Extrait de la quatrième conférence du cycle « Formation du destin – Vie après la mort »
Berlin, 7 décembre 1915
Rudolf Steiner – GA157a
2005 - Éditions Anthroposophiques Romandes
Traduction : Claudine Villetet
(...) On nous demande sans arrêt : pourquoi les livres sont-ils écrits de façon si incompréhensible? Ne pourrait-on pas les écrire dans un style beaucoup plus populaire ? Et les propositions imaginant ce style qui serait éminemment populaire fusent. En réalité, il faut se défendre de cette popularité, car elle ne fait qu'exacerber l'égoïsme. Quand il est très facile d'accéder à la science de l'esprit, chacun peut y pénétrer sans dominer son égoïsme. Mais dans le travail qu'il faut accomplir sur le plan spirituel, quand on fait des efforts, il faut dépasser son égoïsme et on parvient ainsi de façon plus désintéressée aux objectifs que permet d'atteindre la science de l'esprit[1]. Il n'en va pas de même quand on ne fait aucun effort, quand on se contente d'une présentation populaire. Par exemple, on nous a déjà dit : « Il y a tellement de personnes qui doivent travailler toute la journée ! Quand elles rentrent le soir, et qu'elles doivent se mettre à la lecture de ces livres difficiles, elles n'y arrivent pas. On devrait leur proposer des textes très faciles. - Voilà ce qu'il nous a fallu répondre: Pourquoi doit-on empêcher ces personnes d'utiliser le peu de temps dont elles disposent pour lire les livres qui ont été intentionnellement écrits dans le style qui correspond à leur contenu spirituel? Pourquoi devraient-elles consacrer ce temps à lire des textes certes faciles, mais réducteurs, même quand ils se servent approximativement des mêmes mots, et qui donc ne transportent pas les âmes de la même manière, les attirant plutôt dans le miroir déformant de la vie grossière au lieu de les en extraire, en parlant de l'art de vivre dans une autre sphère ?
Il sera très important, en ce qui concerne la science de l'esprit, que l'on se penche non seulement sur le « quoi» mais aussi sur le « comment», que l'on prenne vraiment la peine de s'adapter aux représentations relatives à un monde tout différent du monde physique connu, et que l'on s'habitue donc, peu à peu, à se forger d'autres images que celles que l'on tire aisément du monde physique. Et je voudrais ici évoquer une représentation que nous reprendrons lors de notre prochaine étude, dans huit jours. Mais je vais en parler dès aujourd'hui pour vous montrer à quel point il est bon de s'approprier des mots nouveaux pour décrire ce qui se passe dans le monde spirituel.
Pour la vie d'un être humain entre la naissance et la mort, nous avons un mot qui, s'appuyant sur ce que nous voyons, exprime un fait de la vie: c'est le mot «vieillir». Nous voyons l'enfant frais, rond, sa vie intérieure qui coule dans les formes extérieures, nous voyons l'enfant débordant de vie intérieure qui se déverse dans la forme extérieure, jusqu'à un certain âge. Vient alors le temps où la vie intérieure cesse d'être aussi jaillissante, nous nous ridons, nous changeons. Bref, c'est le corps physique qui dicte la lecture que nous pouvons faire de cette vie extérieure, de la naissance à la mort physique. Nous appelons cela « vieillir » pour la raison très bête que notre corps physique est jeune quand nous naissons et qu'il est vieux quand nous mourons.
Ce n'est pas du tout la même chose pour le corps éthérique. Notre corps éthérique, si nous souhaitons utiliser ce mot, en raison des forces qui le modèlent, est vieux quand il est conduit vers la naissance ou la conception. Il est vieux au moment où nous commençons notre vie physique, il a des traits précis, il est ciselé, il a beaucoup de contours internes, ce sont des mouvements, et des contours internes en même temps. Ceux-ci lui sont retirés au cours de la vie, ce qui a pour conséquence d'augmenter la force de vie: il est un enfant quand nous mourons vieux. Le corps éthérique a une évolution inverse de celle du corps physique[2]. Si nous disons, parlant du corps physique, que « nous vieillissons », nous devons dire en parlant du corps éthérique : « nous rajeunissons », et il est bon de créer cette expression : « nous rajeunissons » : nous rajeunissons en ce qui concerne notre corps éthérique, nous rajeunissons vraiment sous ce rapport : à notre naissance, ce corps éthérique tourne sa force vers tout ce qui est enfermé dans la peau humaine, alors que, quand nous franchissons la porte de la mort à un certain âge, il manifeste une sorte de parenté avec le cosmos tout entier. Il a retrouvé toutes les forces qui lui avaient été retirées. À l'instant où nous sommes devenus un enfant, son lien avec le cosmos a été interrompu, il lui a fallu envoyer toutes ses forces uniquement dans l'espace qui est enfermé dans la peau humaine, il a été alors comprimé pour ainsi dire en un point du monde. À mesure que le corps physique vieillit, il retrouve sa fraîcheur et reprend peu à peu sa place dans le cosmos. Nous pouvons dire: - l'expression est naturellement très exagérée - : tandis que nous pâlissons et que nous nous ridons, le corps éthérique prend de bonnes joues rondes et redevient un reflet de la force extérieure, de la force extérieure créatrice et débordante, de même que le corps physique est une expression de la force extérieure créatrice et débordante au début de l'enfance. Nous «rajeunissons» en ce qui concerne le corps éthérique. Et il sera de plus en plus nécessaire de forger des mots permettant de saisir réellement les lois tout à fait originales du monde spirituel. Il est important de nous familiariser avec cette différence radicale qui sépare la vision du monde spirituel de celle du monde physique. Nous reprendrons ici notre prochaine étude. (...)
[1] Ndlr : Juste avant d’aborder cette question, au cours de cette conférence, Rudolf Steiner venait de longuement de présenter la problématique de l’égoïsme à partir d’un certain point de vue ésotérique (il en existe un grand nombre, y compris au niveau ésotérique) et il concluait cette réflexion par les paroles suivantes : « Quand on élargit ses intérêts, on combat toujours, d'une manière ou d'une autre, son égoïsme. Car chaque chose nouvelle qui suscite notre intérêt nous fait faire un pas en dehors de nous-même. C'est pourquoi nous étudions la science de l'esprit en ne nous souciant pas seulement de ce que l'égoïsme humain souhaite entendre, mais en veillant vraiment à un élargissement authentique des intérêts. »
[2] Voir l’exposé détaillé dans la conférence prononcée à Dornach le 5 septembre 1915 dans Hasard, nécessité et providence, GA163, Éditions anthroposophiques romandes.
[Caractères gras, italiques et soulignés S.L.]
Rudolf Steiner
Sur cette thématique, voir aussi l'extrait de conférence suivant : Une intention fondamentale dans toute la littérature anthroposophique: Éveiller l’autonomie des lecteurs
Note de la rédaction Un extrait isolé issu d'une conférence, d'un article ou d'un livre de Rudolf Steiner ne peut que donner un aperçu très incomplet des apports de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique sur une question donnée. De nombreux liens et points de vue requièrent encore des éclairages, soit par l'étude de toute la conférence, voire par celle de tout un cycle de conférence (ou livre) et souvent même par l'étude de plusieurs ouvrages pour se faire une image suffisamment complète ! En outre, il est important pour des débutants de commencer par le début, notamment par les ouvrages de base, pour éviter les risques de confusion dans les représentations. Le présent extrait n'est dès lors communiqué qu'à titre indicatif et constitue une invitation à approfondir le sujet. Le titre de cet extrait a été ajouté par la rédaction du site www.soi-esprit.info |
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