Source : reccueil de conférences «L'apparition du Christ dans le monde éthérique»
Extrait des notes prises lors de la conférence intitulée «Les mondes supérieurs et leur relation au nôtre» - Rome, le 12 avril 1910
Rudolf Steiner – GA118
Éditions anthroposophiques romandes (1990 - 2e édition)
Traduction : Marcel Bideau
(…) A présent nous devons nous demander que signifie le sommeil pour l'être humain, qu'advient-il de lui lorsqu'il dort? Pourquoi quitte-t-il son corps, et comment celui-ci peut-il vivre sans lui? - L'homme proprement dit, l'homme intérieur, dont le corps extérieur, le corps physique, est l'expression matérielle et l'instrument, cet homme intérieur remarque lorsqu'il s'endort que le monde extérieur tout entier disparaît du champ de ses perceptions; lui-même devient peu à peu insensible à toutes les impressions sensorielles qu'il recevait dans la journée, et tout ce que son âme éprouvait, joie et douleur, s'évanouit complètement. Rendons-nous bien compte que l'homme intérieur, qui perçoit au moyen des sens, est en même temps le porteur du plaisir et de la souffrance, de la haine et de l'amour - lui, et non pas le corps physique.
Ici on pourrait objecter: s'il en est ainsi, comment se fait-il que cet homme intérieur, lorsqu'il quitte son corps, ne conserve pas dans le monde astral les sensations de douleur ou de joie qui se sont fixées en lui? La raison en est que pour percevoir les faits de sa vie intérieure, il doit être dans son corps physique, qui à la manière d'un miroir réfléchit les mouvements de l'âme et les amène à la conscience. Lorsqu'il quitte le miroir, l'image des impressions s'éteint, et il n'en redevient pas conscient avant de s'être retiré à nouveau dans son corps. Ainsi agissent en permanence l'un sur l'autre l'homme intérieur et l'homme extérieur.
Il est intéressant de voir à titre de comparaison ce que la science exacte dit là-dessus; c'est en tous points analogue. Lors de l'endormissement, nous observons que la dépense des forces pendant la journée a entraîné la fatigue de tout l'organisme; les membres refusent peu à peu tout service, la voix, l'odorat, le goût, la vue suspendent toute activité, et en dernier l'ouïe, le plus spirituel de nos sens; au réveil, nous sentons qu'une force et une fraîcheur nouvelles sont données aux membres et aux sens.
Mais d'où viennent les forces qui durant le jour reflètent dans l'homme extérieur l'homme intérieur? - Nous les puisons la nuit dans notre patrie spirituelle, le macrocosme, et nous les apportons le matin dans le monde physique, sans lequel, privés de cette plongée de chaque nuit dans la vie intérieure du cosmos, nous ne pourrions pas subsister. Le sommeil est nécessaire parce que sans lui il se produirait des troubles de la vie de l'âme. C'est le sommeil qui nous dispense les forces spirituelles.
Nous venons de voir ce que nous acquérons dans le monde spirituel en vue de la vie dans le monde physique; nous pouvons maintenant poser la seconde question: qu'emportons-nous le soir de l'état de veille dans celui de sommeil? La réponse, c'est la vie de l'homme entre la naissance et la mort qui nous la donne. Nous voyons comment la vie s'enrichit du fait de la somme sans cesse croissante des expériences que chacun doit ensuite élaborer pour son compte.
Prenons par exemple un événement historique: chacun le juge en fonction de son degré de maturité; l'un n'en sera nullement influencé et sera incapable d'en tirer un enseignement, l'autre laissera cet événement agir sur lui avec toute sa force et deviendra un sage. Chez ce dernier, le vécu se sera transformé en forces spirituelles.
L'exemple suivant nous donnera une idée plus claire encore de ce processus. Pensons à un enfant qui apprend à écrire. Que d'essais malheureux il aura dû faire jusqu'à ce qu'il puisse tracer les premières lettres, que de papier et de crayons il aura dû user, que de punitions il aura subies pour ses pâtés et sa mauvaise écriture, et cela pendant des années, jusqu'à ce qu'enfin il sache écrire correctement. Toutes les épreuves par lesquelles cet enfant a passé se sont pour ainsi dire concentrées en lui en une faculté: maintenant il sait écrire.
Ainsi les expériences se transforment en forces de l'âme que chaque soir nous emportons dans le monde astral. Le sommeil à son tour, provoquant la transformation de ces forces, vient ici ajouter ses effets.
Nous savons à peu près tous par expérience qu'une poésie apprise par cœur ressurgit après le sommeil plus solidement fixée dans la mémoire. Cette vérité est devenue une maxime courante: Bisogna dormirci sopra, il faut dormir là-dessus.
Il ressort de tout cela que nous transportons dans notre patrie spirituelle le vécu élaboré dans la journée et que le matin nous le ramenons, métamorphosé en forces spirituelles, dans le monde physique. A présent nous comprenons plus clairement le but et la nécessité de cette vie alternée sur l'un et l'autre plans de l'existence, et aussi l'importance du sommeil, sans lequel la vie sur la terre ne serait pas possible.
Il existe cependant une limite à cette transformation des forces; chaque matin, quand l'être s'immerge à nouveau dans son corps, cette limite apparaît de plus en plus clairement. C'est celle que notre corps physique impose aux facultés que nous avons acquises. Certes, il existe des facultés que nous pouvons transformer et faire entrer jusque dans nos structures corporelles, mais ce n'est pas le cas pour toutes.
Prenons quelqu'un qui au long de dix années a assimilé de réelles connaissances du monde extérieur et du monde occulte. Avec les connaissances du monde extérieur, avec les connaissances scientifiques qu'il a faites siennes, il n'a enrichi que son entendement et son intellect; par contre, ses expériences intimes, les connaissances qu'il doit au plaisir et à la souffrance s'imprimant dans son corps physique, ont modifié sa physionomie et ses gestes.
En quoi consiste la limite que le corps oppose à l'assimilation des facultés? Éclairons cela par l'exemple suivant: quelqu'un n'a pas de naissance l'oreille musicale. On sait qu'en musique, pour être exécutant, il est nécessaire d'avoir une fine structure de l'oreille - une structure d'une finesse telle, qu'elle échappe à l'observation scientifique. Si cette personne consacre beaucoup de temps à l'étude de la musique, ce qu'elle assimile dans la journée se transforme la nuit en force spirituelle musicale, mais cette force ne peut pas s'exprimer quand elle entre dans l'organe physique imparfait. Cet exemple illustre l'un des cas dans lesquels l'incapacité de remodeler l'organe physique oppose à la mise en valeur des forces spirituelles une barrière infranchissable. Dans des cas semblables, il faut se résigner et supporter patiemment la dysharmonie entre le corps et les forces qui restent ainsi enchaînées. Celui dont le regard ne s'arrête pas à la surface des choses sait que chacun fait bien des expériences qui le transformeraient complètement s'il pouvait les incorporer à son être physique. Toutes ces facultés qui ne peuvent pas se manifester, toutes ces aspirations qui viennent ricocher sur un corps dénué de souplesse s'accumulent au cours de la vie et constituent un tout nettement visible pour le regard clairvoyant.
Le clairvoyant perçoit trois choses: les facultés que l'être humain a apportées en naissant, puis les facultés nouvelles qu'il a acquises dans la vie et qu'il a pu s'incorporer, et enfin la somme des forces qui n'ont pas pu pénétrer jusque dans la corporéité et qui attendent l'épanouissement.
Ces dernières constituent comme une opposition au corps physique et agissent sur lui à la manière d'une force antagoniste. C'est là la principale force qui ne soit pas en harmonie avec notre vie dans un corps physique. Elle le désagrège peu à peu, le fait dépérir et cherche à se défaire de lui comme d'un lien importun; elle essaie de le déposer comme on fait d'un outil qui n'est plus capable de répondre à des exigences croissantes. Elle est cause que notre corps flétrit, pareil à la fleur qui perd feuille après feuille et dans laquelle il ne reste de vivant que la nouvelle graine. C'est quelque chose d'analogue que le clairvoyant perçoit chez l'être humain: à mesure qu'approche la seconde moitié de la vie, il lui semble voir tout l'acquis se concentrer à l'intérieur de l'être et n'être plus désormais capable de s'épanouir, semblable à une graine qui recèle en elle un petit germe pour le printemps suivant. Chez un mourant, le clairvoyant perçoit un début de germination. Dans chacun d'entre nous prend forme, cachée dans les profondeurs, la graine d'une nouvelle vie.
[Caractères gras et italique S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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