Extrait du reccueil de conférences « Les arrière-plans spirituels de la Première Guerre mondiale »
Stuttgart, le 23 février 1918 - 12ème conférence
Rudolf Steiner – GA174b
Éditions anthroposophiques romandes (2010) -
Traduction : Jean-Marie Jenni
(…) La conscience clairvoyante est en mesure de donner bien d’autres indications concrètes sur les rapports avec les morts. Je ne parlerai aujourd’hui que d’une chose. Voyez-vous, ceux qui quittent leurs proches, avec qui ils sont liés par le karma, peuvent être des enfants, de jeunes personnes ou des adultes âgés. La vision clairvoyante est en mesure de voir des différences dans les rapports entre les morts et les vivants suivant l’âge des défunts. Les défunts d’âge jeune, enfants ou jeunes gens, montrent avec les vivants un rapport que l’on peut décrire ainsi : en fait ces défunts ne perdent pas leurs proches, ils restent en vérité dans leur environnement immédiat. La douleur ou la tristesse qu’on ressent prend ainsi une teinte particulière. Observée par la conscience clairvoyante, la douleur de l’âme d’un père ou d’une mère ayant perdu son enfant, montre une tout autre caractéristique que la douleur après la perte d’une personne d’âge avancé. En surface, les expériences de l’âme, dans ces occasions, sont certes plus ou moins identiques, mais vues intimement, elles sont fondamentalement différentes. Les morts d’âge jeune ne s’en vont pas, ils restent présents ; c’est ainsi qu’on peut caractériser ce rapport : ils continuent de vivre, présents, dans les âmes des survivants. La douleur et la tristesse qu’on éprouve dans l’âme après le décès d’un proche d’âge jeune sont en fait les expériences qu’éprouve le défunt lui-même en l’âme du survivant. Le défunt reste près de soi. Il s’agit de la transposition de l’expérience propre du défunt, qui n’est pas toujours la douleur, mais qui devient douleur dans l’âme du survivant.
La douleur éprouvée au départ d’un être d’âge avancé est, à vrai dire, plutôt personnelle. C’est moins une douleur empathique qu’égoïste. Lorsque la conscience clairvoyante observe le rapport entre un défunt d’âge avancé et un survivant plus jeune, elle peut dire : le défunt âgé ne nous perd pas. Tandis que ne nous perdons pas le défunt d’âge jeune, c’est le défunt d’âge avancé qui ne perd pas les survivants, il emporte avec lui les forces de l’âme jusqu’à un certain point sur son lointain chemin. Il ne perd pas les survivants. C’est pourquoi le rapport avec un défunt d’âge avancé est tout différent de celui qu’on a avec un défunt d’âge jeune. Le défunt d’âge avancé n’a aucune tendance à survivre dans l’âme des survivants car il a emporté avec lui l’être intérieur, un moule, en quelque sorte, de l’être intérieur.
Il n’est pas sans importance de savoir ce que j’ai ainsi évoqué, car la commémoration des défunts prend alors une nuance particulière. Pour les jeunes, la commémoration ou le culte des morts, devrait être tenu de sorte qu’il reste général, de façon que les paroles et les actes cultuels se tournent moins vers la personnalité du défunt que vers des idées et des sentiments plus généraux de l’humanité mais liés au défunt. C’est ainsi que le jeune défunt, qui est resté près de nous, se trouvera bien. Pour les défunts d’âge avancé, il est bon, lors des cérémonies de commémoration, d’évoquer davantage leur individualité, de leur adresser des pensées qui se réfèrent bien précisément à leur personnalité. Il sera particulièrement bon, lors de la commémoration d’un défunt d’âge jeune de respecter un culte fixé plutôt de manière générale et d’aspect symbolique. Ainsi, pour les jeunes défunts, le culte catholique se prête particulièrement bien, car dans la plupart des pays, il n’entre pas dans la part individuelle du défunt mais reste symbolique, il est le même pour tous. Pour une jeune âme décédée, qui précisément reste présente, ce qui convient le mieux, ce sont les rites, valables pour tous, qui évoquent les grands symboles du monde, des sentiments généraux mais rapportés au défunt. Le culte protestant en revanche, par lequel on évoque davantage la biographie particulière et la personnalité, est mieux indiqué pour la commémoration d’un défunt âgé. Lors du souvenir cultivé en individuel avec un défunt d’âge avancé, il est également préférable d’évoquer des éléments qui se rapportent très personnellement à lui, des souvenirs non partagés par tous, mais par lui seulement.
C’est ainsi que sachant cela la vie de notre âme prend des nuances différenciées devant les défunts. On sait maintenant comment se comporter devant les défunts, jeunes ou vieux.
La vie se trouve enrichie en ses liens intimes dès lors qu’on accueille en soi les enseignements de la science de l’esprit selon lesquels nous ne sommes pas seulement entourés par les âmes incorporées dans des corps physiques, mais également par celles qui ont quitté le plan physique. Ce n’est qu’alors que l’être humain plonge dans la pleine réalité. Il faut sans cesse répéter qu’il ne sert à rien de parler toujours de l’esprit en général. Parler de l’esprit en général comme le font certains philosophes ne sert à rien, et il ne sert à rien non plus de croire qu’il suffit de parler de l’esprit, de l’esprit et encore de l’esprit pour surmonter le matérialisme. Il s’agit au contraire d’avoir le courage, et il faut un certain courage il est vrai, de pénétrer concrètement dans l’élément spirituel. Il faut avoir le courage d’évoquer sans retenue en public les relations comme celles que nous venons d’aborder en dépit de la moquerie qui peut s’élever du côté de la pensée matérialiste. On est tout simplement incapable de voir aujourd’hui le caractère catastrophique de cet aveuglement. Les situations fatales et catastrophiques résultent précisément de l’ignorance qui règne dans la partie la plus importante de l’humanité, celle où l’on est tellement éloigné de la réalité et où les événements les plus destructeurs s’abattent sur elle. On attribue ces catastrophes à toutes les impulsions possibles sauf à leur vraie et profonde origine. (…).
[Caractères gras S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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