Extrait de la quatorzième conférence du cycle «Facteurs de santé pour l’organisme social»
Dornach, 11 juillet 1920
Rudolf Steiner – GA198
2e édition (en langue allemande)
Éditions Anthroposohiques Romandes - 2021
Traduction : Jean-Marie Jenni
[NDLR : Le présent extrait est précédé par un autre extrait de la même conférence publié lui aussi sur Soi-esprit.info. Il y est publié sous le titre Que requiert la compréhension du Mystère du Golgotha, à l’époque ACTUELLE ?]
(…) Regardons le monde autour de nous. Nous voyons qu'il se déploie dans les règnes minéraux, végétaux et animaux. La science a fait de magiques avancées dans la connaissance de ces règnes et de leur évolution. Et les avancées concernant l'évolution ne vont pas s'arrêter là. Pourtant, concernant la connaissance de l'être humain, la science n'a pas apporté de particularité. Car si vous observez ce que dit la science, vous verrez que concernant l'anatomie humaine, la physiologie etc., elle ne dit rien, sinon que l'homme est la dernière apparition dans la lignée des animaux. Elle le dit à juste titre mais elle ne prend en considération que ce qui fait de l'être humain la dernière forme, ou la forme la plus parfaite, de la lignée des animaux. Cette science naturelle ne dit pas ce qui fait de l'animal humain un être humain proprement dit, ce qui le distingue des autres règnes dans l'univers[i]. Notre science de l'esprit n'étudie pas en dilettante mais par une approche sérieuse et profonde de ce que la science a à dire au sujet des règnes minéraux, végétaux et animaux. Et si les hommes voulaient entendre un tant soit peu ce que l'anthroposophie a à dire elle aussi, ils ne la condamneraient pas de sectarisme. Ils ne diraient pas que c'est une occupation pour vieilles dames désœuvrées, ils verraient que c'est une approche strictement scientifique, une méthode pour étudier la nature et que les résultats qu'elle obtient sont plus riches que ceux de la science ordinaire.
N'est-il pas ridicule que l'opposition vienne du côté des sciences naturelles ? Car l'anthroposophie n'enlève rien aux sciences naturelles. Elle ne fait que se placer à côté et dit: Oui, vous avez raison sur votre terrain. L'anthroposophie ne fait qu'ajouter ce qu'elle étudie sur les règnes minéral, végétal et animal. Mais, qui a le droit de refuser ce qu'il n'a pas étudié lui-même lorsqu'on ne lui refuse pas ses recherches sur son propre terrain ! À vrai dire, on ne peut pas imaginer plus grande tyrannie que celle qui veut refuser l'étude d'un domaine qu'elle n'a elle-même jamais étudié et se refuse à le faire. Mais, en fait, à quoi parvient la science d'orientation anthroposophique lorsqu'elle applique ses méthodes aux règnes minéral, végétal et animal ? Elle parvient à découvrir que, certes, les connaissances des sciences naturelles peuvent s'appliquer à l'être humain, mais que les concepts qui en sont issus n'expliquent que ce qui en l'être humain va vers la mort : ils n'expliquent que ce qui, dès sa naissance, le conduit à sa décrépitude. Pour étudier ce qui dès la naissance mène l'être humain vers sa déchéance, vers la mort qui survient en un instant, les sciences naturelles étudient la nature et formulent les lois naturelles. Lorsqu'elles ont formulé toutes les lois naturelles, elles les appliquent à l'être humain et obtiennent les lois de la décrépitude et de la mort de l'être humain (blanc [weiss]).
Or à cela il faut ajouter que dès la naissance, il n'y a pas qu'une ligne descendant vers la décrépitude, mais aussi une ligne ascendante (rouge [rot]). Cette ligne ascendante ne peut pas être découverte par les sciences naturelles telles qu'elles sont aujourd'hui, même dans une configuration des plus idéales. Ce qui en l'être humain est de nature vivifiante, ce qui en lui prend naissance à côté de la ligne descendante ne peut pas être approché par les concepts sensoriels des sciences naturelles ; pour cela il faut recourir au supra-sensoriel. L'anthroposophie doit ajouter les concepts de la connaissance supra-sensorielle à ceux de la connaissance sensorielle. Vous voyez que pour connaître l'être humain il faut recourir à la science du monde supra-sensoriel. Car en fait, avec les concepts issus du monde sensoriel, on ne conçoit que l'aspect mortel de l'être humain.
Les fois chrétiennes, qui ne se sont jamais souciées d'une authentique connaissance de l'être humain, ont vu apparaître les sciences naturelles qui ne se soucient que de la partie mortelle de l'être humain, les fois chrétiennes ne se soucient donc que de l'aspect immortel de l'être humain, de ce qui ne meurt pas, comme je l'ai évoqué, de ce qui flatte l'égoïsme de l'âme en l'être humain.
Il en va autrement lorsqu'on étudie le courant ascendant en l'être humain, une évolution qui culmine au moment où l'être humain passe le seuil de la mort. Comme alors on ne peut faire appel ni au sentiment ni à la foi mais à la connaissance, il faut parler de la pré-natalité ou de l'innatalité, un mot dont j'ai dit souvent déjà qu'il devait entrer dans le vocabulaire d'une nouvelle humanité. Car, du point de vue des mondes supérieurs et pour eux, nous ne sommes pas plus sujets à la naissance qu'à la mort. Mais les religions traditionnelles ne se sont occupées que de ce que révèlent les sciences naturelles qui reposent sur les organes sensoriels. Si elles nient la mort de l'âme, c'est par de simples espoirs, par une simple foi. Elles ne montrent pas ce qui doit être reconnu par l'esprit, elles interdisent ce qui peut être étudié par la recherche spirituelle, par les méthodes supra-sensorielles.
Or, ce qui fait la caractéristique de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique, c'est qu'elle repose sur l'élévation dans les mondes supra-sensoriels. (…)
Rudolf Steiner
[Caractères gras et italiques S.L.]
Note de la rédaction
[i] (SL) : Alors qu’il y a bien des années j’étais élève-assistant à l’université au sein d’un service de psychologie expérimentale, je faisais, devant les étudiants, un exposé portant sur l’usage d’outils chez les primates, en me basant sur une revue de la littérature scientifique à ce sujet. Je ne connaissais encore rien de l’anthroposophie. Lors de l’examen de ces publications scientifiques, très intéressantes et brillantes, il m’apparut qu’un présupposé y était systématiquement partout sous-jacent : l’être humain ne serait rien d’autre qu’un animal, certes très évolué, mais rien d’autre que cela. Je fis part de mon constat devant les étudiants (il s’agissait d’étudiants inscrits en faculté de psychologie et de science de l’éducation), lesquels… s’esclaffèrent alors de rire. Leur rire laissait d'une certaine manière entendre qu’il s’agissait d’une telle évidence (que l’être humain n’est rien d’autre qu’un animal) que cela était même comique que quelqu’un souligne que cette conception est systématiquement à la base de toute la littérature scientifique.
Cette expérience personnelle, et bien d’autres encore (j’ai travaillé pendant 7 années après mes études universitaires à l’université, dans le domaine de l’intelligence artificielle et des sciences dites cognitives, notamment, c’est-à-dire dans ces domaines qui constituent une des principales sources des théories matérialistes actuelles) m’ont montré à quel point, même les jeunes gens, ont des conceptions déjà tout à fait fermées et figées sur cette question très fondamentale qui concerne les spécificités de la nature humaine. Leur attitude n’est en rien scientifique. Ils ne font que régurgiter des dogmes qui leur ont été inculqués comme des évidences, se croyant par ailleurs très malins et supérieurs, car ils se représentent qu’ainsi ils ont définitivement dépassé les dogmes des anciennes religions qui, en effet, font une distinction entre la nature humaine et la nature animale sur base d'actes de foi. Toute discussion est devenue impossible… la messe (matérialiste et scientiste) est dite.
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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