans on fait une expérience particulière, c'est qu'on en a déjà préparé les voies dans les toutes premières années de son enfance. Les premiers pas dans la vie sont, pour ce qui est déterminé par le destin, d'une importance capitale.
J'ai essayé une fois d'esquisser combien l'enfant a de sagesse et comment on perd cette sagesse au cours de la vie. On devient plus conscient, et on apprécie le caractère rationnel de cette vie consciente - et l'on ne voit plus la valeur de la sagesse inconsciente de l'enfant. Seule la science initiatique permet de la mesurer, comme je l'ai exposé dans le premier chapitre de La direction spirituelle de l'homme et de l'humanité. Ce qui nous a valu, de la part des philosophes d'école[1], de terribles critiques. Il est pourtant très important de pouvoir porter sur cette toute première enfance un regard qui voit juste. Lorsque les hommes s'en rendront compte, ils jugeront plus sainement d'une chose dont on parle constamment aujourd'hui, mais sans du tout la comprendre : les qualités héréditaires (…).
[Caractères gras S.L.]
[1] De la part des philosophes d'école : Max Dessoir. Cf. Rudolf Steiner, Des énigmes de l’âme, GA21, EAR.
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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