Extrait de la dixième conférence du cycle « L’Évangile de Saint Luc »
Bâle, 26 septembre 1909
Rudolf Steiner – GA114
3e édition - Éditions Triades
Traduction : Henriette Waddington
(…) quelqu’un pourrait nous poser la question suivante : comment se fait-il (puisque le courant spirituel du bouddhisme s’intègre d’une façon vivante à la doctrine chrétienne), que celle-ci ne fasse aucune mention de la grande loi du Karma, de la compensation qui s’établit au cours des incarnations successives d’un être humain ? Or ce serait bien mal comprendre l’Évangile de St-Luc que de croire que la notion d’une loi du Karma ne s’y trouve pas. Car elle s’y trouve bien. Mais si l’on veut comprendre ce genre de choses, il faut voir que les besoins de l’âme humaine sont différents aux différentes époques et que les grands instructeurs de l’évolution mondiale n’ont pas toujours pour mission de révéler à l’humanité la vérité absolue sous une forme abstraite; car les êtres humains étant à des degrés différents de maturité, ils ne la comprendraient guère.
Ces grands instructeurs doivent donc s’exprimer de telle façon que chaque époque reçoive ce qui lui convient. L’influence du grand Bouddha a doté l’humanité de la sagesse qui peut l’amener à comprendre la doctrine du Karma, ainsi que celle de la réincarnation qui en dépend, en rattachant cette doctrine aux notions de pitié et d’amour telles qu’elles sont contenues dans le Sentier octuple. Et si l’on n’y parvient pas en suivant cette voie, c’est qu’on ne sait pas retrouver dans l’âme humaine ce qui la mène à admettre les idées de Karma et de réincarnation.
Hier nous avons dit que dans trois mille ans à partir de maintenant, une grande partie de l’humanité sera assez avancée pour tirer de son propre fond la doctrine du Sentier octuple et (nous pouvons l’ajouter aujourd’hui) la connaissance du Karma et de la réincarnation. Mais ceci doit se faire peu à peu. Car la fleur ne s’épanouit pas aussitôt la graine enfoncée dans la terre ; la plante doit nécessairement se développer feuille à feuille. De même faut-il que l’évolution du courant spirituel qui passe à travers l’humanité se poursuive d’étape en étape, chaque chose apparaissant à son heure.
Celui qui, au moyen de facultés acquises par la science de l’esprit descend aujourd’hui dans les profondeurs de son âme voit bien que l’enseignement de ce que sont le Karma et la réincarnation est une nécessité. Mais notez bien que l’évolution n’a pas lieu inutilement; c’est à notre époque seulement que les âmes sont de nouveau assez mûres pour retrouver en elles-mêmes ces notions. Il n’eût pas été bon de les révéler exotériquement quelques siècles plus tôt. Rendues publiques prématurément, les vérités de la science de l’esprit auxquelles aspirent ardemment les âmes d’aujourd’hui et qui sont liées à l’investigation occulte des Évangiles, auraient nui à l’évolution humaine.
Car il fallait que ces âmes en ressentent le besoin ardent, il fallait qu’elles acquièrent des facultés qui leur permettent d’accepter les notions de Karma et de réincarnation. Il fallait donc que ces âmes aient déjà vécu avant et après la venue du Christ et qu’elles aient passé par les expériences qu’il faut faire avant qu’on soit mûr pour comprendre ces vérités. Révéler ces choses ouvertement dès les premiers siècles du christianisme, c’eût été exiger de l’évolution humaine un effort qui équivaudrait à faire sortir de la plante la fleur avant les feuilles.
L’humanité est aujourd’hui seulement assez mûre pour comprendre le contenu spirituel de la loi de Karma et de réincarnation. Quoi d’étonnant par conséquent à ce que dans les Évangiles, tels qu’ils nous ont été conservés à travers les siècles, il se trouve certaines choses qui donnent en réalité une idée tout à fait fausse du christianisme ? En un sens, l’Évangile a été donné prématurément à l’humanité et c’est aujourd’hui seulement que celle-ci est capable d’acquérir toutes les facultés qui peuvent l’amener à comprendre leur véritable contenu. Il était absolument nécessaire que pour son enseignement, le Christ tint compte de l’état, de la composition des âmes de son époque ; il ne s’agissait donc pas d’enseigner sous forme de doctrines abstraites ce que sont la réincarnation et le Karma, mais d’inculquer à l’âme humaine des sentiments capables de la mûrir et de l’amener peu à peu à admettre ces notions. C’est-à-dire qu’il fallait dire à cette époque ce qui pouvait peu à peu aboutir à une compréhension du Karma et de la réincarnation et non pas enseigner la doctrine elle-même.
Cela, le Christ Jésus et ceux qui l’entouraient le faisaient-ils ? Pour le savoir, il faut ouvrir l’Évangile de St-Luc en sachant le lire. Si nous le lisons en sachant vraiment comprendre ce genre de choses, nous y verrons comment la loi du Karma a pu être enseignée à l’époque.
«Heureux vous qui êtes pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. Heureux vous qui avez faim, car vous serez rassasiés. Heureux vous qui pleurez maintenant, car vous serez dans la joie. Heureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront, qu’ils vous chasseront, qu’ils vous diront des outrages et rejetteront votre nom comme infâme à cause du Fils de l’Homme. Réjouissez-vous en ce jour et tressaillez d’allégresse, car votre récompense sera grande dans le ciel».
(St-Luc, VI, 20-23).
Nous avons ici la doctrine de la « compensation ». Il n’est pas fait mention d’une façon théorique du Karma et de la réincarnation, mais on s’efforce de nous inculquer le sentiment, la certitude que celui qui a faim dans n’importe quel domaine recevra une compensation. Il fallait que ces sentiments soient implantés dans les âmes. Et celles qui, vivant à cette époque, ont reçu la doctrine sous cette forme, furent assez mûres lorsqu’elles se réincarnèrent pour la recevoir sous forme de connaissance, la connaissance du Karma et de la réincarnation. Il fallait à l’époque semer dans les âmes ce qui allait peu à peu y mûrir, car une époque entièrement nouvelle s’ouvrait, une époque où des hommes en pleine maturité commençaient à développer leur Je, la conscience de leur Je.
Alors qu’auparavant, ils recevaient des « révélations » dont ils ressentaient les effets dans leur corps astral, leur corps éthérique et leur corps physique, il fallait maintenant que leur Je devienne pleinement conscient. Ce Je ne devait pourtant se remplir que peu à peu des forces qu’il devait acquérir.
[Caractères gras, italiques et soulignés S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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