La fenêtre rouge de la grande salle du premier Goetheanum
Stephan Eisenhut
Publié dans la revue Die Drei - 1/2024
Traduction : Daniel Kmiecik
Source : Les traductions de Daniel Kmiecik − www.triarticulation.fr/AtelierTrad
Note de la rédaction : La plupart des numéros de page des ouvrages de Rudolf Steiner mentionnés dans les notes de bas de page, concernent l'édition allemande de son oeuvre, et non pas les éditions en langue française. Le présent article est la suite de la publication suivante de Stephan Eisenhut : |
L’avenir de l’école de Michaël
Quelles conditions nécessite une essence mystérique conforme à l’époque ? (II)
L’organisme universitaire articulé en trois Klassen dont Rudolf Steiner entreprit la construction avec le Congrès de Noël 1923, devait devenir une forme d’apparition terrestre de l’école suprasensible de Michaël en vue d’impulser les diverses ramifications de la vie. Or, quelles conséquences cela pouvait avoir présentement du fait que ce processus institutionnel s’est seulement retreint au niveau de la première Klasse ? Et qu’est-ce que cela signifiait pour les êtres humains qui ont vécu directement ce drame ?
Le Congrès de Noël devait être une célébration solennelle d’une « amorce d’un Tournant universel »[1] pour les anthroposophes, comme Rudolf Steiner le développa dans la conférence qui clôtura le Congrès de Noël : « À Dornach un point central d’une connaissance spirituelle sera créé »[2]. Dans quelle mesure ce point central représenta l’âme de la Société anthroposophique, cela fut présenté dans le numéro précédent de cette revue.[3] Avec l’université libre pour la science de l’esprit, il ne s’agissait pas d’une université ordinaire, mais plutôt d’une entité. Celle-ci a été créée comme une école suprasensible dans le monde spirituel.[4] Ce principe d’un tournant universel du monde posait toutefois au vouloir humain de très hautes exigences. Or une telle volonté est développée sur plusieurs incarnations, si l’être humain s’efforce de suivre une formation de science spirituelle.
La Société anthroposophique, constituée au Congrès de Noël fut souvent conçue comme une fondation autoritaire, qui fut réalisée par un grand Initié, pour le dire ainsi, dans la nécessité, parce qu’auparavant toutes les tentatives avaient échoué de fonder cette Société à partir des impulsions qui s’efforçaient activement à une formation spirituelle. Il est juste que Rudolf Steiner se résolut à une initiative d’un tout autre genre et se choisit à cette fin ses collaborateurs. Il est aussi juste que cette initiative fut précédée de nombreux efforts infructueux des personnalités dirigeantes à l’intérieur de la Société anthroposophique. Le cheminement emprunté au Congrès de Noël fut toutefois tout autre qu’autoritaire. Rudolf Steiner voulut beaucoup plus démontrer, sur cette voie, comment quelque chose d’essentiellement spirituel pouvait être réalisé dans le monde terrestre par le vouloir humain. Il est vrai que pour cela, il eut à en payer le prix. Car il savait qu’il était presque inévitable que ces propres forces vitales individuelles en seraient fatiguées et qu’il ne pourrait en restaurer l’équilibre entre celles anaboliques et celle cataboliques, s’il se liait jusque dans la responsabilité institutionnelle avec cette Société ─ à moins qu’il parvînt à enchâsser dynamiquement cette initiative dans un puissant courant de volonté qui devait émaner des membres de la Société qui avaient le plus progressé. Plus son entourage était en situation de fournir de libres forces de volonté, par lesquelles l’impulsion de l’école michaélique pouvait tout d’abord être connue consciemment et davantage introduite en donnant forme aux circonstances terrestres, moins ses propres forces de vie à lui pouvaient y être absorbées. La liberté des êtres humains qui collaboraient avec lui en était ainsi toujours préservée. Mais à cette liberté, qu’il faut toujours sauvegarder, est aussi inhérente la possibilité d’échouer. Dans cette mesure, il est symptomatique que neuf mois après, Rudolf Steiner tomba malade et mourut six mois plus tard.[5]
Une tragédie qui n’est pas acceptable
Pour tous ceux qui avaient pris part à ces événements, la mort prématurée de Rudolf Steiner, seulement 15 mois après le Congrès de Noël, fut un coup du destin à peine supportable. Comment une telle œuvre grandiose devait-elle être poursuivie ? Car, pour le moins, il y avait une unanimité sur le fait qu’elle devait être continuée. Il y avait, en vérité, une divergence d’opinion quant à la direction et possiblement sur la manière dont elle devait être poursuivie[i]. On avait à faire à trois institutions différentes qui posaient des exigences totalement diverses. Il y avait la nouvelle Société anthroposophique récemment re-fondée {universelle, ndt} du Congrès de Noël, et la libre université pour la science spirituelle. Ensuite il y avait le Goetheanum-Verein {L’association de gestion du Goethéanum ; Ndt} laquelle, à partir du 8 février 1925 seulement, reçut l’intitulé de AAG : Allgemeine Anthroposophische Gesellschaft et fut plutôt mal que bien adaptée à ses tâches futures par l’intervention des modifications statutaires {donc, en fait Société anthroposophique « universelle » qui devint simplement « générale », du fait que les mots de Stephan Eisenhut qui terminent sa phrase en indiquent ici déjà la raison. Ndt}.
Une association administrative articulée de manière véritablement ésotérique par une petite communauté de membres familiarisés avec les questions administrative, peut être un instrument très correctement utilisable au moyen d’une application très judicieuse pour réaliser quelque chose à l’extérieur. Toutefois cela requiert que la tâche de la Société ésotérique ait été correctement reconnue et appréhendée. Or, rien n’indiquait que ceci fut réussi alors. Après la mort de Rudolf Steiner, on se vit dans l’obligation de poursuivre son œuvre d’une manière ou d’une autre. En particulier la reconstruction du second Goethéanum devait être réalisée au plus vite. D’une manière analogue aux nombreux établissements, après la fin de la guerre, les efforts se mobilisaient de façon unilatérale pour atteindre quelque chose d’extérieurement visible. Mais à quoi d’autre eut-on pu aussi s’efforcer ? Personne n’était en situation de poursuivre le développement des trois Klassen de l’organisme universitaire. Les statuts de la Société ésotérique, reconstituée au Congrès de Noël, ne laissaient aucun doute à ce propos : L’aménagement de cette université incombait à Rudolf Steiner ou à un de ses successeurs déterminés. Personne ne pouvait se permettre de poursuivre cette part de l’œuvre.
Pourtant on avait besoin de quelque chose de reliant dans la Société. Par la mort de Rudolf Steiner, le guide spirituel faisait défaut. Quelque chose ─ ou quelqu’un ─ devait le remplacer. Mais qu’est-ce que cela ou qui put-ce être ? On était bien en peine de le savoir et surtout on était complètement désemparé(e)s ! C'est pourquoi, dans l'ambiance d'une admiration sans borne envers Rudolf Steiner, quelque chose d'autre s'est glissé à cette place, comme dans un rêve. Il fallait trouver une sorte de substitut aux besoins d'adoration nés d'un sentiment religieux. Le 29 décembre 1925, les membres se rencontrèrent dans une première Assemblée générale après la mort de Rudolf Steiner[6]. Il est intéressant de noter que les membres de la Société anthroposophique fussent tout d’abord invités à une pré-assemblée. C’est seulement après, qu’eut lieu l’AG de l’Association anthroposophique générale inscrite [donc, ndt] officiellement au Tribunal de commerce. Les paroles, que prononça Friedrich Rittelmeyer à cette pré-assemblée, expriment très bien l’atmosphère dans laquelle les gens se trouvaient : il parla d’une « gravité bouleversante qui avait éclaté au sein de la Société par le départ de notre maître vénéré »[7]. Dans un pas suivant, il commença à édifier un substitut pour cette perte en présentant le Vorstand de manière sur-évaluée, voire en le transfigurant : Selon lui, c’était
une grande chance que nous ressentions tous ensemble que nous avons un Vorstand qui nous est donné par monsieur le docteur Rudolf Steiner en harmonie avec les puissances spirituelles divines. Nous pouvons être convaincus que les puissances divines qui ont pris la décision énigmatique que le Dr Steiner devait nous quitter physiquement, n'ont pas voulu nous laisser orphelins, mais qu'elles nous ont donné ce dont nous avions besoin dans le comité directeur.
Chaque membre individuel de ce Vorstand était donc selon lui, « animé par la volonté la plus sacrée [...] de faire entrer l'œuvre du Dr Steiner dans le monde de la bonne manière ». Rittelmeyer exprima combien les membres appréciaient beaucoup ce fait. C’est pourquoi ils voulaient prier le Vorstand, « qu’il puisse être pour nous un meneur légitime dans tout l’avenir[ii]. »
Est-ce qu’ici, l’individualité de Rittelmeyer parlait encore réellement ? Ou bien est-ce un esprit qui s’exprima, lequel par l’atmosphère qui vivait dans cette assemblée, y avait été attiré ? Pourquoi est-ce que Rittelmeyer espérait, comme la plupart des personnes présentes, que Rudolf Steiner continuât d’agir au travers du Vorstand désigné et déterminé par lui. Pour quelle raison ne voulut-on le plus possible ne rien changer à la constellation ? Cela étant, les statuts de l’association administrative (AAG[énérale, ndt]) exigeaient cependant que le poste du premier président devait être à nouveau occupé. Étant donné que Albert Steffen avait été désigné au Congrès de Noël, au poste de second président, ce devait être Marie Steiner à prendre cette fonction, mais elle l’avait refusée pour des raisons qui sont faciles à suivre et étant donné que depuis le 8 février 1925, les Vorstände des deux associations étaient identiques, il est facile de comprendre qu’Albert Steffen reprit également la fonction de président de l’association administrative. Or, personne ne comprenait que cette association avait une fonction réelle dans la constitution unitaire et qu'elle n'était donc pas quelque chose que l'on avait été contraint de faire en raison des circonstances extérieures et qui devait donc être pris en compte formellement. Au plan purement concret on eût dû reconnaître que Steffen n’était principalement pas la personne adéquate en tant que premier président de l’association de gestion administrative.
Cela étant, voilà que vint s’adjoindre à cela le fait que Rittelmeyer réinterpréta cette fonction purement extérieure, en une autre, spirituelle celle-là. Ainsi put-il faire revivre ─ au lieu de « la plus moderne des Sociétés qui soient »[8] ─ une forme associative qui correspondait à la conscience de l’entendement ou de l’âme de cœur. La fonction purement extérieure de premier président fut ainsi dotée d'insignes quasi-divins sur lesquels les sentiments de vénération religieuse pouvaient se focaliser. L'élection de Steffen à ce poste extérieur, adopta le caractère d'une consécration religieuse, puisque c'est justement l'archi-chef (Erz-Oberlenker) de la Communauté des Chrétiens qui exprima le sentiment de l'assemblée. Jusque dans le choix des mots, Steffen fut solennellement investi comme le représentant de Rudolf Steiner sur Terre :
La meilleure parole a certes déjà été prononcée par l'Assemblée, par son approbation forte et favorable, par laquelle elle a exprimé sa volonté pour ce comité. Mais chaque membre devrait être conscient du fait que nous devons déjà demander au poète Albert Steffen un sacrifice qui a un caractère historique mondial. Nous ne pouvons pas faire autrement. C'est l'homme que le Dr Steiner a désigné en disant : « C'est mon remplaçant ».[9]
Comme Rudolf Steiner avait représenté les élèves spirituels de Bénédictus tombés sous le charme des esprits lucifériens.[10] Dans ces circonstances un tel drame ne se joue plus sur la scène, mais ici dans la vie réelle. Manifestement l’ensemble de la Société rassemblée tomba dans une atmosphère, dans laquelle les entités lucifériennes purent être en mesure d’opérer.
Mise au tombeau
D’une certaine manière, cette assemblée est comparable à une cérémonie de funérailles, sauf que ce n’est pas une personne qui est mise au tombeau, mais plutôt ici la Société anthroposophique ésotérique renouvelée et avec elle aussi la libre université des sciences de l’esprit. Le cercueil dans lequel elles reposèrent fut l’association administrative du Goethéanum, qui fut rebaptisée, le 8 février 1925, en Société anthroposophique générale. Après la réunion préliminaire des membres de celle-ci, le couvercle du cercueil fut soigneusement refermé et solennellement cloué ─ sans oublier d’aller rechercher la momie de l’université libre des sciences de l’esprit pour lui octroyer un semblant de vie. Car désormais, cette université ne devait continuer de vivoter qu’entre les différents départements. Ceux-ci avec leurs directeurs encore engagés par Rudolf Steiner, devaient être désormais l’instrument pour porter l’anthroposophie active dans le monde Que ces départements dussent en arriver, par la suite, à tomber dans la même problématique que Rudolf Steiner prédisait à la fille sociétale[iii] qui s'est brusquement développée, à partir de 1919, cela n'a pas été pris en compte. Si les sociétés filles en venaient à oublier la Mère ─ il avait alors, avec cette expression, en tête, une société anthroposophique qui peut absorber l’organisme vivant de l’université libre articulé en trois Klassen ─ elles perdraient ainsi leur source de vie et devraient se dessécher.[11] Le rituel de faire lire par des lecteurs, les 19 cours ésotériques ou dans une conférence devant les personnes de la première Klasse n’est guère approprié pour laisser affluer des forces d’édification dans les divers champs de vie.
Une forme morte ne peut jamais être les sources de vie d’une communauté réellement spirituelle. Mais elle peut, très volontiers toutefois, devenir un souvenir commun. Et en tant que telle, elle permet que la Société anthroposophique, en dépit de toutes ses querelles ne soit pas tombée et se tienne nonobstant toujours prête à de nombreuses initiatives individuelles. Rien que le second Goethéanum, il n’eût jamais pu être édifié autrement, {ainsi aussi que la restructuration architectonique monumentale de la grande salle dans le style-souvenir ─ indestructible parce qu’en béton désormais ─ du premier dans les années 90 du siècle dernier. Ndt.}, s’il n’eût pas existé un récit enthousiasmant dans la Société. De nombreux êtres humains restèrent dans la Société ou y entrèrent, malgré toutes les critiques qu’ils avaient à son égard, en considérant celle-ci comme l’œuvre de Rudolf Steiner. La Société devint ainsi un centre pour de nombreuses expositions artistiques, manifestations et sessions scientifiques qui ont une très grande valeur. Les biens desquelles étant déterminés à partir de ce que pouvaient développer les talents des individualités et leurs discussions. Ils peuvent aussi avoir été stimulés et portés par une lutte commune réussie. Car c'est ainsi que s'est réalisé le point d'orgue dont Rudolf Steiner avait parlé lors de la conférence de Noël. Un mythe fondateur a pris sa place.
Une génération du mythe fondateur
Serge Prokofiev (1954-2014), le représentant de la plus puissante parole de ce courant, lequel a considéré l’institution de la Société anthroposophique comme un acte terrestre central de Rudolf Steiner, a consacré toute sa vie entière à Rudolf Steiner et aux nouveaux Mystères institués par lui et il a montré à cette occasion de nombreux contextes ésotériques importants. Il appartenait encore à une génération, qui avait instinctivement besoin d’un mythe fondateur pour lui consacrer toute son aspiration. Ses conceptions ne sont guère insensées. Elles contiennent seulement par leur puissante fixation aux institutions existantes un caractère fortement luciférien.
Pour Prokofiev, c’était un fait inébranlable que la réussite du Congrès de Noël dépendait de la Constitution créée par Rudolf Steiner. Cette Constitution pouvait bien être imparfaite en de nombreux endroits. Mais elle était, pour lui, une pierre angulaire sur laquelle de nouveaux Mystères avaient été fondés. Ceux qui remettaient cela en question, il devait le regretter comme des êtres humains qui, fussent tombés dans une opposition interne à l’égard de Rudolf Steiner.[12] À cet égard, il estimait comme particulièrement tragique le destin de Ludwig Polzer-Hoditz qui, « profondément bouleversé par la tragédie de 1935, sortit de la Société anthroposophique ». Auquel il opposait directement « le destin de Frederik Willem von Emmichoven qui, certes, fut exclu en 1935 de la Société anthroposophique, mais ensuite « par amour pour Rudolf Steiner » [...] ramena la Société hollandaise dans le giron de Dornach.[13] Rien déjà que par cette mise en opposition directe, il montrait nettement qu’aucun salut ne lui semblait pouvoir venir de l’extérieur de la Société anthroposophique. En correspondance, il considérait de manière critique ce qu’on a appelé les débats constitutionnels. La tentative de restaurer la forme juridique lui semblait comme si l’on voulait juridiquement fonder de manière statutaire « l’existence de l’esprit ».[14] De telles aspirations étaient pour lui un symptôme « de ce que l’impulsion du Congrès de Nöel à l’intérieur de notre Société menaçait effectivement de se perdre et avec lui, le sens de son existence à elle. »[15] Car si la forme de cette société restait seulement sur la Terre sans son contenu spirituel, alors...
… même si elle devait être « parfaite », comme l'espéraient de nombreux participants au débat sur la Constitution, elle serait vide et deviendrait d'autant plus probablement la proie des puissances adverses. Car chaque fois qu'une forme n'est pas remplie d'un esprit vivant, elle devient inévitablement le terrain de jeu de tout autres êtres.[16]
Prokofiev voyait la tâche spirituelle de l’Europe dans le « Renforcement de l'impulsion de l'esprit sur la Terre de manière à ce que toutes les questions de forme puissent être résolues à partir de lui, c'est-à-dire réaliser la transformation à partir de l'esprit. »[17] Si l’on regarde vers l’ouest, alors on verra comment « la forme existe indépendamment de son contenu spirituel. Par contre, vers l’est, le contenu spirituel domine […] sans la forme extérieure.[18] Étant donné qu’il considérait l’acte terrestre le plus important d’avoir donné une forme à la Société anthroposophique, avec le Congrès de Noël, comme la cultive le mouvement anthroposophique, cela ne pouvait que signifier pour lui, à l’intérieur de cette forme ─ qui coïncidait avec l’institution ─ de lutter pour fait entrer cet esprit qui transforme en elle. Pour cela il fallait des êtres humains qui collaborassent dans la juste disposition d’âme et aucune opposition à Rudolf Steiner.
Cela dit, le problème de l’opposition interne à Rudolf Steiner concerne tout un chacun et ne peut être résolu que par la connaissance de soi. Marie Steiner dut de temps en temps s’être trouvée en opposition intérieure avec Rudolf Steiner[19] À partir d’une attitude de vénération religieuse, ce problème ne peut guère être résolu. Car par celle-ci, le « romain en nous » ne peut pas être surmonté. Si maintenant les forces de vénération religieuse s’allient à la conscience de la personnalité romaine, alors le danger existe que l’élément personnel soit porté dans le domaine ésotérique. Et alors le Temple spirituel ne se laissera guère découvrir. La justification de Prokofiev que, ce temple spirituel doit encore être relié d’une manière ou d’une autre à la Société anthroposophique, ne pourra convaincre qu’une communauté de croyants. Rudolf Steiner a insisté, à plusieurs reprises sur le fait que le Congrès de Noël, s’il n’était pas accueilli, chercherait un lieu d’accueil dans de tout autres mondes.[20] Bien qu'il soit même capable de nommer le lieu de refuge exact, qui se trouverait dans la sphère lunaire, il est impossible pour Prokofiev que l'essence de l'Anthroposophia s'y soit retirée :
Car si la pierre de fondation du Congrès de Noël n’est pas devenue la pierre d’angle du temple terrestre, la communauté sociale des anthroposophes (La Société anthroposophique), mais plutôt la fondation du Temple spirituel dans la sphère lunaire, auquel nous n’avons plus aucune entrée, alors c’est une vraie tragédie pour nous ! Et nous devrions attendre notre prochaine incarnation pour créer les conditions dans la sphère terrestre, qui nous ouvriront la porte du Temple spirituel, si sur la Terre à cette époque-là surtout, la possibilité existera d’aller rechercher ce qui a été omis.[21]
Dans cette déclaration se reflète l’atmosphère qui s’était installée après la mort de Rudolf Steiner. On voulait poursuivre son œuvre et on tenait cela pour impossible de sorte qu’une ligature de l’esprit libre s’était mise en place. Comment eût-on pu autrement opérer au sens de l’anthroposophie en ayant recours à la croyance ?
La perspective du re-né
Mais que pouvait être la perspective des âmes qui avaient participé aux événements à l’époque, et qui sont décédées après 1925 ? Qu’eussent-elles réellement vécu dans ce qui suit la mort : nous n’étions pas dans la situation de maintenir l’essence de l’Anthroposophia dans la sphère terrestre. Pourquoi ne devrait-il pas y avoir des âmes, qui sont incarnées aujourd’hui, lesquelles, lors de leur descente, ont pu contempler le Temple spirituel dans son lieu de refuge au sein de la sphère lunaire ? Rudolf Steiner en parla de sorte que de telles âmes « avec le raccourcissement le plus possible du temps entre la mort et une nouvelle naissance »[22] se réincarneront à la fin du vingtième siècle ─ quelque peu vers 1970 ─. Précisément chez ces âmes-là, il devrait y avoir une raison toute puissante d’œuvrer sérieusement sur les conditions indispensables pour revoir le Temple spirituel de nouveau en apparition dans la sphère terrestre. Pourquoi Prokofiev exclut-il cela ? Ne fût-ce pas, peut-être, du fait que sa génération eût besoin du mythe fondateur pour ne pas désespérer ? Dans ces circonstances, une époque peut à présent surgir dans laquelle cette attitude s’avérera comme le plus grand obstacle pour ceux qui travaillent à la renaissance du Temple spirituel.
Sommeil des âmes
Une âme qui, à cette époque fut intensément reliée au mouvement anthroposophique, fut Ernst Uehli (1875-1959). Il entendit une conférence de Rudolf Steiner, en 1905, sur le système planétaire, quelque temps plus tard, une autre sur l’Évangile de Jean, puis il entra, en 1908, dans la Société théosophique et devint en 1910 le directeur de la branche Zschokke à Zurich[23]. Dans les souvenirs de sa vie, il dépeint un événement dramatique au seuil de son 35ème anniversaire. Il serait étonnant pour cette raison qu’il n’eût pas pris part aux actions symboliques-cultuelles de la deuxième et troisième divisions de l’école ésotérique, toujours est-il que je ne pus découvrir une documentation à ce sujet. Après la guerre il fut étroitement lié au mouvement de la Dreigliedrung et en 1921, il devint cofondateur de la revue Die Drei. En outre, il fut membre du Vorstand central de la Société anthroposophique, avec Carl Unger et Emil Leihnas entre 1921 et 1923. En septembre 1922, il entra dans sa fonction d’enseignant en histoire des religions de l’école Waldorf de Stuttgart, prit part au cours dit des « théologiens » et de l’Assemblée fondatrice de la Communauté des chrétiens à Dornach.[24] Son intérêt intense qu’il portait à l’histoire du monde laisse présumer qu’il participa au cycle de conférences sur Die Grundimpulsen des weltgeschichtlichen Werdens der Menschheit {Les grandes impulsions du devenir universel de l’humanité} (GA 216) qui débuta le 16 septembre 1922, pendant que les théologiens étaient encore présents jusqu’au 22 septembre 1922.[25]
Uehli, qui s’efforçait de tout cœur à la réalisation de l’anthroposophie, connu exactement à l’époque sa plus grande catastrophe spirituelle. Il était carrément prédestiné pour reconnaître la différence, entre le culte du mouvement pour un renouveau religieux, de celui qui était pratiqué dans le mouvement anthroposophique dans l’avant-guerre. Sa tâche aurait été celle de faire connaître aux personnalités de Stuttgart ce qu’on s’efforçait à faire avec la fondation du mouvement pour un renouveau religieux, à la différence du mouvement anthroposophique. Car, si les tâches du mouvement anthroposophique n’étaient pas appréhendées correctement, alors le déploiement unilatéral du mouvement religieux mènerait à des chocs en retour. Qu’est-ce qui devait donc être entrepris du côté anthroposophique pour créer un équilibre ? Uehli avait oublié de se poser cette question.[26] Même au moment où, le 10 décembre à Stuttgart, Rudolf Steiner lui en donné l’ordre tout à fait concret de le faire, il ne s’exécuta pas.[27] Ensuite le Goethéanum brûla totalement. Lors des réunions de crise qui ont suivi, un véritable coup de tonnerre a frappé le malheureux.[28] Rarement un élève de Rudolf Steiner n'eut à rendre des comptes aussi sévèrement pour une négligence. Uehli fut dès lors considéré comme le représentant du système de Stuttgart, dont l'inaction permit aux forces contraires d'agir avec succès. Rudolf Steiner s'est exprimé sur la présence d'Uehli à Dornach de la manière suivante :
Tout se passe pour le mouvement de renouveau religieux. Monsieur Ueli est de la partie. Et une fois que l'affaire est terminée à Dornach, le 17 septembre, il ne se rend pas à Stuttgart pour prendre les mesures qui s'imposent, en supposant que quelque chose d'important a été créé par ce biais, mais il s'assoit sur son siège curule et ne fait rien.[29]
Or, qu’est-ce aurait pu faire Uehli ? Une indication claire se trouve dans la conférence pour les membres, au sujet de l’histoire des actes cultuels, du 22 septembre 1922 à Dornach, le jour où pris fin le cours aux Théologiens. Uehli avait participé à cette conférence. Où Rudolf Steiner voulait-il donc en venir ? Les initiés de l’Égypte antique avaient trouvé, par la momification des morts, une possibilité de donner un asile aux êtres spirituels lunaires. Par ceux-ci, ils pouvaient faire l’expérience de quelles impulsions devaient être apportées depuis le monde spirituel dans le monde terrestre. Par les paroles suivantes : « Peut-être est-il nécessaire qu’à notre époque, à partir d’une connaissance spirituelle correcte, une telle place doive être saisie ? »[30], il acheva sa conférence. Pourquoi de telles paroles étaient-elles destinées à Ernst Uehli. Rudolf Steiner ne lui fit-il pas de cette façon un appel du pied ? « Rends-toi vite à Stuttgart, entretiens-toi avec les personnalités dirigeantes, revenez ensuite ensemble et demande-moi comment nos actions culturelles, auxquelles vous avez pourtant encore participé avant la guerre, peuvent-elles encore être reprises ! »
Romanité non transformée
Étant donné que des indications de ce genre se répètent aussi dans les conférences ultérieures, Uehli dut même encore rester plus longtemps à Dornach. Au début de l'année 1923, Rudolf Steiner lui a fait remarquer si clairement ses manquements qu'il s'est retiré du comité central, non sans avoir souligné sa fidélité à l'anthroposophie.[31] On voit bien qu'il fut totalement impuissant et désemparé. Il ne savait toujours pas ce qu’il eût dû faire.[32] Mais comment une telle âme regardera-t-elle en arrière après sa mort sur une telle expérience ? N'est-ce pas là qu'elle se rendra compte de ce qu'elle a manqué ? Et n'est-ce pas à partir de cette expérience qu'elle élaborera les motifs de sa prochaine incarnation ?
Dans la Rome antique le siège curule était un signe de domination. Il faisait savoir que le possesseur du Siège était revêtu d’une haute fonction dans l’État. Pourquoi Rudolf Steiner choisit-il cette image tirée de l’époque romaine, pour évoquer l’inaction de Uehli ? La réponse pourrait se trouver dans la ligne d’évolution, que Rudolf Steiner avait déjà dégagée en septembre 1922, mentionnée dans le cycle de conférences de l’histoire du monde (GA 216). Le point fort de la considération repose nettement dans l’Égypte antique. Le germe culturel qui y fut disposé doit être repris aux temps modernes, pour être compris et métamorphosé. Les âmes, qui furent confrontées à la momification dans l’Égypte antique, étaient particulièrement bien appropriées pour développer à l’époque romaine la conscience de leur personnalité. Dans des cycles antérieurs déjà, Rudolf Steiner avait esquissé cette évolution :
Ces Mystères cherchaient avant toutes choses à conquérir cette sagesse à son origine égyptienne, qui donne la vertu d’organiser la vie sociale humaine et de fonder une relation entre un être humain à un autre. Mais ce courant mystérique se répandit ensuite à partir du sud de l’Europe et amorça son parcours […] par le peuple romain dépourvu d’imagination. On devrait le désigner comme le courant du droit. Le passage s'est fait par Rome. Tout ce qui a été inoculé peu à peu, au cours de l’évolution de l’humanité, en jurisprudences, en déterminations du droit, c’est une sagesse filtrée, la connaissance filtrée de ces Mystères de l’être humain. Le second fil, dans notre écheveau culturel embrouillé, nous est parvenu de là-dedans, mais d’une manière très, très modifiée, très métamorphosée, justement en ayant été révisé par l’absence d’imagination de la romanité.[33]
Par le penser cérébral, l’être humain fut de plus en plus étranglé et ligaturé du monde spirituel. En même temps avec cela, le besoin de prendre possession et de s’accaparer la Terre, tandis que la contemplation immédiate du monde spirituel fut de plus en plus « séquestrée » et gérée par l’Église catholique. Le spirituel ne pouvait plus être contemplé, ou selon le cas, être connu de manière autonome, mais conservé sous une forme dogmatique, pour être surtout cru et devenir une affaire de foi. C’est précisément cette attitude de l’âme qui dut être disposée pour un certain temps à partir du 9ème siècle.[34]
Dans la mesure où l’être humain est ainsi étranglé et ligaturé du monde spirituel, il s’efforce à prendre possession du monde terrestre. Ainsi suit-il [et non pas « ainsi soit-il… » ndt] une ligne qui va de l’Égypte antique, par Rome pour aboutir à la bourgeoisie des temps modernes.[35] Dans la bourgeoisie cultivée, la romanité survit sous la forme d'une volonté à prendre possession de l'esprit. À pas comptés avec cela, s’active le besoin de prendre possession et d’ordonner juridiquement les conditions extérieures. Or, l’entrée-en-possession unilatérale de l’esprit doit directement être surmontée par le cheminement anthroposophique. Lequel requiert, selon les prédispositions, des dizaines d’années d’un dur travail conscient. Mais une forte aspiration ardente à l’esprit, semblant inassouvie, pouvait aussi provoquer que l’on partît en quête d’autres formes de satisfaction. L’acte cultuel du Mouvement pour un renouveau religieux s’avérait précisément une dangereuse tentation pour ces âmes-là. Et parce que ce travail de dizaines d’années n’avait pas encore mené aux résultats tant escomptés, ceux qu’on espérait grandement, on se tourna en direction de ce culte et on en oublia sa véritable tâche.
Cette attitude de l’âme redevint aussi dominante après la mort de Rudolf Steiner. L’université libre fut prise en possession par la conscience de personnalités. C’est la raison pour laquelle on ne pouvait laisser subsister que l’élément extérieur et momifié, ce qui avait une qualité cérébrale : les départements (Sektion). Nous devons apprendre à reconnaître qu’au travers de notre attitude d’âme, nous installons des forces déterminées par leurs qualités actives. Si nous ne reconnaissons pas cela, ce ne sont pas les circonstances que nous formons, car ce sont ces forces d’activités qui nous forment et cela certes de la manière où dans le passé elles furent disposées. Dans ces conditions il n’est pas étonnant que des formes antiques réémergent et s’imposent.[36]
Cet article a attiré l'attention, avec une certaine partialité, sur le courant méridional qui attend d'être transformé. Au Congrès de Noël Rudolf Steiner a donné un cycle de conférences sur l’histoire du monde qui attire le regard sur deux autres courants, en vérité singulièrement liés l’un à l’autre. Alors que dans le courant méridional, la confrontation avec les forces lucifériennes se trouve au premier plan, les deux autres courants sont confrontés plus fortement aux forces ahrimaniennes. De cette confrontation la faculté s’accroît d’un nouvel art de guérir. Un art de guérir social se formera seulement si les divers courants apprennent à se compléter dans leurs qualités les uns les autres. Cela ne procède que sur le cheminement de l’éveil psycho-spirituel à autrui. On peut partir du fait que de nombreuses âmes qui ont pu prendre part directement au Congrès de Noël voici cent ans, apporteront avec elles, aujourd’hui précisément, ce motif de vie. Les nouveaux Mystères procèdent au travers de la mort et de la résurrection.
Notes
Note de la rédaction : Pour rappel, les numéros de page des ouvrages de Rudolf Steiner mentionnés dans les notes de bas de page, concernent l'édition allemande de son oeuvre, et non pas les éditions en langue française. |
[1] Rudolf Steiner : Die Weltgeschichte in anthroposophischer Beleuchtung und als Grundlage der Erkenntnis des Menschengeistes [L'histoire du monde sous l'éclairage anthroposophique et comme fondement de la connaissance de l'esprit humain] (GA 233), Dornach 1991, p.159.
[2] À l’endroit cité précédemment, p.155.
[3] Stephan Eisenhut : L’âme de la Société anthroposophique, dans Die Drei 6/2023, pp.49 et suiv. [Traduit en français :
DDSE623.pdf, ndt]. À lire sur soi-esprit.info ici : https://www.soi-esprit.info/articles/669-lame-de-la-societe-anthroposophique-quelles-conditions-necessite-une-essence-mysterique-conforme-a-lepoque
[4] Voir, Rudolf Steiner : Esoterische Betrachtungen karmischer Zusammenhänge. Dritten Band ─ Die karmischen Zusammenhänge der anthroposophische Bewegung [Considérations ésotériques sur les relations karmiques. Troisième volume ─ Les relations karmiques du mouvement anthroposophique] (GA237), Dornach 1991, p.112.
[5] La conception avancée ici fut formulée de la même façon par Marie Steiner. Ainsi écrivit-elle dans une lettre adressée à Richard Dürich, le 3 septembre 1947, en référence à un conception de Günther Wachsmuth : « Ce n’était guère la maturité de la Société qui rendit cela possible, mais ce fut un acte de sacrifice de la part de Rudolf Steiner, par lequel il voulut sauver le Mouvement, en prenant sur lui le Karma de la Société. Mais par ce sacrifice, il a pu aller chercher les plus hautes révélations spirituelles pour les ramener ici-bas, mais il dut payer cela de sa vie ». Marie Steiner : Briefe und Dokumente [Lettres et documents], Dornach 1981.
[6] Dans le n° 46 de la Nachrichtenblatt [Feuille d’information, ndt] on invita à la première Assemblée générale ordinaire de la Société anthroposophique générale le 29 décembre 1925, au matin à 11h 30 et à une pré-assemblée des membres de la Société anthroposophique à 10 heures. Voir la Chronik 1924/125, dans Rudolf Steiner : Die Konstitution der Allgemeinen Anthroposophischen Gesellschaft und der Freien Hochschule für Geisteswissenschaft [La constitution de la Société Anthroposophique Universelle et de l'Université Libre de Science de l'Esprit] (GA 260a), Dornach 1987, p.698.
[7] À partir d’ici et dans ce qui va suivre, je cite un passage, vérifié par mes soins, d’un protocole non encore publié de cette pré-assemblée qui est consultable aux Archives Rudolf Steiner (Regal083a/1. Mappe « GV1925 »). Il en ressort que l'Assemblée générale officielle était considérée comme une formalité juridique au cours de laquelle, en présence d'un notaire, toutes les résolutions nécessaires devaient être adoptées le plus rapidement possible. Cela montre que le sens de l’articulation des fonctions administratives, entreprise par Rudolf Steiner, n'avait pas du tout été comprise. Rittelmeyer considérait, lui aussi, que la fonction de l'assemblée préliminaire était de soutenir le Vorstand par son approbation, afin de lui donner « à l'intérieur des formes juridiques dans lesquelles nous devons justement vivre actuellement, la sécurité extérieure, également vis-à-vis des autorités et du monde, dont les organisations ont besoin dans le monde ».
[8] Cette formulation choisie par Rudolf Steiner se trouve dans, du même auteur : Le Congrés de Noël pour la fondation de la Société antrhoposophique universelle 1923/1924, ( GA 260), Dornach1994, p.125.
[9] Protocole de l’assemblée préliminaire. Marie Steiner dut avoir entendu le vote de Rittelmeyer probablement avec un silence rempli d’amertume. Car d’après ses propres dires, Rudolf Steiner voulait qu’elle prenne la seconde présidence. « Mais elle a toutefois objecté que ces forces de santé ne seraient guère suffisantes pour son travail artistique si elle avait encore cette nouvelle grande tâche. En outre, il lui semblait que vis-à-vis de l’extérieur, ce n’était pas bon que la nouvelle Société mondiale fût représentée par un couple marié. Rudolf Steiner a accepté cette objection et lorsqu’elle lui proposa à sa place, là-dessus [...] d’appeler Albert Steffen, il fut d’accord sous la condition qu’elle reprît avec celui-ci le poste de vice-président. ─ GA 260a, p.9.
[10] Voir, du même auteur : Quatre Drames-Mystères, (GA 14), Dornach 1985.
[11] Le combat de Rudolf Steiner qui visait une forme sociétale nouvelle après l’incendie du Goethéanum ne fut toutefois pas compris : « Et autant il faut se réjouir quand la mère s'occupe de sa fille, autant il faut attirer l'attention sur le fait que la fille ne peut pas non plus s'épanouir sans que la mère ne soit choyée. » ─ Du même auteur : Anthroposophische Gemeinschaftsbildung [Formation d’une communauté anthroposophique (GA 257), Dornach 1989, p.21.
[12] Serge Prokofiev : Menschen mögen es hören ─ Das Mysterium der Weihnachtstagung [Puissent les êtres humains l’entendre ─ Le Mystère du Congrès de Noël], Stuttgart 2002, p.957.
[13] À l’endroit cité précédemment, p.958.
[14] Ebd.
[15] À l’endroit cité précédemment, p.950.
[16] À l’endroit cité précédemment, p.951.
[17] À l’endroit cité précédemment, p.956, le soulignement en italique est dans l’original.
[18] Ebd.
[19] Oscar Schmiedel avait eu, avant le Congrès de Noël, un entretien avec Rudolf Steiner dans lequel il s’agissait de l’opposition à l’encontre de Ita Wegman. Il prit note de la déclaration de celui-ci comme suit : « Si l'acharnement contre Mme Wegman se poursuit, il conduira à l'éclatement de la société. » Et il ajouta : « Et cette tendance se fait également sentir dans mon environnement proche. Mais là aussi, je vais m'y opposer de la manière la plus énergique possible. » Pour Schmiedel, il était sans aucun doute clair quant à voir de qui Steiner parlait. Voir Peter Selg : Oscar Schmidel, Stuttgart 2010, p.144.
[20] À l’endroit cité précédemment [voir la note 12 ; ndt], p.958. Prokofiev y cite ici un passage de Rudolf Steiner tiré du GA 260a, p.92.
[21] À l’endroit cité précédemment, p.959.
[22] Rudolf Steiner : Esoterische Betrachtungen karmischer Zusamenhänge. Vierter Bd. ─ Das geistige Leben der Gegenwart im Zusammlenhang mit der anthroposophischen Bewegung [Considérations ésotériques sur les relations karmiques. Quatrième tome ─ La vie spirituelle du présent en relation avec le mouvement anthroposophique] (GA 238), Dornach 1991, p.103. Rudolf Steiner prophétisa, dans son ultime conférence sur le Karma, qu’à la fin du siècle, de nombreuses âmes se réincarneraient. [sous-entendu, je suppose que cela concernait les anthroposophes, surtout… ndt]
[23] https://biographien.kulturimpuls.org/detail.php?&id=723
[24] Selon Christoph Lindenberg, outre les théologiens, Marie Steiner, Albert Steffen et Ernst Uehli, ont participé à ce l’ensemble du cours réservé aux Théologiens. ─ Voir: de cet auteur : Rudolf Steiner Eine Chronik (Stuttgart 2010), p.494.
[25] Je n’ai pas trouvé de preuves directes jusqu’à présent et il n’y en a pas non plus aux Archives Rudolf Steiner. On n’en trouve pas pareillement dans l’ouvrage de Ernst Uehli : Leben und Gestaltung im Dienste eines Welt- und Menschenbildes {Une Vie et une organisation au service d’une formation de l’être humain et du monde} (Stuttgart 1975). Comme il est prouvé qu’il fut présent à Dornach jusqu’à l’issue du cours aux théologiens,─ le 21septembre , une contribution fut enregistrée par lui, voir : Rudolf Steiner : Conférences et cours sur : christlich-religiöses Wirken III [Effet la religion chrétienne III] (GA 344), Dornach 1994,p.237 ─ Il aurait pour le moins assisté à la conférence au sujet de : Zur Geschichte der Kultushandlungen [Au sujet de l’histoire des opérations cultuelles] du 22septembre.
[26] « Rudolf Steiner avait naturellement attendu, que la Société fût orientée en correspondance par le Vorstand central, respectivement par Uehli. Étant donné que cela n’était pas arrivé, Rudolf Steiner avait lui-même donné l’orientation nécessaire dans les deux conférences qui ont précédé l’incendie du premier Goethéanum (30 & 31 décembre 1922) » ─ Du même auteur : L’année fatidique 1923 dans l’histoire de la Société anthroposophique (GA 259), Dornach 1991, p.205, Note de l’éditeur.
[27] Rudolf Steiner décrivit cette charge comme suit ; « Je déclarai cette fois-là que depuis longtemps, il était remarquable que la Société anthroposophique avait besoin d’une consolidation et je ne pouvais que me promettre quelque chose que si le Vorstand central à Stuttgart, complété par des personnalités qui font autorité à Stuttgart me proposât à mon retour ici à Stuttgart, quelles étaient leurs propositions en ce sens quant à savoir comment il souhaiterait débuter cette consolidation ; sinon, si aucune idée ne vînt à ce Vorstand central, je devrais alors moi-même m’adresser à chaque membre individuel. » ─ GA 259, p.114.
[28] « Prenons l'exemple du « renouveau religieux » que vous avez mis à l'ordre du jour. Ce renouveau religieux est un événement. Un jour le Dr. Rittelmeyer et Emil Bock se sont présentés et ont lancé l'idée. Cela est parti des différentes réunions qui ont eu lieu avec les personnalités proéminentes du mouvement du renouveau religieux. De toutes ces réunions, les personnalités dirigeantes ont tiré les conclusions qui s'imposaient. Monsieur Uehli était présent à toutes ces réunions. Il n'était pas évident de nommer M. Leinhas, mais justement M. Uehli. Il connaissait parfaitement tout ce dont il s'agissait. Les autres participants au cours ont commencé leur action, mais le membre du comité central s'est assis sur la chaise curule ! C'est de là que naît la bouillie que vous devez maintenant faire bouillir ». ─ GA 259, p.205.
[La chaise curule est le fauteuil en ivoire sur lequel les premiers magistrats de Rome, s’asseyaient, aujourd’hui l’expression est suivie d’un jugement « silencieux » qui conclut « silencieusement » : « … pour ne rien faire ! ». ndt]
[29] GA 259, p.216.
[30] GA 216, p.54.
[31] Voir GA 259, p.33.
[32] Voir aussi, à ce propos la lettre de Uehli adressée à Emil Bock (voir GA 259, p.201), où il se justifie pour son oubli. Même 25 ans après les événements, il n’était pas au clair quant à savoir ce qu’il eût dû faire. [La réponse se trouve peut-être dans les archives du Vatican, voir l’explication qui suit ndt]
[33] Rudolf Steiner : Weltsilvester und Neujahrsgedanken [Saint Sylvestre Universelle et Idées du Nouvel An] (GA 195),
Dornach 2003, pp.18 et suiv. [On peut penser ici au Concert européen du nouvel An à Vienne, se concluant ritournellement sous le charme délicieux de la marche de Radetzsky (Habs)bourgeoise, ndt]
[34] Voir, du même auteur : Die Grundimpulse des Wektgeschichtlichen Werdens der Menschheit [Les impulsions fondamentales du devenir historique de l'humanité] (GA 216), Dornach 1988, p.131 [Ceux qui veulent avoir des preuves historiques dûment circonstanciées et datées, voir en français, car c’est là une histoire de chez nous, surtout qu’elle démarre effectivement en ce funeste 9 ème siècle… et ces malheureuses victimes qui anticipèrent l’esprit libre ! : José Dupré : Cathares en chemin… pour les comprendre ─ Chez l’éditeur : LA CLAVELLE-
RIE F-24650 Chancelade (Dordogne) 14 €, ─2006 : ISBN 2-9513 078-5-3 ─ EAN 9782951307858 (très bel et enrichissant ouvrage rempli d’espoirs futurs, ndt)]
[35] Rudolf Steiner : La mission de Michaël (GA 194), Dornach 1994, p.227.
[36] À plusieurs reprises en 1923, Rudolf Steiner indiqua ce danger et insista alors sur le fait que Friedrich Rittelmeyer l’a reconnu. Voir Rudolf Steiner : Formation d’une communauté anthroposophique (GA 257), Dornach 1989, pp. 112 & 168.[En France, c’est tout le système éducatif universitaire centralisé ─ un organe supérieur du « Mamouth à dégraisser (Claude Allègre) », mis en vérité en place par Napoléon 1er et relativement laïcisé à la fin du 19ème siècle, qui peut servir d’exemple concret en terme de résultats de cette tendance. ndt]
Notes de la rédaction
(Stéphane Lejoly)
[i] À ce sujet, on lira notamment avec un vif intérêt l’ouvrage passionnant et bouleversant d’Irène Diet portant pour titre « Jules et Alice Sauerwein et l'anthroposophique en France ». On y prendra connaissance non seulement de l'histoire de l’anthroposophie en France, mais aussi des tensions, conflits et événements tragiques qui secouèrent le comité de la Société anthroposophique à Dornach. Irène Diet a mis ce livre gratuitement à la disposition du public. On peut le télécharger au format PDF via Soi-esprit.info en cliquant ci-dessous : Telecharger Jules et Alice Sauerwein et l'anthroposophique en France.pdf
[ii] Stephan Eisenhut met ici l’accent sur une erreur fondamentale, voire peut-être l’erreur la plus fondamentale, celle qui consistait à croire en la légitimité (quasi « automatique » voire, irais-je jusqu’à dire, « surnaturelle » ?) du Vorstand tel qu’il existait après la mort de Rudolf Steiner, et que ce Vorstand dès lors « puisse être pour nous un meneur légitime dans tout l’avenir ».
Bien souvent j’ai entendu par le passé des propos provenant de certaines personnalités qui se prévalaient de l’anthroposophie, attestant d’une forme de soumission plus ou moins consciente ou inconsciente au « Goetheanum » (à son Vorstand et à ses « fonctionnaires »). Cela se reflétait aussi dans des attitudes similaires à l’égard de certains comités nationaux (je n’ai pas observé cela particulièrement en Belgique… mais par contre tout de même dans un pays pas très éloigné de la Belgique 😊). À de telles occasions, j’avais le sentiment de me trouver à nouveau au sein de l’Église catholique (j’y avais été baptisé) que j’avais fuie pour cette raison notamment.
Étant devenu membre de la Société anthroposophique vers 1993 (si j’ai bon souvenir), il m’était apparu de plus en plus clairement, peut-être vers 1996, que cette dernière constituait comme une espèce de cercueil pour l’anthroposophie ; en quelque sorte une structure ayant pour effet de l’enfermer dans une forme mortifère et momifiée. Il devenait primordial de ne pas se laisser enfermer dans ce sarcophage, pour espérer cultiver une anthroposophie vivante.
Remarquons que dans une conférence donnée le 3 février 1924, portant sur les conditions d’admission dans la première classe de l’Université libre, Rudolf Steiner énonçait ceci :
« Ce qui est en jeu avec cette première Classe que je voudrais constituer, c'est que le rapport entre la Direction et chacun des membres doit être conçu en un certain sens comme un rapport entre libres contractants, mais un contrat dans lequel on s'engage véritablement. Si bien que la Direction ne peut à aucun moment se sentir liée à faire avec un membre ce qui doit être fait dans la première Classe si ce membre ne s'engage pas de son côté. Il s'agit donc vraiment d'un rapport entre libres contractants. Mais il faut comprendre avec le maximum de sérieux qu'il s'agit d'un contrat librement accepté. Et c'est ainsi seulement que nous pourrons peu à peu entrer dans un véritable ésotérisme. » {Gras ou souligné : SL – Un extrait de cette conférence peut être consulté ici : Conditions d'admission dans la première classe de l'université libre de science de l'esprit}.
Nous sommes très loin d’une espèce d’atmosphère religieuse de foi inconditionnelle en la Direction du Goetheanum, mais au contraire dans une relation de totale liberté entre personnes, et ce, du vivant déjà de Rudolf Steiner.
[iii] Stephan Eisenhut fait référence ici aux différents domaines d’application de l’anthroposophie : pédagogie, médecine, agriculture, etc. qui sont comme autant de « filles » de l’anthroposophie (« générale »). Voir notamment GA257. Lorsque le lien avec l’anthroposophie générale n’est plus maintenu, les filles, c’est-à-dire ces domaines d’application pratique iraient toujours davantage en se desséchant, selon Rudolf Steiner. C’est exactement ce qui s’est passé et qui, selon mon expérience personnelle, était déjà dans un état relativement avancé au cours des années 1990 (et ne fait de plus en plus que dégénérer et se dessécher, d’autant plus qu’il existe jusqu’au Goetheanum lui-même, de la part de certaines personnalités, la volonté de « mettre Rudolf Steiner de côté, voire à la porte », et ce de multiples façons). Il ne sert à rien de pleurer sur ces faits, mais à mon sens aujourd’hui plutôt d’œuvrer à identifier, notamment en vue d’envisager des collaborations à venir sous différentes formes, les individualités qui sont clairement conscientes de ces processus et qui agissent dans l’esprit vivant de l’anthroposophie (et ce en toute indépendance bien sûr par rapport au Goetheanum et à ses satellites). Précisons que des collaborations peuvent aussi être envisagées avec des individualités actives au sein même du Goetheanum, le cas échéant. Ce sont les qualités et l’activité spirituelle individuelles qui importent ici, et non pas l’appartenance ou non à une institution (du moins jusqu’à une certaine limite !), pour déterminer avec qui éventuellement collaborer ou ne pas collaborer. Tout ceci implique un développement continuellement accru des facultés de discernement dans le domaine spirituel. Ce développement est particulièrement difficile, exigeant, et requiert d’être exercé et cultivé constamment, ce à quoi se prête si bien l’époque actuelle, qui enclos l’humanité dans d’incommensurables illusions et mensonges.