Matthias Grünewald (1475-1528)
Résurrection, Retable d’Issenheim (1512-1516)
Revers du battant droit - Musée d’Unterlinden, Colmar
Extrait de la quatorzième conférence du cycle «Facteurs de santé pour l’organisme social»
Dornach, 11 juillet 1920
Rudolf Steiner – GA198
2e édition (en langue allemande)
Éditions Anthroposohiques Romandes - 2021
Traduction : Jean-Marie Jenni
[NDLR : Le présent extrait est précédé par un autre extrait de la même conférence publié lui aussi sur Soi-esprit.info. Il y est publié sous le titre Que se passe-t-il en chaque individu humain lorsqu'il passe par un processus d'initiation et que se passe-t-il pour la terre lors du Mystère du Golgotha ?]
(…) pour comprendre le mystère du Golgotha, il faut une nouvelle faculté de compréhension, un autre savoir que celui qui suffit pour comprendre le monde de la nature extérieure. Il est nécessaire que l'être humain se transforme. Cette transformation lui permet de comprendre le mystère du Golgotha. Le mystère du Golgotha se tient là comme un fait dans le développement historique du devenir de l'humanité, mais il faut faire la distinction entre le fait et la compréhension que l'on peut en avoir avec les concepts que l'être humain peut inventer au cours du temps. Au temps du mystère du Golgotha, l'ancienne sagesse des mystères s'était presque totalement tue. Ceux qui possédaient encore quelques restes de cette sagesse, sous forme de traditions ou de visions intérieures qu'ils communiquaient à d'autres, étaient appelés à apporter des éléments de compréhension au mystère du Golgotha. En d'autres termes : d'un côté, on a utilisé les anciennes sagesses des mystères. Mais de l'autre côté on a utilisé ce que les hommes ont tenté d'inventer pour accéder à la compréhension du mystère du Golgotha.
Afin d'éviter toute méprise, j'aimerais dire encore ceci : il n'est pas nécessaire d'être clairvoyant pour comprendre le mystère du Golgotha, ce qu'il faut en revanche, c'est accepter, par pure application du sain entendement humain, ce qui est apporté grâce à la clairvoyance. Ce sont les concepts, les représentations, les idées, qui n'englobent pas seulement le monde sensoriel mais aussi le monde supra-sensoriel. De même qu'il n'est pas nécessaire d'être soi-même investigateur spirituel aujourd'hui pour comprendre le mystère du Golgotha mais seulement disposé à accueillir ce qui est puisé au monde de l'esprit, de même autrefois on admettait ce qui était puisé aux anciennes sagesses des mystères. C'est ce qu'on a fait dans les premiers siècles du christianisme. Et finalement, il n'est rien entré non plus dans les Évangiles sinon la sagesse des anciens mystères. C'est ce que j'ai évoqué dans mon ouvrage : Christianisme et les mystères antiques (GA008). Les Évangiles sont en quelque sorte les anciennes sagesses appliquées au mystère du Golgotha. On essayait de rassembler ce qu'on avait de mieux à l'époque pour atteindre à la compréhension du mystère du Golgotha.
C'était aux premiers siècles du Christianisme. Maintenant les sagesses d'alors ont complètement disparu. Si vous cherchez aujourd'hui à faire comprendre le mystère du Golgotha avec les sagesses d'autrefois en faisant appel à la saine raison humaine, vous n'y parviendrez pas. Les sagesses d'autrefois parlent un langage qu'on ne comprend plus aujourd'hui. Pour comprendre ce qu'il en est resté par la tradition, pour retrouver les savoirs ataviques que contenaient les anciens mystères, il faut recourir soi-même à la nouvelle science de l'esprit. Cette nouvelle science de l'esprit est parfaitement compréhensible pour la saine raison de notre époque. Ce n'est pas le cas des anciens savoirs des mystères ; on a besoin pour les comprendre des résultats des nouvelles visions spirituelles. C'est ainsi que de plus en plus de gens ont perdu la compréhension des anciens mystères et aussi par conséquent de celui du Golgotha.
Cela apparaît dans la majeure partie de la théologie actuelle. Celle-ci veut élaborer une explication du mystère du Golgotha sur la base des sciences naturelles. Comme je l'ai souvent rappelé, on cherche l'impossible en voulant refouler la figure du Christ pour ne retenir que celle de Jésus de Nazareth, comme disait l'un de ces théologiens : « l'homme simple de Nazareth »[1]. Le Christ a été exclu de la théologie parce qu'il ne peut pas être compris sur la base d'une science purement sensorielle, les sciences naturelles. La science supra-sensorielle, l'héritage des anciens mystères a été perdue pour l'humanité. Elle était même déjà perdue quelques siècles avant l'événement du Golgotha. En certains lieux de France[2] par exemple, elle a été détruite par l'invasion des Romains dont on sait qu'ils incarnaient partout la « sobriété spirituelle ». Un siècle avant le Christ, les anciens lieux de culte druidique étaient déjà détruits en Gaule par les troupes romaines. On mettait alors à mort des centaines et des centaines de druides. C'était, on peut le dire, une inquisition bien avant celle de l'Église catholique. Et si un jour l'histoire cesse d'être une « fable convenue », concernant le César romain on sera en mesure de raconter encore bien d'autres choses que ce qu'on veut bien en raconter aujourd'hui encore : il a poursuivi les anciennes sagesses des mystères[i]. Il est l'un de ceux qui ont fait éradiquer jusqu'à la racine tout ce que les traditions avaient pu faire survivre à cette époque. Pourtant, des bribes de cette sagesse ont survécu jusqu'au Moyen Âge, voire jusqu'au 18e siècle et, d'une certaine manière, elles permettaient encore de comprendre le mystère du Golgotha. En fait, l'incompréhension totale du mystère du Golgotha est survenue avec le 19e siècle. La théologie du 19e siècle a fait disparaître peu à peu la figure du Christ qui était devenue incompréhensible. Les quelques personnes qui s'emploient véritablement à comprendre le mystère du Golgotha sont celles qui s'opposent au diktat de l'Église catholique.
De quoi peut-il s'agir lorsqu'on met en regard la science de l'initiation actuelle avec le mystère du Golgotha ? Il ne peut s'agir que de retrouver, grâce à la nouvelle sagesse des mystères, la sagesse qui permet de comprendre le mystère du Golgotha. Car il en est vraiment ainsi : si l'évolution qui a produit les sciences naturelles, celle de Galilée, Copernic, etc., continuait sur la lancée, le développement de la barbarie en Occident ferait disparaître complètement le mystère du Golgotha. Or c'est déjà présent, et la situation est très grave : si l'idéal de la connaissance scientifique officielle devait se répandre partout, nous aurions bientôt dans la civilisation occidentale, si l'on peut appeler cela encore une civilisation, les conditions de la barbarie où l'on ignorera tout du mystère du Golgotha, où l'on n'en parlera même plus. Il se pourrait que, au sein de cette barbarie, les organes de la puissance extérieure de la culture se maintiennent, par exemple ceux de l'Église catholique. Mais ceux qui continueraient d'exercer leur pensée seraient dans l'incapacité de relier les actions de manière sensée. Ils les considéreraient comme des choses extérieures, comme autrefois étaient considérées comme extérieures les cérémonies autour d'Odin chez les anciens Germains, etc. Le développement de la Terre perdrait son sens, car le sens du développement ne peut être donné que par le mystère du Golgotha.
Je dirais ceci, comme je l'ai fait souvent déjà[3]. Admettons qu'un Martien descende sur cette Terre en n'ayant jamais entendu parler d'elle ; il observerait tout ce qui est sur la Terre ; il trouverait cela très incompréhensible. Mais à l'instant où il verrait la Cène de Léonard, il pourrait trouver un sens à la vie terrestre. J'aimerais avoir répété ce fait très souvent, car cette image si expressive de la Cène représente tout ce qui est lié au mystère du Golgotha et contient un message universel. Sa signification, bien comprise, est telle qu'on y reconnaît le sens de la vie terrestre. Pour comprendre les faits, il faut disposer de concept, d'idées. Or ces concepts et ces idées font défaut à la culture actuelle. Il nous faut les redécouvrir. Cela doit surgir à nouveau de l'intimité de l'être humain, et il ne peut pas s'agir de faire renaître de vieilles connaissances, car celles-ci sont maintenant bien trop profondément enfouies. Ce n'est pas une renaissance dont nous avons besoin. Cela ne serait d'aucune aide. Nous avons besoin d'une naissance tout court, d'une naissance tout à fait nouvelle de la vie de l'esprit, et non d'une revivification de l'ancien.
C'est ainsi que la science de l'esprit d'orientation anthroposophique dont il est question ici peut renvoyer à ses fondements. Et, que sont les fondements de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique ? (…)
Rudolf Steiner
[Caractères gras et italiques S.L.]
[NDLR : Le présent texte se poursuit immédiatement dans l’extrait de conférence suivant de Rudolf Steiner, que nous avons intitulé : « On ne peut pas imaginer plus grande tyrannie que celle qui veut refuser l'étude d'un domaine qu'elle n'a elle-même jamais étudié et se refuse à le faire » accessible sur le présent site]
Notes
[1] un de ces théologiens…: On suppose qu’il s’agit de Ernest Renan ou Otto von Harnack
[2] Un certain lieu de France: Alésia, ancien lieu de culte celtique et gaulois, détruite en 52 avant Jésus Christ par Jules César. Quelque reste dans un village Alise Sainte-Reine dans le département de la Côte d’Or. Voir la conférence du 2 avril 1918 Vie de la terre, vie de l’univers (GA181)
[3] comme je l’ai dit souvent : Voir par exemple la conférence du 7 novembre 1911 dans Évolution cosmique du point de vue de la réalité intérieure (GA132)
Notes de la rédaction
[i] NDLR : Et à la fois, à partir de César Auguste, les Césars Romains ont usurpé et instrumentalisé la sagesse des mystères pour le propre gloire et profit. Cfr. notamment cet article : L’extorsion de l’initiation par les Césars romains et ses conséquences, à l’antipode du monde grec
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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