Extrait du reccueil de conférences « Les arrière-plans spirituels de la Première Guerre mondiale »
Stuttgart, le 11 mai 1917 - 9ème conférence
Rudolf Steiner – GA174b
Éditions anthroposophiques romandes (2010) -
Traduction : Jean-Marie Jenni
(…) dans toute la littérature anthroposophique, prévaut une intention de base, un point de vue fondamental, une tendance principale, une idée de base. Lorsqu'on parcourt tous ces écrits, non pas avec le regard bienveillant qui a souvent cours dans nos cercles, mais avec le regard critique tel qu'il peut s'aiguiser au contact de la culture actuelle, on reconnaîtra qu'il y a un noyau central dans toute cette littérature anthroposophique. C'est que tout y est dirigé par le désir d'apporter aux âmes humaines ce dont elles ont le plus besoin actuellement, c'est-à-dire l'autonomie, le jugement propre, à partir d'une intériorité propre. J'ai fort souvent résisté aux demandes qui m'étaient adressées de rendre mes écrits plus populaires. J'y ai toujours résisté, car il ne s'agit pas de répandre par la littérature anthroposophique des articles de foi accessibles à tout entendement superficiel, mais il s'agit uniquement, par cette littérature, de favoriser le jugement propre, l'éveil du besoin de la recherche individuelle dans les âmes. C'est ce qui prévaut dans toute la littérature anthroposophique, ce dont chacun peut se convaincre, s'il le veut.
Il n'y est nulle part demandé une foi aveugle. Il est certes évoqué des choses difficiles à vérifier par soi-même, mais elles sont évoquées comme des faits du monde spirituel que chacun peut accueillir comme des communications qu'il peut sans cesse replacer devant son regard critique, s'il le désire. Et nous avons constaté, ces derniers temps, que certains amis ont pu s'approcher de très près des choses les plus subtiles à l'aune de leur esprit critique dépourvu de préjugé. Personne ne doit craindre l'application de l'esprit critique à la littérature anthroposophique dont il est question ici. Cette critique dépourvue de préjugé doit subsister, et elle subsistera d'autant mieux qu'elle demeurera dépourvue de préjugé. Personne n'entendra autre chose à propos de cette question sinon : vérifiez, vérifiez, vérifiez, mais n'en restez pas à la vérification, cherchez avant tout à vérifier en approfondissant, par les moyens de la pensée actuelle, l'approche des questions. C'est en raison de cette recherche que les écrits de cette littérature peuvent rendre les hommes autonomes.
Néanmoins, il faut bien constater aussi que l'anthroposophie est accueillie de bien des façons. Je rencontre sans cesse des gens qui viennent à une conférence, lisent tel ou tel petit opuscule puis disparaissent. C'est leur bon droit, évidemment, personne ne leur en fera le reproche. Lorsqu'on leur demande pourquoi ils ne viennent plus, en toute amitié toujours, on reçoit pour réponse : je crains d'être convaincu à la longue. C'est sans doute une parole significative, mais elle pointe sur une chose bien particulière. Ce qui est tenté, c'est précisément de dépasser le mal traditionnel de notre temps qu'est l'imposition d'avis personnels ou de théories personnelles pour, au contraire, montrer aux âmes ce que dit le monde spirituel lui-même dès lors qu'on cherche à s'y intéresser de toute son âme par les moyens dont on parle, les moyens par lesquels l'âme se rend capable d'écouter, en quelque sorte par elle-même, le spirituel dans le monde.
Une conception qui prend certes sa source dans les besoins les plus profonds de l'âme humaine mais qui va à l'encontre de manière si fondamentale de la croyance de la plupart des gens, ne trouvera son chemin que très lentement vers les âmes humaines. Celles-ci tiennent fortement à leurs habitudes. Les âmes humaines préfèrent entendre, prononcé du haut de la chaire, ce qu'elles savent déjà. Les vérités qui «ont été pensées depuis longtemps déjà» ne sont justement pas celles qu'on trouve dans les enseignements de l'anthroposophie. Or c'est là précisément ce que la plupart des gens leur reprochent au premier chef ; ils ne peuvent pas dire : ah! c'est ce que je pense depuis longtemps déjà. Ils ne veulent pas non plus admettre que s'ils labourent suffisamment en profondeur dans leur intériorité, ils reconnaîtront que l'on n'expose pas des opinions personnelles mais des relations régissant les facteurs de développement de l'humanité. Durant ce séjour à Stuttgart, nous reviendrons encore abondamment sur ces facteurs de développement de l'humanité. Il est ainsi fort compréhensible que bien des obstacles et des inhibitions apparaissent lorsque les hommes essayent de s'approcher de l'anthroposophie, de la science de l'esprit.
Mon livre L'initiation ou comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs ?[1] se lit en ce moment beaucoup, non seulement au sein de notre mouvement, mais également en dehors de lui. À la lecture de ce livre on peut sans arrêt refaire l'expérience suivante, fort caractéristique. Admettons que quelqu'un, lisant ce livre quelque part, ici ou là, m'adresse une lettre. Je me réjouis évidemment chaque fois que je reçois une lettre compréhensive sur un quelconque de mes livres ou sur n'importe quel sujet d'ailleurs, mais tout particulièrement sur le livre L'initiation ou comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs ? Mais en général la lettre que je reçois est la preuve la plus claire que son auteur n'a pas compris le livre, qu'il a transposé les éléments les plus importants du livre dans l'esprit matérialiste du présent. Car le point sur lequel la plupart des lecteurs de ce livre achoppent est le suivant.
Mais précisons tout d'abord encore la chose suivante: la lecture de L'initiation ou comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs? peut évidemment soulever un nombre incroyable de doutes et il se trouvera certainement un grand nombre de personnes pour témoigner que je me suis entretenu avec elles à propos de ces doutes. Je ne voudrais donc pas que ce que je vais dire maintenant retienne qui que ce soit de m'écrire une lettre! Mais le plus souvent la lettre montre que les gens achoppent tous au même point où les choses s'interprètent immédiatement dans l'esprit matérialiste. Il y a beaucoup de choses dans ce livre qui, à l'examen correct conduisent l'être humain directement, de lui-même, à partir de son âme même, dans le monde spirituel. Ce livre est précisément destiné à rendre l'être humain suffisamment autonome, à ne suggérer aucun chemin subjectif mais simplement à évacuer les obstacles afin qu'on puisse trouver par soi-même la vérité. Le meilleur moyen d'accueillir ce livre tout d'abord serait de s'approprier son contenu par un acte intérieur. Mais les gens achoppent sur la phrase suivante : Celui qui a atteint la maturité nécessaire trouvera son maître spirituel, tout naturellement, s'il le recherche correctement. C'est alors que les lecteurs écrivent une lettre à l'auteur de ce livre ; il deviendra mon maître spirituel, se disent-ils, c'est ce qu'il y a de plus simple! Nous avons là une transcription matérialiste. Ce passage est précisément destiné à éveiller chez le chercheur autonome un motif sacré pour poursuive sa recherche qui sera certes différente que d'écrire à quelqu'un: donne-moi des directives. Mais voilà qui semble trop fatigant pour la plupart des lecteurs. C'est ainsi que ce livre qui est parmi les plus lus en Allemagne, et ailleurs en de multiples traductions, est également celui qui est le moins bien compris de tous. Pourtant sa compréhension est d'une simplicité enfantine, pour peu qu'on le laisse agir sur soi en, faisant taire les préjugés et surtout en ne l'interprétant pas dans le confortable esprit matérialiste.
En quelque sorte, aujourd'hui les êtres humains recherchent ici également ce qu'ils recherchent d'habitude en d'autres domaines. L'être humain d'aujourd'hui a fortement pris l'habitude de chercher de l'aide hors de lui-même, c'est-à-dire qu'au lieu d'apprendre à s'aider lui-même à sortir de telle ou telle situation, il se laisse aider sans se préoccuper des principes par lesquels on l'aide. Pourquoi se soucier tant de sa santé ? On se laisse prescrire des ordonnances par celui qui est là pour cela, sans vérifier les principes qui sont à leur base, on remet son destin à celui qui est érigé en autorité. Pourquoi n'en ferait-on pas de même également pour ce qui touche aux voies importantes de la vie de l'esprit, en remettant son destin dans les mains d'autrui ? Mais qu'en est-il alors du livre dont la tâche principale est de stimuler, avant tout, l'autonomie de l'âme humaine? (...)
[1] L'initiation ou comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs ? Il existe plusieurs traductions et intitulés du titre en version française. Voir ici (GA10). Une des traduction de ce livre peut être écoutée sous forme de podcast sur le présent site.
[Caractères gras, soulignés et italiques S.L.]
Rudolf Steiner
Sur une thématique proche, voir aussi l'extrait de conférence suivant : Pourquoi les livres anthroposophiques sont-ils écrits de façon si incompréhensible ?
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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