Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt.
Nous proposons de compléter ce proverbe par une autre phrase :
Et quand un manipulateur désigne la lune,
est un idiot celui qui regarde seulement le doigt ou la lune.
Des menteurs, manipulateurs, dominateurs, abuseurs de la crédulité d’autrui, « stigmatiseurs », oppresseurs de la liberté d’esprit et profiteurs des moyens financiers d’autrui (ou de l’État), on en trouve dans certains groupes et minorités religieuses, culturelles ou spirituelles, en effet. J’en ai rencontré un grand nombre au cours de mon existence et je puis assurer, sur base de mon expérience, que ces personnes font énormément de mal. Il s’agit d’actes graves aux effets dévastateurs.
On trouve aussi de tels comportements délétères au sein de partis politiques, d’entreprises, d’ONG, d’associations, de confessions religieuses, de couples et de familles et,... ce que vont montrer clairement la série d’articles ci-dessous, on trouve avec certitude certains de ces comportements délétères au sein d’organismes, y compris des organismes publics, chargés de combattre les « dérives sectaires », comme on dit en France.
Ne nous contentons jamais de regarder en direction de ceux et celles qui sont accusés, regardons toujours aussi en direction de ceux qui accusent… et nous serons amenés à constater que « c’est (bien souvent) celui qui le dit qui l’est ». Bonne lecture !
S.L.
PS : Au cas où vous pourriez trembler d'angoisse à l'idée d'être manipulés lors de la lecture de la présente page web, je vous invite bien sûr à vous armer de la bonne parole du site web www.derives-sectes.gouv.fr de la MIVILUDES et, pour affiner votre sagacité, vous pourriez aussi y lire la fiche de synthèse contre les dérives sectaires. Vous voilà ainsi déjà plus détendu à l'idée de prendre connaissance de ce qui va suivre.
PS (2) aujouté fin décembre 2023 : Les dérives de la MIVILUDES ou par exemple celles de l'UNADFI mentionnées ci-dessous, par certains auteurs ou organismes, ne signifient nuellement que ceux-ci ne sont pas sujets, eux aussi, à certaines "dérives" plus ou moins liberticides ! Voir à ce sujet l'article « Une illustration de la guerre occulte actuelle » qui montre à quel point un combat acharné est mené de tous côtés à l'encontre de la liberté initiatique individuelle ; combat dont bien des protagonistes, peut-être « bien intentionnés », n'ont pas une conscience claire...
Pourquoi des articles critiques sur la MIVILUDES et autres antisectes ?
Cet article est publié originellement dans "Rebelle[s], le magazine 100% sans journalistes".
Auteur : Michaël Sens
Date : 16/08/2022
Source : https://rebelles-lemag.com/2022/08/16/pourquoi-des-articles-critiques-sur-la-miviludes-et-autres-antisectes/
NDLR : L'article suivant donne un excellent aperçu de certaines dérives typiques relatives à la Miviludes ou à d'autres organisations dites antisectes lesquelles, notamment, stigmatisent depuis des années avec l'aide de fonds publics des personnes, institutions et entreprises qui se réclament (parfois à tort) de l'anthroposophie. S'il y a un article « à lire » parmi la série présentée sur cette page, c'est celui-ci que nous recommandons en particulier.
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par le magazine Rebelle ou Michaël Sens, et vice versa.
Pourquoi des articles critiques sur la Miviludes et autres antisectes ?
Depuis les débuts de Rebelle(s), dans nos colonnes ont été publiés des articles qui ne faisaient pas la part belle à la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires), et plus généralement à la politique « antisectes » de la France et de ses satellites associatifs.
Pourtant, outre que les articles publiés n’engagent que leurs auteurs, vu les grandes différences d’opinions qui existent au sein des contributeurs de Rebelle(s), il n’y a personne ici qui pense qu’un gourou violeur, un prêtre pédophile, un thérapeute escroc ou un quelconque contrevenant à la justice pénale devrait échapper à cette dernière. Personne ici dans l’équipe ne prétendrait même qu’il n’existe pas des situations graves méritant intervention de la police, dans des groupes marginaux ou pas, et nous ne sommes pas, en général, partisans d’un laxisme exacerbé en matière de religion ou de santé.
Alors pourquoi ?
La réponse tient difficilement dans un seul article. De nombreux ouvrages ont été écrits sur les limites et surtout les dangers de la politique antisectes française et parmi ceux-ci, nous vous conseillons Pour en Finir avec les Sectes, de Massimo Introvigne et Gordon Melton, et Raison d’Etat, Histoire de la lutte contre les sectes en France, d’Etienne Ollion. En attendant, voici quelques éléments pour comprendre.
Un peu d’histoire (en coup de vent)
La lutte contre les sectes est une vieille histoire. Il a toujours fallu un mot pour condamner les groupes religieux dont le pouvoir, ou un pouvoir, voulait se débarrasser. Il y a longtemps on utilisait le mot hérésie, et on brûlait les hérétiques[1]. On a appliqué les termes sectes et hérésie à deux branches du judaïsme : les Pharisiens et les Sadducéens. On les a appliqués aux disciples de Pythagore, aux disciples de Saint Paul, aux protestants. Au 19e siècle, la secte par excellence était l’Armée du Salut, dont les membres furent grandement persécutés. Selon l’endroit du globe où l’on se trouve, la secte (ou son équivalent dans la langue locale) n’est pas forcément la même. Dans les années 90 en Grèce, un rapport des services secrets grecs qui avait fuité révélait que les deux sectes les plus dangereuses en Grèce étaient l’Église Catholique et les protestants. Chez les collaborateurs de plume des années d’occupation nazie, la secte, c’était les francs-maçons. Les Chinois ont aujourd’hui leurs Xie Jiao (mouvements hétérodoxes), dont ils emprisonnent les membres, les torturent et parfois vendent les organes. Les victimes des persécutions du pouvoir chinois sont de toutes les églises et mouvements religieux ou spirituels qui n’ont pas prêté allégeance au Parti et représenteraient un danger pour son hégémonie. Les Russes listent comme sectes extrémistes tous les mouvements qui pourraient faire de l’ombre au Patriarcat de Moscou, tout ce qui ne se soumet pas au pouvoir du Kremlin, et finalement tout ce qui pourrait avoir un lien avec les États-Unis et « l’Ouest décadent » qu’ils entendent combattre. La rhétorique favorite du Kremlin est de prétendre que la volonté des Ukrainiens de vouloir rejoindre le groupe des démocraties occidentales est un complot fomenté par les Etats-Unis, l’Union Européenne et le Vatican et réalisé avec le concours des sectes occidentales : baptistes, catholiques grecs (Uniates), pentecôtistes, scientologues et « nouveaux païens ».
En France, dans les années 70, les sectes redeviennent à la mode dans tous les sens du terme. Il y a de nombreux nouveaux mouvements religieux qui essaiment sur le territoire, souvent venus d’ailleurs, et les médias se jettent sur la moindre bizarrerie pour en faire des choux-gras. A la fin de la décennie, un couple dont un enfant avait rejoint l’Église de l’Unification, qui plus tard sera appelée quasi uniformément par les médias « la secte Moon », du nom de son fondateur coréen le Révérend Moon, crée une association antisectes appelée ADFI (Association de Défense de la Famille et de l’Individu face aux sectes). Cette dernière, extrêmement agressive et inspirée de mouvements américains similaires, s’associe à des gens pratiquant le « deprogramming », technique violente de « déconversion » utilisant le kidnapping et la violence pour convaincre des adeptes de « sectes » de revenir dans le giron familial.
Mais elle fait des émules. D’autres associations se créent, les médias raffolent de ces histoires à sensation et pleines d’étrangetés, et des hommes politiques, voyant là une belle niche pour exister médiatiquement, s’emparent du sujet. Un premier rapport sur les sectes est rendu au Premier ministre par le député socialiste Alain Vivien en 1985. Le rapport très alarmiste et au fort écho médiatique propose que les adeptes de « sectes » ayant atteint leur majorité puissent néanmoins être mis sous tutelle sur simple demande des parents ou des enfants. Il prescrit aussi la mise en place d’un organisme rattaché au Premier Ministre qui serait chargé du problème des sectes. Il faudra attendre 1996 pour que cet organisme voit le jour.
De l’Observatoire sur les Sectes à la Miviludes
Ce premier organisme s’appellera d’abord l’Observatoire interministériel sur les sectes. Alain Vivien en deviendra le président en 1998 quand celui-ci prendra le nom de Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). En 2002, suite à différents scandales impliquant Alain Vivien[2], et surtout à de vives critiques sur la scène internationale, la MILS est dissoute et remplacée par la MIVILUDES. En effet, l’idée qu’un État démocratique puisse s’immiscer dans la liberté de conscience des citoyens, et décider quelles religions devraient être adoubées et lesquelles devraient être rejetées, faisait l’objet de nombreuses critiques par des pays démocratiques et des institutions internationales en charge des droits humains. Le gouvernement français réoriente alors la lutte non plus vers « les sectes », mais vers les « dérives sectaires ». Il ne s’agit plus de stigmatiser les mouvements eux-mêmes, mais de s’attaquer aux « dérives », en tous cas sur le papier.
Si au début, une ligne plus modérée prévaut à la nouvelle Miviludes, avec l’adjonction de plusieurs universitaires dans son Conseil d’Orientation, dès 2005 on voit un retour à une « ligne dure ». Eut alors lieu l’éviction de tous les universitaires qui n’étaient pas alignés avec une vision répressive du sujet et ne souhaitaient pas servir de caution aux diverses associations antisectes qui travaillaient pour la Mission.
Dernier rebondissement, en 2020. Suite à un rapport de la Cour des Comptes qui pointait du doigt les dépenses inutiles liées à la Miviludes, celle-ci fut transférée des services du Premier Ministre au ministère de l’Intérieur, pour y devenir un département du CIPDR (Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation).
Une liste et une loi
Petit retour en arrière. En décembre 1995, une commission parlementaire publiait une liste noire de 173 « sectes ». Quelques jours après la publication de cette liste étaient découverts les corps de 16 victimes de l’Ordre du Temple Solaire dans le Vercors, ce qui permit de donner à cette liste un retentissement spectaculaire. Pourtant, l’Ordre du Temple Solaire ne figurait pas dans la liste. Cette liste aurait été réalisée à partir des travaux des Renseignements Généraux (RG). Quelle peut donc être la légitimité et le sérieux d’une telle liste cataloguant les – soi-disant – sectes dangereuses quand une – vraie – bande de fous suicidaires n’y est même pas inventoriée ?
Cependant, certains mouvements ayant réussi après des années de bataille juridique à obtenir le rapport des RG, ont démontré que celui-ci ne contenait rien ne justifiant une mise à l’index[3]. Pire, le principe même de la liste fut fortement critiqué, puisque ces listes noires sont en général l’apanage des sociétés totalitaires, sans même parler de la liste des sectes dressée par les nazis en 1933 et reprise par Heydrich tout au long de l’histoire nazie, qui contenait des mouvements communs avec la liste française. Alors, à partir de 2005, l’État français rejeta cette liste par l’intermédiaire d’une circulaire du Premier Ministre Raffarin, et depuis lors la Miviludes se défend d’utiliser une quelconque liste de sectes. Pourtant, de nombreux médias continuent de s’y référer, et la Miviludes ne se gêne pas pour prétendre avoir établi une liste de 500 sectes pas plus tard qu’en 2021.
En 2001, c’est le sénateur Nicolas About et la député Catherine Picard (qui devint peu après la présidente de l’UNADFI, « Union des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu face aux sectes ») qui sont à l’origine de la loi About-Picard, une loi « sur mesure » pour les « sectes », incriminant la « sujétion psychologique » (le terme employé originellement « manipulation mentale » ayant été critiqué comme n’ayant pas de base scientifique, il fut remplacé par celui-là en désespoir de cause), dans le cadre du délit pénal d’abus de faiblesse. Cette incrimination extrêmement vague et fourre-tout, très arbitraire, s’est révélée particulièrement inefficace. Comme le dit l’actuelle cheffe de la Miviludes, Hanène Romdhane, en juin 2022 : « Si l’abus frauduleux de l’état de faiblesse ou d’ignorance semble qualifier une infraction faite sur mesure pour réprimer les dérives sectaires, cette répression n’est pas toujours évidente, voire parfois impossible. Les condamnations sur le fondement de cette infraction restent parcellaires depuis son entrée en vigueur et ne concernent pas forcément des cas de dérives sectaires. (…) Ainsi, la caractérisation, la poursuite et la condamnation de tels faits restent particulièrement limités du fait de la difficile caractérisation juridique de cette notion d’emprise mentale aux contours flous et éloignés des concepts juridiques. »[4]
Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il n’existe pas des cas où des énergumènes vont agir en groupe (ou un énergumène seul, mais alors il est difficile de parler de “secte”) de manière illicite et abuser de la faiblesse d’autres. L’abus de faiblesse existe, et il existait dans notre code pénal avant la loi About-Picard. Mais il concernait des gens en situation de faiblesse uniquement. L’extension vague, floue et à géométrie variable apportée par la loi About-Picard n’a fait qu’affaiblir cet article du code pénal en en faisant un article de l’arbitraire, inefficace qui plus est.
La problématique
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles la politique « antisectes » à la française peut être considérée comme critiquable, attentatoire aux libertés fondamentales, voire dangereuse et contre-productive. Nous vous épargnerons les innombrables critiques internationales qui font que la France, sur ce sujet, est considérée à large échelle (à part bien sûr, par des pays comme la Chine, la Russie, et de façon bien plus surprenante quelques rares pays démocratiques comme la Belgique ou le Luxembourg) comme au mieux singulièrement intolérante, et au pire carrément liberticide. Nous tenterons ici de résumer brièvement les principales critiques pouvant être formulées pour expliciter le point de vue.
L’absence de définitions
Le mot « secte », et par voie de conséquence son dérivé « sectaire », n’ont jamais reçu de définition juridique. Ce n’est pas un accident. Il s’agit là d’une intention délibérée, afin de pouvoir choisir arbitrairement qui placer parmi les « sectes », sans avoir à se justifier juridiquement. Catherine Picard, alors présidente de l’association antisectes UNADFI déclarait le 25 avril 2005 : « Nous avons, en accord avec l’ensemble des parlementaires qui travaillent au niveau européen sur ce sujet, décidé de dire qu’il ne faut pas définir. Parce que la définition du terme secte, qui en France n’est pas défini juridiquement, permettrait aux mouvements sectaires de sortir du cadre de la définition. »
Le concept de sujétion psychologique ou d’emprise mentale lui non plus n’est pas défini. Scientifiquement, le consensus est que ces notions n’ont pas de fondement scientifique. Pour le sens commun, on peut facilement observer que ce genre de concepts pourrait tout aussi bien s’appliquer à une religion établie qu’à une publicité bien réalisée ou à Jean-Luc Mélenchon, voire aux antisectes eux-mêmes. Juridiquement, c’est comme nous l’avons citée précédemment, la cheffe de la Miviludes elle-même qui reconnaît que c’est là une notion « aux contours flous et éloignés des concepts juridiques »[5]. Là encore, c’est le règne de l’arbitraire.
La dangerosité
Personne ne nie qu’il existe des groupes religieux criminels et dangereux, ou des thérapeutes délinquants, criminels et eux aussi dangereux. Comme l’a écrit le sociologue Massimo Introvigne : « Pratiquement tous les spécialistes des nouveaux mouvements religieux reconnaissent l’existence de “mouvements religieux criminels“, tant parmi les religions nouvellement établies qu’au sein des anciennes religions (comme les réseaux de prêtres catholiques pédophiles ou les organisations terroristes qui prétendent agir au nom de l’islam). Seulement, ils font référence à des groupes commettant des crimes réels, tels que le terrorisme, la violence physique et les abus sexuels, plutôt que des crimes imaginaires consistant à “être une secte“ ou à “utiliser le lavage de cerveau“. »
D’autre part, un mouvement qui pratiquerait l’évasion fiscale devrait effectivement être condamné si le fait est avéré. Un psychiatre qui violerait ses patients de même. Et il en est ainsi de toute infraction à la loi pénale qui serait commise au sein d’un nouveau mouvement religieux.
Cependant, deux éléments sont à relever ici. Le premier est qu’il n’existe aucune étude sérieuse qui montrerait que les délits et crimes seraient plus nombreux dans les nouveaux mouvements religieux que dans les religions établies de longue date (ce qu’on appelle couramment les « grandes religions »). Plusieurs études concluent à l’inverse que la violence dans les nouveaux mouvements religieux ou « sectes » est un phénomène rare si l’on le compare à la violence liée aux religions traditionnelles.[6]Si l’on compare les cas de pédophilie trouvés dans des prétendues « sectes » à ceux découverts dans l’Église Catholique, on est loin du compte.
De même, la commission de crimes ou délits dans des groupes humains ne semble pas plus prépondérante dans les nouveaux mouvements religieux que dans les partis politiques ou les grandes multinationales. Les Témoins de Jéhovah ont été poursuivi par le FISC français pendant des années pour des faits de fraude fiscale mais ce genre de condamnations est monnaie courante pour les grandes entreprises internationales, et finalement la Cour Européenne des Droits de l’Homme a donné raison aux Témoins de Jéhovah en 2011 et l’État français a dû rendre les millions qu’il leur avait soustraits…
Bref, tout délinquant ou criminel devrait être logé à la même enseigne, secte ou pas secte, et rien ne justifie qu’on stigmatise et pénalise celui qui aurait la mauvaise idée d’avoir la « mauvaise religion ». C’est ça, l’égalité devant la loi. Et notre arsenal pénal est plutôt bien équipé pour se charger du délinquant et du criminel.
L’hypocrisie de la « dérive »
Même si depuis 2002, la Miviludes prétend ne plus s’en prendre aux « mouvements » eux-mêmes, mais uniquement aux « dérives », il apparaît qu’il ne s’agit là que d’un effet sémantique. En effet, il est courant d’entendre dans leur bouche les termes « mouvements à caractère sectaire », ou « mouvements à dérives sectaire », ce qui revient dans les faits à parler de « sectes » mais sans dire le mot. Rien n’a changé de ce côté, si ce n’est qu’on a choisi l’hypocrisie pour sauver les apparences.
Une méthodologie inexistante
La Miviludes publie régulièrement des rapports qui abondent en chiffres divers, nombre de sectes, nombre de « saisines », nombre de présumées victimes. Pourtant, lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements, elle reconnait que ces chiffres sont souvent arbitraires, datent de plus de 25 ans[7], ou sont carrément non fiables, comme le nombre de saisines de la Miviludes censé être l’indicateur majeur du phénomène, qui inclut les communications entre les différents services de l’État, les interrogations des ministères, des préfectures, etc. De plus, n’importe quelle personne peut écrire à la Miviludes sur n’importe quel mouvement, et cela sera comptabilisé comme une saisine.[8] Tout ceci permet de gonfler un phénomène qui serait sinon quasi inexistant.
Stigmatisation, discrimination, persécution et effets secondaires
Le principal problème de la politique antisectes française est qu’elle entraîne de nombreux effets délétères pour ceux qui se retrouvent ainsi stigmatisés parce qu’ils ont choisi une religion ou une spiritualité décriée et qualifiée de sectaire par les militants antisectes.
Sans parler des effets psychologiques sur les personnes qui vivraient mal le fait d’être ainsi stigmatisées pour leurs croyances, et bien souvent être jetées en pâture à des médias avides de sensationnalisme, il existe une ribambelle de cas concrets de discrimination liés à la qualification de « secte ». Des individus ont perdu leurs emplois parce qu’avait fuité leur appartenance à « une secte ». Des membres de nouveaux mouvements religieux se sont vus renvoyés de leur banque et fichés dans les systèmes occultes des banques françaises quand leur appartenance fut découverte. Des mouvements religieux qualifiés de « sectes » doivent faire face à du harcèlement administratif de la part des administrations, voire à du harcèlement judiciaire (voir notre commentaire précédent sur l’affaire des Témoins de Jéhovah contre le FISC).
Plus grave, les campagnes contre les sectes peuvent amener des individus malsains d’esprit à passer à l’acte. A deux reprises, des églises de Scientology françaises ont été victimes d’attentat à la bombe, par des individus qui ont reconnu par la suite avoir été influencés par les campagnes de propagande des associations antisectes.
Alexandre Dvorkin, Vice-Président de la FECRIS
et fervent propagandiste anti-Ukrainien du Kremlin,
à Paris à la Mairie du 3e arrondissement en 2019,
lors d’un colloque de la FECRIS ou la Miviludes était représentée.
A l’étranger aussi, les effets secondaires sont terribles. La Chine communiste se félicite régulièrement du soutien des associations antisectes françaises dans sa lutte contre le Falun Gong, un mouvement spirituel de pratique du Qi Qong quasiment éradiqué en Chine, dont les membres sont emprisonnés, torturés, et dépouillés de leurs organes, comme l’ont dénoncé des experts de l’ONU à plusieurs reprises. La Russie de Poutine a adopté la FECRIS (Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’Information sur les Sectes), une association entièrement financée par la France et partenaire officielle de la Miviludes. Les membres russes de la FECRIS n’ont aujourd’hui de cesse que de fustiger les soutiens sectaires de Zelensky, de louer Poutine pour sa guerre en Ukraine afin de « protéger le monde russe », d’appeler à la dénonciation des membres de sectes autant que des dissidents anti-guerre, allant jusqu’à qualifier les ukrainiens de « Nazis », « satanistes » et « cannibales ».
Une niche et une manne financière
Nous avons évoqué ces politiciens qui s’étaient spécialisés dans la lutte antisecte, ce qui leur avait permis d’accéder à une niche médiatique et leur avait donné une visibilité qu’ils n’auraient sinon jamais eue. Certains en ont fait une carrière (Georges Fenech, Alain Vivien par exemple) et n’auraient jamais été connus sans cela.
Mais l’argent se cache toujours derrière ce genre d’aberrations sociétales. Les associations antisectes ne vivent que sur l’argent du contribuable. Une association comme l’UNADFI reçoit parfois plus de 90% de son budget de l’État et n’existe que par ce soutien. On parle ici de millions d’euros, pour une petite association pas plus grande qu’un club d’échecs. Il en est de même pour la FECRIS nommée précédemment, ou le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) qui se sent tellement investi du pouvoir étatique qu’il prétend dans son dernier rapport d’activités faire des « signalements en application de l’article 40 », un article du Code de procédure pénal dont l’application est réservée aux fonctionnaires et aux autorités constituées.
L’UNADFI a fait l’objet de plusieurs signalements concernant l’utilisation qu’elle faisait de l’argent public.
Ainsi, il existe une collusion évidente entre la Miviludes, qui permet le financement de ces associations parce qu’elles font le « sale boulot » que la Miviludes ne peut pas faire (étant liée par certains devoirs étatiques comme le devoir de neutralité)[9], et les associations antisectes qui sans les millions de l’État ne pourraient survivre et financer leurs emplois. Et évidemment, pour que le cercle vicieux continue de rapporter, il faut qu’il existe des drames médiatiques liés aux sectes, quitte à faire rentrer dans ce terme tout et n’importe quoi, quand l’actualité n’a rien à offrir à propos des nouveaux mouvements religieux habituels.
Conclusion
La politique « antisectes » à la française a permis à de petits groupes d’individus d’ostraciser une partie de la population française qui a le tort de choisir des religions ou des spiritualités différentes et considérées par certains comme « sectaires ». Les militants antisectes, mus par différentes idéologies et financés à coups de millions par l’État, s’en prennent à tout ce qu’ils considèrent comme de la « pensée magique », à tous les mouvements qu’ils n’aiment pas, et à tous ceux qui iraient à l’encontre de leur propre idéologie. Les Témoins de Jéhovah sont une de leurs cibles favorites, alors que le Conseil d’État les a depuis longtemps reconnus comme une authentique religion, et qu’à notre connaissance ils ne se sont rendus coupables d’aucune infraction grave au cours des dernières dizaines d’années en France. Les scientologues sont régulièrement stigmatisés alors que la quasi-totalité des pays qui nous entourent les ont reconnus comme une religion authentique et les acceptent sans difficulté dans le paysage religieux contemporain. Les chrétiens évangéliques sont aussi stigmatisés à outrance par la Miviludes et ses satellites associatifs. Pourtant on entend rarement, voire jamais, la Miviludes et les associations nous parler des dérives pédophiles dans l’Église catholique, ou de DAESH.
Nous avons passé en revue quelques-unes des raisons qui président à notre scepticisme, voire notre attitude critique à l’égard de la Miviludes et des associations antisectes. Encore une fois, il n’est pas question pour nous de prétendre qu’en présence de délits, une quelconque protection devrait être accordée à qui que ce soit. Par contre, nous sommes de fiers défenseurs de la liberté de conscience, et certains d’entre nous pensent, à tort ou à raison, que la France erre parfois sur ce sujet, notamment avec la politique « antisectes » à la française, qui nous l’espérons sera bientôt reléguée à un sujet d’histoire, comme le fut l’inquisition espagnole.
Références
[1] Le mot secte en grec, équivalent de la « secta » latine, est hairesis (αἵρεσις: option, opinion, secte, parti). Le mot hérésie désignait initialement le choix ou la préférence pour une doctrine, avant de prendre une connotation péjorative que l’Église catholique lui associa : celle de doctrine dissidente, voire égarée. Cela provient de l’idée ethnocentrique fort répandue selon laquelle la doctrine des autres ne peut qu’être aberrante ou « anormale ». Tiré d’un ouvrage du professeur de droit Frédéric Jérôme Pansier.
[2] Collusions avec le Centre Contre les Manipulations Mentales, association antisectes présidée par son épouse, soupçons d’utilisation des fonds publics à des fins douteuses et personnelles, autoritarisme, soutien à la Chine dans sa politique de répression des minorités spirituelles, etc.
[3] Dans Le Figaro du 19 décembre 2006, à propos de la partie du rapport des RG sur les Témoins de Jéhovah : « Or ce document n’est constitué que de quelques lignes laconiques et d’un inventaire des salles de prières en région ».
[4] Revue des Libertés Fondamentales, Juin 2022, publiée par l’Ordre des Avocats du Barreau de Bordeaux.
[5] La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans son jugement Témoins de Jéhovah de Moscou contre la Russie de 2011, avait déjà écrit : « Les tribunaux russes ont également estimé que la communauté requérante avait violé le droit des citoyens à la liberté de conscience en les soumettant à des pressions psychologiques, à des techniques de « contrôle mental » et à une discipline totalitaire. Laissant de côté le fait qu’il n’existe pas de définition généralement acceptée et scientifique de ce qui constitue le « contrôle mental » et qu’aucune définition de ce terme n’a été donnée dans les jugements internes… »
[6] « La violence par de nouvelles religions contemporaines semble également rare. (…) En revanche, il y a eu de nombreux cas dans lesquels des membres de nouveaux groupes religieux ont été la cible d’enlèvements, d’attaques armées et d’actions policières provocatrices. Dans pratiquement tous ces cas, les mouvements ont réagi en engageant des poursuites judiciaires civiles et pénales plutôt que des représailles physiques. »
David G. Bromley, dans New Religious Movements: New Religious Movements and Violence. Bromley est professeur de sociologie à l’Université de Virginie, et l’un des plus grands spécialistes mondiaux des nouveaux mouvements religieux.
[7] https://bitterwinter.org/sectes-miviludes-avoue-ne-pas-disposer-de-donnees-recentes/
[8] https://bitterwinter.org/le-nouveau-rapport-miviludes-mauvaise-methodologie-resultats-peu-fiables/
[9] Établir des listes de sectes, parler de « sectes », se constituer partie civile dans des procès qu’elles perdent la plupart du temps, et dans lesquels souvent il n’est question de sectes que dans une acception ultra large du terme, diffamer, etc.
FRANCE: Un hiver amer pour la MIVILUDES, l’agence gouvernementale anti-sectes
Cet article est publié originellement sur le site de "Human Rights Without Frontiers" (HRWF)
Auteur : HRWF
Date : 27/12/2022
Source : https://hrwf.eu/france-un-hiver-amer-miviludes-gouvernement-sectes/
NDLR : L'article suivant épingle certains comportements très graves d'organisations « anti-sectes » qui ont pignon sur rue : mensonges, manipulations, fanatisme, opacité, poursuite d'intérêts personnels (et non du bien commun) le tout financé en bonne partie par l'État français, comme il se doit. Bref, une belle panoplie de comportements que d'aucun pourraient qualifier de « dérives sectaires » et qui mériteraient de faire l'objet d'une publication dans le rapport annuel de la MIVILUDES (on peut toujours rêver).
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par HRWF, et vice versa.
FRANCE: Un hiver amer (Bitter Winter) pour la MIVILUDES
La crise profonde de la mission gouvernementale française de lutte contre les sectes a été révélée par la démission de sa cheffe, Hanène Romdhane.
Par Massimo Introvigne
Article originel en anglais : Read the original article in English.
Le président de la MIVILUDES Christian Gravel colportant les statistiques douteuses de la mission à la télévision. Capture d’écran.
Bitter Winter (27.12.2022) – FRANCE – Au début du mois, les médias français ont rapporté que la cheffe de la MIVILUDES, Hanène Romdhane, une magistrate, a démissionné de son poste – ou peut-être a-t-elle été contrainte de le faire par le président de la mission, Christian Gravel. La MIVILUDES est la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, une agence antisectes unique en France qui fait partie du gouvernement lui-même.
Aucun média français n’a vraiment expliqué pourquoi Romdhane a dû partir, mais Bitter Winter a recueilli quelques commentaires de sources bien informées, qui ont parlé sous couvert d’anonymat. Romdhane est magistrate, et aurait été dépêchée par le ministère de la Justice auprès de la MIVILUDES pour donner à la mission un cadre juridique plus clair, afin de lui éviter par la même occasion d’éventuelles responsabilités juridiques. Si tel était le cas, son travail n’a pas été couronné de succès. Le statut juridique des activités de la MIVILUDES reste flou, et ses rapports continuent d’inclure des fake news qui s’apparentent à de la calomnie et exposent la mission à des poursuites pour diffamation. Dans son rapport le plus récent, la MIVILUDES a republié de fausses informations sur les Témoins de Jéhovah en Belgique pour lesquelles son homologue belge le CIAOSN a été reconnu coupable de diffamation par une décision du 16 juin 2022 du tribunal de Bruxelles. Et ce alors que la MIVILUDES et le CIAOSN se réunissent chaque mois pour échanger des informations.
Non seulement la MIVILUDES crée des risques juridiques pour le gouvernement, mais elle envoie également d’autres agences d’État et services de sécurité sur de fausses pistes basées sur des informations non fiables. La MIVILUDES a dû admettre que ses chiffres sur les « sectes » en France sont spéculatifs et ne reposent pas sur des données récentes, et que ses travaux et statistiques proviennent de « saisines », qui ne sont pas des « rapports » sur des actes répréhensibles spécifiques mais comprennent également de simples commentaires et questions d’autres branches de l’administration française et de simples citoyens.
Un autre motif d’insatisfaction, peut-être partagé par Romdhane et mentionné par certains médias français, est que des hommes politiques ont constamment utilisé la MIVILUDES comme un véhicule d’auto-promotion. Avant les dernières élections politiques françaises, c’était la ministre déléguée à la citoyenneté au ministère de l’Intérieur, Marlène Schiappa. Aujourd’hui, c’est la secrétaire d’État à la citoyenneté Sonia Backès, qui raconte une étrange histoire de “survivante” de la Scientology, qui a été contestée par son propre frère dans une interview qu’il a accordée à Bitter Winter. On comprend que le gouvernement soit encore moins heureux lorsque la MIVILUDES est utilisée à des fins politiques par des politiciens de l’opposition comme Georges Fenech, un militant antisecte forcené qui fut le président de la mission jusqu’en 2013 et y est revenu comme membre de son Conseil d’orientation en 2021.
En parlant de Bitter Winter, selon nos sources, un des principaux motifs de mécontentement à l’égard de la MIVILUDES est sa relation avec des organisations privées antisectes comme l’UNADFI française et la fédération européenne FECRIS, dont nous dénonçons systématiquement les méfaits. Après le départ de Romdhane, le président de la MIVILUDES, Gravel, a affirmé que le principal succès de la mission a été d’obtenir un million d’euros du gouvernement et de le distribuer aux associations privées. Cependant, le fait que la MIVILUDES fonctionne comme un guichet automatique pour les associations n’est pas sans poser de problèmes. L’ONG CAP-LC (CAP Liberté de conscience) a dénoncé l’UNADFI à la Cour des comptes française pour qu’elle enquête sur la façon dont elle dépense son argent.
La FECRIS a des problèmes encore plus graves en raison de ses relations avec des organisations et des citoyens russes – tels qu’Alexander Dvorkin, qui siège à son conseil d’administration, Alexander Novopashin et Roman Silantyev, qui a été invité par un affilié de la FECRIS à une conférence en France en juillet 2022 –, qui sont des partisans fanatiques de l’invasion de l’Ukraine par Poutine. La FECRIS a publié un court texte condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a “caché” les affiliés russes de sa liste de membres, et a finalement éliminé complètement la liste de son site web, affirmant qu’elle est “en révision.”
En vain, puisque Novopashin lui-même a révélé le 2 décembre que les organisations russes, Dvorkin et lui-même n’avaient jamais été expulsés de la FECRIS et étaient toujours ses représentants en Russie. Novopashin a également écrit à Bitter Winter pour attirer notre attention sur sa déclaration.
Après que 82 universitaires ukrainiens ont écrit au président Macron pour demander la fin du soutien français à la FECRIS, dont les filiales russes aident efficacement à l’invasion de l’Ukraine en la dépeignant comme un pays dominé par des “sectes”, les relations étroites de la MIVILUDES avec la FECRIS sont devenues un sujet encore plus embarrassant.
C’est en effet un « bitter winter », un « hiver amer » pour la MIVILUDES, et l’agence française ne devrait s’en prendre qu’à elle-même. Des années de calomnies à l’encontre des minorités religieuses, basées sur des coupures de presse et des informations douteuses fournies par les antisectes, ont créé une image internationale de sectarisme et d’intolérance qu’il est désormais impossible de surmonter.
500 « sectes », 500 000 « victimes » en France ? La MIVILUDES avoue ne pas disposer de données récentes
Cet article est publié originellement dans "Bitter winter, a magazine on religious liberty and human rights" (Hiver Amer, un magazine sur la liberté religieuse et les droits de l'homme)
Auteur : Massimo Introvigne
Date : 08/01/2022
Source : https://bitterwinter.org/sectes-miviludes-avoue-ne-pas-disposer-de-donnees-recentes/
Texte original en anglais : Lire le texte originel en anglais.
NDLR : Certaines énormes fake news diffusées par la MIVILUDES depuis des années révélées dans l'article suivant, peuvent-elles être considérées comme de la « manipulation mentale » (à l'échelle de tout un pays, la France) ? Nous laissons aux lecteurs le soin de se faire leur propre opinion. Nous concernant, la réponse à cette question saute aux yeux !
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par Bitter winter ou Massimo Introvigne, et vice versa.
500 « sectes », 500 000 « victimes » en France ?
La MIVILUDES avoue ne pas disposer de données récentes
Elle confesse maintenant qu’elle a diffusé des statistiques vielles de plus de dix ans et déjà controversées à l’époque.
La lettre de la MIVILUDES à CAP-LC. Cliquez ici pour agrandir la lettre.
La mission gouvernementale française avoue aujourd’hui s’être appuyée sur des chiffres vieux de dix ans (et controversés).
Si vous suivez la presse française, vous avez probablement lu qu’à cause de COVID-19, les « sectes », une vieille obsession en France, prolifèrent plus que jamais. En fait, il y a maintenant 500 « sectes », avec 500 000 « victimes », dont 50 .000 à 90 000 sont des « enfants ». Ces chiffres invraisemblables ont été repris par les médias français, et même mentionnés au niveau international.
Les vérificateurs de faits (fact-checkers) des médias fiables les ont probablement considérés à première vue comme légèrement étranges. Pourtant, ils ont été certifiés par une institution gouvernementale, la MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Grâce à ce cachet gouvernemental, ceux qui ont repris ces chiffres dans les médias se sont fourvoyés.
Malheureusement pour ces médias et la MIVILUDES, il existe en France des lois similaires au FOIA (Freedom of Information Act) américain permettant aux citoyens d’accéder aux documents du gouvernement sous certaines conditions. L’ONG CAP-LC (Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience) dotée d’un statut consultatif spécial auprès de l’ECOSOC (Conseil économique et social) des Nations Unies a utilisé ces lois pour demander à la MIVILUDES d’où provenaient ces statistiques.
Le 19 juillet 2021, la MIVILUDES a répondu, et la lettre a maintenant été publiée par le magazine français Rebelle[S]. Il s’agit d’une lettre très surprenante dans laquelle la MIVILUDES admet qu’elle ne dispose pas de statistiques récentes et qu’elle ne s’appuie que sur des documents anciens, datant parfois de 25 ans.
Pour les « 500 sectes », la MIVILUDES affirme que le chiffre est tiré du rapport controversé de 1995 établi par une Commission parlementaire française sur les « sectes ». En réalité, ce rapport recense 173 « sectes » et, comme l’explique la lettre, le chiffre de 500 inclut les « filiales ». Inclure les « filiales » reviendrait à prétendre qu’il existe en France des dizaines de milliers de religions en considérant chaque paroisse catholique comme une religion. Plus important encore, la liste de 1995 a été tellement critiquée et même ridiculisée que la MIVILUDES elle-même a déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne s’y référait plus. Mais, elle l’a fait pour créer l’alarme par des statistiques bidon.
Le nombre de 500 000 « victimes » des « sectes », dit la lettre, arrondit le nombre de 460 000, qui proviendrait du rapport annuel d’activité de la MIVILUDES de 2010, c’est-à-dire d’il y a 11 ans. En fait, ce commentaire montre que la MIVILUDES lit mal ses propres documents.
Dans le rapport 2010, page 253, on lit, dans une séance consacrée à la Nouvelle-Calédonie, qu’on y a trouvé « 60 000 adeptes des groupes sectaires », ce qui signifie que la Nouvelle-Calédonie, alors qu’elle représente moins de 4 % de la population nationale française, concentre 20 % du nombre total des membres de sectes en France, évalué entre « 300 000 et 400 000 sur l’ensemble du territoire français ».
Si 60 000 est présenté comme un pourcentage du total, cela signifie que le chiffre est inclus dans le total. 60 000, c’est 20% de 300 000, ce qui signifie que le rédacteur de la partie du rapport consacrée à la Nouvelle-Calédonie a considéré le chiffre le plus bas comme moins incroyable que le chiffre le plus élevé, 400 000.
Cherchant un moyen de justifier son chiffre actuel de 500 000, la MIVILUDES en 2021 a pris le chiffre le plus élevé de 2010 (400 000) et a ajouté les 60 000 de Nouvelle-Calédonie (qui en fait étaient déjà comptés comme faisant partie des 300 000 ou 400 000), en prétendant inexactement que le rapport de 2010 parlait de 460 000 « membres des sectes », et a arrondi le chiffre à 500 000. Les médias aiment les chiffres ronds après tout. Comme dans des cas similaires, la section sur la Nouvelle-Calédonie du rapport 2010 ne fournit aucune source ni preuve pour le chiffre de la Nouvelle-Calédonie et pour le chiffre national.
Enfin, la lettre indique que le chiffre de 50 000 à 90 000 mineurs « victimes » de « sectes » ajuste le chiffre de « 35 000 à 100 000 » d’un rapport publié il y a 15 ans, en 2006, sur l’influence des « sectes » sur la santé physique et mentale des mineurs. Aucun étudiant de premier cycle ne pourrait s’en tirer avec un rapport d’étude « ajustant » de manière créative des statistiques vieilles de dix ans. Le rapport de 2006, en tout cas, présentait ses chiffres comme conjecturaux, déclarant que le nombre réel « reste difficile à évaluer ».
Le document de 2006 précise que « L’évolution même des mouvements à caractère sectaire rend difficile toute appréhension plus précise du nombre de mineurs concernés », pages 21 et 22. Une fourchette « entre 35 000 et 100 000 » montre qu’il ne s’agit même pas d’une véritable statistique, mais qu’elle est fondée sur les déclarations de quelques témoins, qui n’ont pas expliqué leurs sources ni leur méthodologie.
En résumé, nous savons maintenant, non pas grâce aux critiques de la MIVILUDES, mais grâce à la MIVILUDES elle-même, qu’elle ne dispose d’aucune statistique sur les « sectes », et que les chiffres qu’elle mentionne proviennent de documents de 1995, 2006 et 2010, qui ne sont même pas cités correctement et ne peuvent évidemment rien dire de la situation actuelle. Ces documents ont été largement critiqués par les universitaires lors de leur publication, et proposaient des chiffres incroyables basés sur les déclarations d’un petit nombre de témoins et de sources qui n’étaient pas mentionnées ou qui n’existaient peut-être même pas.
Les fausses statistiques, comme nous l’avons appris lors de la crise du COVID, constituent une part particulièrement dangereuse des informations fallacieuses (fake news). Elles sont intolérables lorsqu’elles sont diffusées par les médias, et deviennent un scandale public lorsque des institutions gouvernementales sont impliquées.
Le nouveau rapport MIVILUDES : mauvaise méthodologie, résultats peu fiables
Cet article est publié originellement dans "Bitter winter, a magazine on religious liberty and human rights" (Hiver Amer, un magazine sur la liberté religieuse et les droits de l'homme)
Auteur : Massimo Introvigne
Date : 13/08/2021
Source : https://bitterwinter.org/le-nouveau-rapport-miviludes-mauvaise-methodologie-resultats-peu-fiables/
Texte original en anglais : Read the original text in English
NDLR : Il devrait être évident pour toute personne douée d'une intelligence au moins « moyenne », qu'à la lecture de chaque rapport de la MIVILUDES, un problème de méthode gros comme une montage surgit immédiatement. Il s'agit de la méthode dite des saisines, qui a pour effet de faire croire au public qu'il existe un problème là ou bien souvent il n'y a que du vide. L'article suivant montre de quoi il s'agit.
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par le site web Bitter winter ou Massimo Introvigne, et vice versa.
Le nouveau rapport MIVILUDES :
mauvaise méthodologie, résultats peu fiables
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Privilégier les saisines (c’est-à-dire les rapports de ceux qui écrivent pour dénoncer une « dérive sectaire ») ne peut que conduire à biaiser les conclusions.
Manifestation contre la MIVILUDES à Paris.
La MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, qui dépend désormais du ministère de l’Intérieur, a publié la semaine dernière son rapport pour les années 2018-2020.
Tel Diogène errant avec sa lanterne à la recherche d’un honnête homme, la MIVILUDES parcourt la France avec l’idéologie anti-sectes pour lanterne à la recherche de « dérives sectaires » malhonnêtes. Les dérives sectaires sont une formule et une invention typiquement françaises, dont la MIVILUDES n’est pas moins fière que de la Tour Eiffel. Cela s’avère pratique pour trouver des dangers « sectaires » même là où il n’existe pas de « secte ».
Le rapport comprend quelques parties informatives, principalement dans les pages consacrées, par le chercheur Bilel Ainine, aux pratiques thérapeutiques populaires musulmanes de la roqya et de la hiyama, bien que même ici, l’utilisation d’un jargon anti-sectes et policier rende le texte, qui est en soi intéressant, à la fois moins lisible et moins persuasif.
Dans le rapport, plusieurs cas peuvent illustrer le fonctionnement du système. J’ai récemment consacré un long article et une entrée dans une encyclopédie à La Famille, un mouvement aux lointaines origines jansénistes « découvert » par les anti-sectes après plus d’un siècle d’existence paisible en France. La MIVILUDES doit admettre que ce groupe n’a rien à voir avec la description habituelle faite par les anti-sectes français d’une « secte » focalisée sur un leader (appelé « gourou » même lorsqu’il opère en dehors de traditions religieuses orientales) qui lave le cerveau des adeptes et prend leur argent. Il n’y a rien de semblable dans La Famille.
Pourtant, la MIVILUDES trouve quelque chose à redire. Puisqu’il est de bon ton de dénoncer certains groupes comme « séparatistes », c’est-à-dire séparés du reste de la société, la MIVILUDES affirme qu’il existe dans La Famille une « barrière invisible » qui sépare les membres des autres citoyens « sur des fondements religieux de recherche de pureté », comme c’est le cas pour « les Témoins de Jéhovah, les Frères de Plymouth et les Mormons ». Mettre dans le même sac les Témoins de Jéhovah et les Frères de Plymouth qui ne votent pas aux élections, et les Saints des Derniers Jours, alias les « Mormons », qui ont compté à un moment donné parmi leurs membres les leaders des deux principaux partis politiques du Congrès américain et un candidat républicain à la présidence, montre que celui qui a rédigé le rapport ne connaît pas très bien les « Mormons ». Mitt Romney était un ancien évêque et président de pieu « mormon », bien connu en tant que tel, qui a obtenu 47% du vote populaire américain en 2012, pas exactement un exemple de « séparatisme » et de manque d’intérêt des « mormons » pour les affaires de la société au sens large.
Quant à La Famille, la MIVILUDES y trouve « des risques pour les mineurs », la qualifie de secte (après avoir admis qu’elle n’a pas les caractéristiques typiques de sa notion de dérives sectaires), et se dit prête à « réévaluer les risques graves induits par son fonctionnement ».
Si quelqu’un, quelque part, mentionne parfois qu’un groupe peut comporter des « dérives sectaires », le groupe est pris dans la toile d’araignée du rapport. C’est le cas de l’Anthroposophie et de Soka Gakkai qui « posent des questions » pas mieux identifiées, et même du très estimé Village des Pruniers, près de Bordeaux, fondé par le moine bouddhiste vietnamien Thích Nhất Hạnh, qui a reçu en 2015 le prix de Paix et Liberté Pacem in Terris, l’une des plus hautes distinctions décernées par les institutions catholiques aux États-Unis.
Au Village des Pruniers.
Le meilleur exemple montrant que la MIVILUDES prendrait au sérieux un rapport sur les « dérives sectaires » est sans doute un paragraphe consacré aux possibles origines satanistes des incidents de mutilations de bétail. Ce phénomène fait partie depuis des décennies de la peur du satanisme, et pratiquement tous les ouvrages savants qui l’étudient décrivent les interprétations sataniques des mutilations du bétail (qui sont le plus souvent le fait de prédateurs animaux) comme le produit typique d’une panique morale. La MIVILUDES est consciente du fait que les théories sataniques de la mutilation du bétail ont été ridiculisées par les chercheurs, et elle est un peu plus prudente que d’habitude. Pourtant, elle considère que la théorie satanique « mérite parfois d’être considérée ». Elle note que « les quatre premiers cas [de mutilation de bétail en France en 2020] peuvent correspondre, selon les dates, à des célébrations néo-païennes colorées de sorcellerie, ou coïncider avec la fête celtique de Beltane, liée à la célébration de la nature. » Un rapide coup d’œil aux études sur les paniques sataniques aurait d’ailleurs persuadé la MIVILUDES que, précisément parce qu’ils célèbrent la nature, les néo-païens et les adeptes de la Wicca ne se promènent certainement pas en mutilant du bétail, et aucun incident de ce type n’a jamais été signalé.
Il y a aussi une partie sur la Scientology que l’on pourrait prendre pour de l’humour si cela ne comportait pas le risque de perpétuer la discrimination. Nous lisons qu’il y a de moins en moins de citoyens français qui se plaignent de la Scientology, de 220 en 2015 à seulement 26 en 2020. Un observateur normal en conclurait que la Scientology est désormais largement acceptée par la société française, et qu’il n’y a pas là de « dérives sectaires ». Cependant, les observateurs avisés de la MIVILUDES ne sont pas facilement dupés, et peuvent même considérer l’absence de plaintes comme une preuve qu’il devrait y avoir des plaintes. Le rapport indique qu’aujourd’hui « la MIVILUDES reçoit peu de témoignages sur la Scientologie », mais que les Scientologues « gèrent des entreprises », et les auteurs des rapports ont même remarqué que pendant la pandémie du COVID-19, les bénévoles de la Scientology ont décontaminé en continu et en profondeur des appartements, des bus, et même des systèmes de climatisation. Normalement, on devrait en conclure que les Scientologues sont de bons citoyens bien intégrés dans la société. Pas la MIVILUDES, qui voit dans ces activités quelque chose de sinistre, et appelle implicitement à la discrimination des entreprises gérées par des Scientologues.
Théoriquement, la MIVILUDES ne devrait pas porter de jugement sur les doctrines. Mais indirectement, elle le fait. Par exemple, elle nous dit que la soi-disant « théologie de la prospérité », populaire parmi les pentecôtistes, est « une mauvaise interprétation des Écritures » selon le Conseil national des évangéliques français, et que certains groupes bouddhistes ne sont pas liés à la « structure traditionnelle du mouvement bouddhiste ». Mis à part la tentative à la Napoléon d’imaginer une « église bouddhiste » (tout comme Napoléon a essayé d’inventer une « église juive » pour contrôler les Juifs français : nous reviendrons sur Napoléon plus tard) qui déciderait alors qui est ou n’est pas bouddhiste, quelle théologie bouddhiste ou évangélique est traditionnelle ou innovante, approuvée ou non par un organisme ou une fédération religieuse, cela devrait n’avoir absolument aucune importance pour les institutions gouvernementales d’un État laïque.
On peut également s’interroger sur le fait que la MIVILUDES trouve un indice de « dérives sectaires » dans « une vision rétrograde de la société » qui se traduit notamment par « un rejet de l’avortement. » La majorité des citoyens français, selon les sondages, est favorable à l’avortement. Mais on peut se demander ce que la MIVILUDES ferait d’un groupe religieux dont le leader a déclaré publiquement que « l’avortement n’est pas un ‘moindre mal’. C’est un crime. C’est tuer quelqu’un pour sauver quelqu’un d’autre. C’est ce que fait la mafia. C’est un crime, c’est un mal absolu. ». Ce sont les paroles du Pape François, publiées officiellement sur le site web du Vatican. Le problème n’est pas de savoir si le Pape a raison ou tort, il est de savoir si un jugement religieux impliquant « un rejet de l’avortement » est protégé par la liberté religieuse en France ou considéré comme une « dérive sectaire ».
Le problème de ce rapport de la MIVILUDES, comme des précédents, est sa méthode. Il hypostasie comme un objet presque sacré la « saisine ». Comme en témoignent les incertitudes des dictionnaires, ce mot n’est pas facile à définir. En pratique, une saisine est un rapport ou une plainte reçue par la MIVILUDES concernant un groupe qui, selon ses accusateurs, présente des « dérives sectaires ». La MIVILUDES reçoit les saisines, les classe, les discute, et élabore des statistiques et des conclusions à partir de cette base. En 2020, 85,6% des saisines provenaient de particuliers (une minorité provenait d’associations, d’administrations, de politiciens, d’entreprises ou de médias).
Souhaitez-vous devenir un informateur ? Voici le formulaire web de la MIVILUDES pour signaler les « dérives sectaires ».
Cette méthode ne serait pas considérée comme admissible pour l’étude sérieuse d’un quelconque phénomène social. L’échantillon est évidemment auto-sélectionné et biaisé négativement. Seuls ceux qui n’aiment pas un certain mouvement le signalent à la MIVILUDES. Personne n’écrit à la MIVILUDES pour dire combien il est heureux dans un nouveau mouvement religieux (peut-être le devrait-il). Rien n’indique dans le rapport que les dénonciations sont évaluées en interrogeant des membres des groupes concernés, ou des universitaires qui ont une attitude neutre à l’égard des nouveaux mouvements religieux. Au lieu de cela, ce sont les dénonciations que l’on trouve dans les rapports.
Par exemple, dans la section « Eglises évangéliques », l’Eglise de Dieu Tout-Puissant est mentionnée parce que la MIVILUDES a reçu trois « saisines inquiétantes » sur ce mouvement. Outre le fait bien connu que la propagande chinoise envoie souvent aux institutions publiques et privées européennes des rapports faux et diffamatoires rapports faux et diffamatoires sur les réfugiés de l’Eglise de Dieu Tout-Puissant, ce qui est « troublant », c’est que l’Eglise de Dieu Tout-Puissant est classée parmi les « Eglises évangéliques », une erreur que la MIVILUDES aurait évitée si elle avait lu des ouvrages spécialisés sur ce mouvement plutôt que de se fier aux seules « saisines ».
La MIVILUDES persiste dans son culte des « saisines » même si elle sait qu’elles sont rarement fiables, comme en témoigne le fait que sur plus de 3000 « saisines » reçues en 2020, seules 16 ont été transmises aux procureurs pour une éventuelle intervention judiciaire (ce qui ne signifie pas que les procureurs ont réellement agi sur leur base).
Un bon exemple est le Village des Pruniers de Thích Nhất Hạnh, une communauté que beaucoup ne considéreraient ni comme « sectaire » ni comme controversée. Elle occupe une certaine place dans le rapport, sur la base de 12 « saisines » reçues par la MIVILUDES en trois ans (en moyenne, 4 par an). Le rapport inclut la plainte d’une personne qui écrit qu’après une semaine au village des Pruniers sa « sœur fait des remarques étonnantes et elle n’est plus la même personne. » Un autre plaignant a écrit à la MIVILUDES que le village des Pruniers « fait énormément de mal aux gens en les endoctrinant. »
Là encore, rien ne prouve que le Village des Pruniers ait été autorisé à se défendre, ou que des érudits connaissant bien Thích Nhất Hạnh et le Village aient été consultés pour faire un commentaire. Ce n’est pas seulement une mauvaise méthodologie, c’est un chemin qui mène infailliblement à la calomnie et à la diffamation. Sur la base de quelques témoins hostiles, une communauté entière est mise au pilori et exposée publiquement comme déviante.
Revenons enfin à Napoléon. J’avais terminé ce compte-rendu lorsqu’une correspondante américaine, qui est heureusement protégée dans son pays par le Premier Amendement de toute conséquence qu’elle pourrait encourir en France pour s’être moquée des institutions gouvernementales, m’a écrit que, dans le but de mieux comprendre le système, elle avait envoyé elle-même une « saisine » à la MIVILUDES. Elle a découvert que, alors qu’aux États-Unis, avant d’être autorisé à interagir avec la plupart des sites Web gouvernementaux et même privés sur des sujets sérieux, il y a une vérification de l’identité ou du moins l’adresse électronique de la personne, rien de tel ne se produit lorsque vous envoyez une « saisine » à la MIVILUDES. En fait, elle a réussi à faire passer une « saisine » (certes bien écrite et historiquement exacte) écrite par Napoléon Bonaparte depuis Sainte-Hélène, se plaignant qu’en raison des prédictions erronées de sa voyante, Marie-Anne Lenormand, il a « perdu son emploi, sa maison et même son empire ».
La saisine Napoléon : dûment enregistrée.
On peut supposer que la MIVILUDES reconnaîtra cette « saisine » particulière comme une farce, mais elle n’y a trouvé aucun obstacle électronique et l’a remise normalement. On peut penser que, si quelqu’un veut calomnier un mouvement religieux, il suffit d’envoyer à la MIVILUDES une demi-douzaine de « saisines » signées par de vraies personnes avec de vraies adresses électroniques, et les « dérives sectaires » du groupe seront exposées publiquement l’année suivante.
[Traduction par CAP-LC]
Lutte contre les sectes : « La Miviludes, police des esprits »
Cet article est publié originellement dans "Le Nouvel Observateur"
Auteur : Dominique Albertini
Date : 07/11/2016
Source : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20090608.RUE0793/lutte-contre-les-sectes-la-miviludes-police-des-esprits.html
NDLR : Cette interview d'un ancien membre de la MIVILUDES met en relief quelques problèmes de fond que pose le fonctionnement, les méthodologies mises en oeuvre et l'impact de la MIVILUDES sur la société. On notera aussi l'existence en son sein de « clans » qui instrumentalisent cette institution pour tenter de contrôler la liberté de conscience des citoyens. Ça alors, il y aurait-il une différence entre la volonté de contrôler la liberté de conscience des citoyens lorsqu'elle émane de « sectes » et lorsqu'elle émane d'un organisme public ? Et vous, qu'en pensez-vous ?
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par le Nouvel Observateur ou Dominique Albertini, et vice versa.
Lutte contre les sectes : « La Miviludes, police des esprits »
Démolition de la statue de Gilbert Bourdin édifiée par la secte du Mandarom à Castellane
Dans son dernier rapport, rendu public le 17 mai, la Miviludes souligne l’augmentation du nombre de mouvements sectaires. Elle pointe notamment les techniques dites de « developpement personnel » (psychanalyse, coaching...). Mais pour Olivier Bobineau, ancien membre de la mission, son approche est inadaptée.
Conséquence pour ce spécialiste des religions : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires surestime le phénomène sectaire en France. Entretien.
La Miviludes estime que les sectes se multiplient et prône une politique plus répressive. Comment jugez-vous son action ?
Elle entend mener une politique publique moderne, mais elle est pourtant la seule à ne pas en respecter les trois critères fondamentaux :
- Une définition de l’objet de son travail : la Miviludes amalgame secte, phénomène sectaire et dérive sectaire, sans en donner aucune définition. Ces termes sont des coquilles vides appliqués à tout et n’importe quoi, ce qui a pour effet majeur de faire passer le nombre de sectes en France de 200 à 607. Une multiplication par trois qui tient au fait que la Miviludes a jeté son dévolu sur la psychanalyse.
- L’exposition d’une méthodologie, c’est-à-dire l’existence d’un débat public, le croisement des sources, une véritable réflexion sur le sujet... mais la seule logique de la Miviludes est la recherche de boucs émissaires, elle-même fondée sur une autre logique, celle de l’inquisition. Le discours de la Miviludes, c’est « on n’a aucune preuve, c’est donc qu’ils les dissimulent, c’est donc qu’ils sont bien une menace ».
- Une véritable évaluation de son action : il n’y a aucun outil pour cela, ni de discussion autour des conclusions de la Miviludes : lorsque l’OSCE et l’ONU se risquent à critiquer son travail, elle répond que ces deux institutions sont infiltrées par les sectes.
Mais les dérives sectaires dénoncées par la Miviludes n’en sont pas moins associées à des délits, tels que l’extorsion de fonds ou la manipulation...
Bien sûr. Mais il faut se poser deux questions : d’abord, a-t-on besoin d’un organisme spécifique pour faire appliquer le droit civil et pénal, qui existe déjà pour punir de tels délits ? D’autant que le phénomène sectaire est loin d’être le problème majeur de la société française.
La deuxième question, c’est de savoir comment prendre en compte les plaintes des victimes d’escroquerie : cela doit-il forcément passer par une désignation de ce qui est bien et de ce qui est mal sur le plan spirituel ?
Il faut une véritable administration de la preuve, un vrai service public d’information avec des conseillers scientifiques menant de véritables enquêtes.
Que pensez-vous de la mise en place d’un référentiel visant justement à définir ce qu’est un mouvement sectaire ?
C’est une véritable mise à l’index, un document qui prétend désigner le bien et le mal, ce qui est difficilement admissible de la part d’une politique publique. Une véritable définition devrait viser l’essence même de ce qu’est une secte.
Le référentiel proposé ne mentionnera que certaines caractéristiques générales qu’on retrouve dans d’autres activités sociales : on perd donc dans la compréhension du phénomène ce qu’on gagne en expansion.
Et la stigmatisation de certains groupes peut aboutir à des débordements : aprés la publication par le Parlement, en 1995, d’une liste des sectes, des salles de prière des Témoins de Jéhovah avaient été brûlées, et certains de leurs membres battus.
Le rapport consacre un long passage au satanisme. L’importance de ce phénomène est-elle bien évaluée selon vous ?
La Miviludes n’avance aucun chiffre, fait état d’une progression du satanisme en Europe sans citer de sources. Il ne doit pas y avoir plus d’une centaine de satanistes en France.
La convocation d’un imaginaire relié à cette croyance ne fait pas forcément de vous un sataniste. Si tous les auditeurs de black metal sont satanistes, pourquoi ne pas dire que tous les amateurs de Bach sont luthériens ?
Il y a donc, selon vous, une stigmatisation de certains groupes ou mouvements ?
Oui, qui s’inscrit dans la tradition française d’une suspicion du spirituel, de l’opposition entre la liberté de pensée, politique et philosophique, et de la liberté de conscience, spirituelle.
Cette dernière est suspecte parce qu’elle a généré des passions religieuses dont la France ne s’est toujours pas bien remises : affrontements extrêmement violents entre catholiques et protestants, opposition entre l’Eglise et l’Etat républicain à la fin du XIXe siècle et au début du XXe...
Depuis, la liberté de conscience est suspecte, jugée irrationnelle. Au nom de la liberté de pensée, on veut la contrôler. La Miviludes joue le rôle d’une police administrative des esprits, qui recherche des boucs émissaires et stigmatise des groupuscules.
Vous présentez aussi cette attitude comme le résultat d’une tension interne à la Miviludes...
En effet, il existe plusieurs pôles au sein de la Miviludes, et notamment un pôle conservateur catholique, qui désigne le mal selon ses propres critères, et un pôle de gauche athée pour qui le mal, c’est la liberté de conscience.
Ces deux « camps » ne s’accordent que dans la désignation d’ennemis communs, les mouvements présentés comme sectaires.
Ils s’entendent aussi pour défendre leurs intérêts : on trouve parmi les athées de la Miviludes des francs-maçons, qui cherchent à éviter d’être catalogués comme sectaires.
Quant aux catholiques, ils ont peur que certains mouvements au sein de l’Eglise ne soient stigmatisés, comme ce fut récemment le cas avec la communauté des Béatitudes. Ce qui semble indiquer un rapport de force désormais plus favorable au pôle « libre-penseur ».
FRANCE: Une ONG française dénonce l’UNADFI à la Cour nationale des comptes
Cet article est publié originellement sur le site de "Human Rights Without Frontiers" (HRWF)
Auteur : HRWF
Date : 02/11/2021
Source : https://hrwf.eu/france-une-ong-francaise-denonce-lunadfi-a-la-cour-nationale-des-comptes/
NDLR : S'il existe en effet des dérives au sein de certaines « sectes » (que nous condamnons fermement), il en existe très certainement au sein d'organismes qui se donnent pour but de lutter contre les « dérives sectaires ». L'article ci-dessous montre l'exemple emblématique d'un de ces organismes parmi les plus connus.
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par HRWF, et vice versa.
FRANCE: Une ONG française dénonce l’UNADFI à la Cour nationale des comptes
L’association fondatrice de la FECRIS, l’UNADFI, a fait l’objet d’un signalement officiel à la Cour des comptes française pour mauvaise gestion financière et activités discriminatoires présumées.
CAP LC (29.10.2021) – (in english : https://bit.ly/2ZIk1El) – Le 23 septembre 2021, l’association CAP LC (CAP Liberté de conscience), une ONG européenne laïque dotée du statut consultatif auprès des Nations unies, a effectué un signalement à la Cour des comptes française concernant l’association UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes), principale association fondatrice de la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur les sectes (FECRIS).
Le rapport officiel a été déposé par le cabinet d’avocats De Guillenchmidt (Michel de Guillenchmidt est un ancien juge du Conseil d’Etat français). Il contient plusieurs accusations graves contre l’UNADFI.
L’UNADFI reçoit plus de 75% de ses fonds du gouvernement français, soit une moyenne de 155 000 euros par an. C’est pour cette raison que les finances de l’UNADFI peuvent être soumises à un contrôle public. Selon le rapport, et malgré tous ces financements, l’UNADFI dépense tellement, apparemment sans aucun contrôle financier, qu’elle accuse chaque année un déficit compris entre 150 000 et 285 000 euros. La seule raison pour laquelle elle peut encore fonctionner est qu’elle a vendu son bâtiment en 2013, pour un montant de 1 million 750 000 euros et que cet excédent est utilisé pour couvrir les déficits annuels. Cependant, ce bâtiment avait été payé avec des fonds fournis par le gouvernement, et en dehors de toute préoccupation éthique concernant l’utilisation de l’argent des contribuables pour couvrir leur dette annuelle, cela s’ajoute à l’énorme montant que l’association coûte au contribuable.
Le rapport souligne qu’en plus de la mauvaise gestion financière, un autre problème découle du fait que l’activité réelle de l’UNADFI, utilisant des fonds publics, ne peut être quantifiée correctement, et semble être très faible par rapport aux coûts impliqués. Alors que l’UNADFI prétend travailler à la protection des victimes de ce qu’on appelle les “sectes”, la majeure partie de son budget est dépensée pour son personnel et ses administrateurs. 250 000 euros sont versés chaque année à ses quatre membres du personnel à temps plein et un à temps partiel :
L’UNADFI fonctionne donc principalement en vase-clos, pour assurer sa propre existence et celle de ses salariés et administrateurs - et les deniers publics sont engloutis sans qu’il soit justifié d’une activité effective, vérifiable et mesurable, et encore mois de résultats concrets.
Le rapport souligne également que l’argent dépensé pour payer les avocats pourrait finalement aller dans la poche de l’actuelle présidente de l’UNADFI, Joséphine CESBRON, puisque l’un des avocats habituels de l’UNADFI n’est autre que son mari, Jean-Baptiste CESBRON.
En outre, une section entière du rapport est consacrée à l’inefficacité totale de l’activité judiciaire de l’UNADFI.
D’abord, la principale activité de l’UNADFI est de se constituer partie civile dans des affaires pour lesquelles des poursuites sont déjà engagées. L’intérêt de telles constitutions de partie civile n’est donc pas évident. L’UNADFI intervient davantage pour tenter de justifier son existence que pour apporter une réelle plus-value dans les instances en cours, surtout lorsque ces affaires n’ont qu’un rapport lointain avec les dérives sectaires.
En termes d’activité réelle, ils sont intervenus au cours des 10 dernières années dans seulement sept cas, et seulement deux d’entre eux ont été couronnés de succès, tandis que pour les autres, les défendeurs ont été acquittés. L’UNADFI a même été condamnée pour “abus du droit d’engager une procédure judiciaire”, ce qui a coûté une somme énorme au contribuable.
Une autre section du rapport aborde l’aspect du non-respect par l’UNADFI des réglementations gouvernementales en matière de financement public. Soulignant les fautes techniques, cette section encourage la Cour des comptes à examiner s’il y a ou non une “violation massive des règles de financement public”.
Enfin, la dernière partie du rapport développe la manière dont l’activité principale de l’UNADFI est discriminatoire envers certaines minorités religieuses,
D’abord, l’action de l’UNADFI est contraire aux principes républicains et aux normes conventionnelles supérieures. Il est d’ailleurs tout à fait symptomatique que l’UNADFI s’oppose ouvertement à l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme. L’UNADFI admet en effet que son ancienne présidente, Catherine Picard,« [….] déplore que la CEDH applique l’article 9 de la Convention européenne sans regarder qui sont les auteurs des faits » !
(…)
ensuite, l’action de l’UNADFI révèle une dérive dans l’utilisation des fonds publics. Une association reconnue d’utilité publique et financée quasi-exclusivement par les deniers publics ne devraient pas pouvoir impunément se livrer à des activités et tenir des propos ouvertement discriminatoires. L’UNADFI apparaît ainsi davantage comme un instrument étatique destiné à museler certaines idéologies et croyances qui ne présenteraient pourtant aucun caractère illégal.
L’UNADFI a fondé la FECRIS en 1995. La FECRIS a été récemment condamnée par le tribunal de district de Hambourg, en Allemagne, le 27 novembre 2000, pour diffamation à l’encontre des Témoins de Jéhovah. En 2020, l’USCIRF (United States Commission on International Religious Freedom), une commission bipartisane du gouvernement fédéral américain, a qualifié son idéologie de menace majeure pour la liberté religieuse internationale, déclarant également que “le mouvement anti-sectes continue de mener une campagne de désinformation très efficace contre les minorités religieuses avec des conséquences dévastatrices pour leurs droits humains” (voir le livre blanc “L’idéologie anti-sectes et la FECRIS : Dangers pour la liberté religieuse” ici).
Le rapport complet de CAP LC en français est disponible ici ici sur son site web.
HRWF suivra les résultats de l’examen du rapport par la Cour nationale des comptes française. Cependant, la Cour n’est pas tenue de rendre ses conclusions publiques.
Photo : fr.wikipedia.org
Further reading about FORB in France on HRWF website
Aux pourfendeurs de sectes
Cet article est publié originellement dans "Rebelle[s], le magazine 100% sans journalistes".
Auteur : Michaël Sens
Date : 16/02/2024
Source : https://rebelles-lemag.com/2024/02/16/aux-pourfendeurs-de-sectes/
NDLR : Cet article critique vivement ceux et celles qui croient que le monde est binaire et qui se font inquisiteurs au nom du bien qu'ils sont convaincus de représenter. Dès qu'une personne s'écarte de leur idéologie, elle fait partie du mal (certes le mal existe et est criticable ; c'est le simplisme outrancier qui pose ici problème, ainsi que les méthodes liberticides mises en oeuvre pour soi-disant éradiquer le mal).
La publication de cet article dans Soi-esprit.info n'engage pas la rédaction de Soi-esprit. Elle ne signifie pas non que les idées et valeurs partagées sur Soi-esprit.info le sont aussi par le magazine Rebelle ou Michaël Sens, et vice versa.
Après avoir écrit l’article Biodynamie, le vin de la discorde, je suis allé faire un petit tour sur le compte X de Rebelle(s), et j’y ai découvert un torrent (enfin, un ruisseau plutôt) d’insultes et d’invectives diverses mais pas très variées. L’un des commentaires a cependant attiré mon attention : après avoir jugé de ma « pauvre argumentation », un Xos (utilisateur de X) ajoutait « surpris que vous ne soyez pas pro Russes ». C’est sûr que pour le coup, à Rebelle(s) on n’est pas pro Russe (en tous cas pas pro Vladimir et consorts, même si certains aiment bien Dostoïevski), et moi le premier. Mais ce que ce commentaire m’a fait réaliser, c’est que pour les « pourfendeurs de dérives sectaires », c’est-à-dire les militants de l’anti-sectarisme, dès qu’on a un point de vue un peu différent de leur idéologie, on est forcément pro Russe, « complotiste », pro Trump, antivax, d’extrême droite ou d’extrême gauche, on veut renverser le gouvernement, j’en passe et des meilleures.
Des témoins de Jéhovah, de Poutine et du jus de carotte
Donc j’ai décidé, chers pourfendeurs, de tenter de vous parler. Tout d’abord, je ne suis ni pro Trump, ni antivax. Je me suis même fait vacciné à trois doses contre le Covid, ce qui fait de moi un collabo chez les plus puristes des antivaxs. Je ne vote ni Mélenchon, ni Marine le Pen, ni d’ailleurs Zemmour que j’exècre. En ce qui concerne la Russie, il vous suffit de lire mes articles pour vous convaincre de mon point de vue. Ceci dit, en fait, vous semblez ne pas réaliser que Poutine et les propagandistes du Kremlin sont vos alliés objectifs. En effet, la moitié de leur propagande est fondée sur le fait que l’Ukraine serait contrôlée par des sectes occidentales. D’ailleurs la MIVILUDES ne s’est pas gênée par le passé pour s’afficher avec eux (voir ici). Et la Russie est quand même le seul pays où on jette en prison les témoins de Jéhovah, les scientologues et tout un tas d’autres « sectes » juste parce qu’ils en sont…
Le quizz spécial sectes de Poutine
Bon, j’ai quand même des défauts : j’adore le jus de citron et le jus de carotte. Mais je ne traite pas un cancer (d’ailleurs maintenant que j’y pense, c’est peut-être parce que je bois un max de jus de citron que je n’ai pas le cancer… Non, non, ne vous énervez pas encore, je plaisante). Mais surtout j’ai tendance à penser que beaucoup de compagnies pharmaceutiques ont commis bien plus de délits et de crimes que les « gourous 2.0 » que vous dénoncez, ne serait-ce qu’en se fondant sur le nombre et la gravité des condamnations. Mais nous sommes d’accord, le crime de l’un n’excuse pas le délit de l’autre. Encore faut-il qu’il y ait délit. Et ce qui me gêne dans votre croisade, comme dans beaucoup d’autres croisades d’ailleurs, c’est que vous vous érigez en juges, et décidez avant même la justice qu’un tel est coupable parce qu’il pousse à la consommation de jus de carotte, tel autre parce qu’il dit à ses adeptes de croire en des vérités ésotériques, ou untel parce qu’il a choisi un mode de vie contraignant, à la manière d’un moine ayant fait vœu d’obéissance absolue. C’est caricatural certes, mais tellement vrai.
Quid de l’emprise sectaire ?
Parlons de l’emprise. Je ne dis même pas que l’emprise n’existe pas. Bien au contraire. En fait je vois des situations d’emprise régulièrement (appelez ça « sujétion psychologique », c’est égal). Dans des couples que l’on pourrait qualifier de toxiques ; dans des relations de travail où un employé est sous l’emprise de son employeur, voire d’un autre employé ; dans des relations « amicales » ou l’un écrase l’autre. Dans des relations « médecins / patients », et que le médecin soit allopathe, homéopathe ou naturopathe importe peu. Même l’emprise exercée sur nous par les médias est souvent palpable. Le problème, c’est qu’on ne peut criminaliser cette emprise. Son appréhension est par trop subjective, et il est bien trop facile de nier le libre arbitre de chacun quand ça nous arrange. Pour moi, vous, pourfendeurs de dérives sectaires, vous êtes sous l’emprise de vos maitres à penser. Pour vous c’est l’inverse. Mais rendez-vous compte que si cette emprise est criminalisée, le jour où ce sera moi qui aurai le pouvoir, vous pourriez être les premiers visés (et vice-versa, bien-sûr).
De plus, cette notion est bien trop souvent utilisée pour se dédouaner de choix passés qu’on regrette et qu’on ne veut pas assumer. J’étais adepte de tel mouvement, mais aujourd’hui je regrette et je dois me justifier, alors j’invoque la manipulation mentale. A l’extrême ça donne des situations ou des criminels se voient absoudre de leurs crimes parce qu’ils étaient « sous emprise ». Vous pensez que je fabule ? C’est pourtant déjà arrivé, par exemple dans le procès de Gabriel Loison, condamné pour viol et abus de faiblesse, où sa compagne qui avait été complice de toutes ses exactions (reconnues comme telles par la justice) s’en est tirée et a été acquittée en avançant avoir été « sous emprise sectaire ». Pratique non ?
Alors oui, je me réjouis quand un criminel violeur est condamné, que vous l’appeliez gourou ou pas m’étant tout à fait égal. Je me réjouis quand des gens qui volent, trichent et escroquent sont condamnés, qu’ils soient membres de « sectes » ou pas. Et je ne suis décidément pas « pro-sectes », puisque c’est sémantiquement quasi-impossible : en effet, la secte, c’est de toutes façons le groupe qu’on n’aime pas.
La négation de la dignité humaine
L’autre versant du problème, c’est la négation du libre arbitre. Lorsque vous parlez des « victimes » de « sectes », vous en arrivez à considérer que même ceux qui assurent être dans leur « secte » de manière libre et éclairée, ne pas être des victimes du tout, et qui réclament qu’on les laisse croire ou pratiquer en paix, ne peuvent pas dire la vérité. Deux solutions pour vous : soit ils sont des bourreaux, soit des victimes qui s’ignorent. C’est dramatique comme vision de la vie. Parce qu’en fait, en décidant qu’une personne est « victime » à sa place, vous niez son libre arbitre et lui en refusez l’usage. C’est une atteinte à la dignité humaine, ne vous en déplaise, car le libre arbitre est une composante essentielle de cette dignité. Et ne me dites pas que ces gens ne sont plus capables de libre arbitre parce qu’ils sont sous emprise ! D’abord parce que vous n’êtes pas investis d’une mission divine qui vous donne la science infuse quant aux motivations de votre prochain, mais surtout parce qu’on pourrait vous retourner le compliment. Quid de votre libre arbitre, vous qui êtes endoctrinés à l’antisectarisme ? Eh bien, je vous l’accorde, vous tiens pour responsables de vos actes, et je considère que vous avez choisi votre idéologie.
En fait, cette vision des choses est la source de tous les problèmes liés à la liberté de religion ou de conviction. Les inquisiteurs de tout poil fonctionnent sur ce principe. L’inquisiteur musulman considère que celui qui veut se faire chrétien est manipulé pour rejoindre une « fausse » croyance. L’inquisiteur catholique (heureusement je pense qu’il en reste peu, mais allez savoir), pense que celui qui quitte le giron de l’Église a été manipulé par des forces obscures et doit être ramené dans la voie du Christ malgré lui, par les flammes si nécessaire (bon ça on ne le voit plus trop, j’en conviens). L’inquisiteur du Parti communiste chinois sait que tout croyant s’est fait berner et laver le cerveau par la superstition religieuse et le ramènera malgré lui, pour son bien, dans le giron du marxisme / maoïsme / Xi Jinpingisme.
Si vous connaissiez un petit peu les gens, que vous vous intéressiez sincèrement à eux, sans toujours les juger par le petit bout de la lorgnette, vous vous rendriez compte que la plupart de ceux que vous classez dans les catégories « bourreaux » et « victimes », sont des gens sincères, qui aspirent à vivre selon les principes auxquels ils croient, qui suivent les préceptes, ou les régimes, ou les rituels qu’ils choisissent de manière tout à fait libre, et qu’ils ne font rien de répréhensible. D’autres personnes sortent de leurs mouvements ou pratiques en étant amères, déçues, ou carrément fâchées, parfois avec des raisons légitimes. Ça ne change rien au fait que quand ils étaient dans leurs mouvements, pratiques ou autres, ils l’étaient par choix. Influencé ? Certainement, comme vous et moi. Pour certains, on a réellement commis un ou des délits à leur encontre. Dans ce cas point besoin d’invoquer la manipulation mentale ou la sujétion psychologique. Encore une fois, c’est trop facile. C’est quand il n’y a pas eu de délit qu’on en a besoin.
Liberté, égalité, fraternité, sectes
En fait, la conclusion de ce message, cher pourfendeur de dérives sectaires, c’est que le monde n’est pas binaire. Ce n’est pas parce qu’on critique les dérives de la politique antisectes française qu’on soutient toutes les dérives sectaires, qu’on aime les criminels, qu’on se fourvoie dans toutes les théories alarmistes de complot mondial, qu’on glorifie Vladimir Poutine, qu’on félicite Trump pour nous débarrasser des pédophiles satanistes qui se cachent dans les caves de l’Élysée, ou qu’on croit que la terre est plate. Non, on peut aussi, tout simplement, avoir de bons arguments qui mériteraient d’être écoutés et compris.
Et surtout, on peut aussi croire en la devise de la République, et en ses trois piliers, liberté, égalité et fraternité, et chercher à les incarner au mieux, et à les défendre pour ce qu’ils sont. Et moi, je pense que si on les applique au sujet qui nous intéresse ici, la liberté consiste à laisser les gens libres de croire et pratiquer ce qu’ils veulent, sans jeter l’anathème sur des pratiques sans même vraiment les connaitre. L’égalité consiste à ne pas faire de lois qui traiteront différemment les « sectaires » des autres (n’oublions pas que le « sectaire » d’aujourd’hui sera peut-être le dominant de demain, et vice-versa), et la fraternité, souvent vœu pieux, consisterait à essayer de comprendre ceux qui pensent différemment, et accepter qu’ils puissent, eux aussi avoir le libre arbitre et la dignité qui leur sont inhérents.