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Questionnements, essais et contenus portant sur divers aspects liés à la science de l'esprit (science initiatique moderne) de Rudolf Steiner.
Beaucoup d'articles sur ce site requièrent un travail d'étude sérieux, portant sur des connaissances épistémologiques et ésotériques, pour être compréhensibles.

 

 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • « (...) le mort ne peut faire l'expérience de son entourage spirituel que dans la mesure où il a déjà acquis sur le monde spirituel les pensées qu'un homme peut former sur la terre. Voyez-vous, bien des gens disent de nos jours : qu'avons-nous besoin de nous soucier de la vie après la mort ? Nous pouvons bien attendre d'être morts, et nous verrons bien ce qui se passe. - C'est là une idée tout à fait fausse. On ne voit rien du tout après la mort si l'on ne s'est formé pendant la vie aucune idée du monde spirituel, si on a vécu en matérialiste. »

    Christiana (Oslo), 17 mai 1923 – GA226

    Rudolf Steiner
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(Temps de lecture: 9 - 17 minutes)

Individu et espèce 

Chapitre XIV du livre « La Philosophie de la Liberté »
Rudolf Steiner – GA004
Traduit depuis l'allemand par Geneviève Bideau
(Aux Éditions Novalis - Édition de 1993)

La Philosophie de la Liberté est traduite en français en de multiples éditions, dont notamment :

  • Éditions anthroposophiques romandes et Fishbascher, traduction de Georges Ducommun.
  • Éditions Novalis, traduction de Geneviève Bideau, Édition dite du Centenaire, Montesson, 1993,  (ISBN 2-91011204-7)
  • Éditions Branche Paul de Tarse, traduction de Frédéric C. Kozlik.(1986) édition comparée de(1894/1918) et introduction.
  • Éditions PUF/Éditions Alice Sauerwein, traduction de Germaine Claretie (1923)
  • Éditions TheBookEdition.com, (en autoédition), traduction de Thomas Letouzé (2022).

 


 

Titre du chapitre 14 : INDIVIDUALITÉ ET ESPÈCE

 

NDLR : À notre connaissance, il n’existe pas d’ouvrage plus anti-raciste, plus « anti-machiste », plus anti-fasciste et « anti-bolchéviste » que… la Philosophie de la Liberté de Rudolf Steiner. Il surclasse, et de très loin, tout ce qui est écrit ou pensé dans ces domaines.

Il dépasse de même tout ce qui est écrit qui porte sur la conception en toute clarté, de la liberté de l’être humain. Cet ouvrage est le point de départ d’une science nouvelle (au sens fort du terme science) : la science de la liberté (aussi paradoxal que ce terme puisse paraître au premier abord). En voici un nouvel extrait.


[Caractères gras ou soulignés : SL]


À l'opinion que l'être humain peut devenir de par sa nature même une individualité pleinement autonome et libre s'oppose en apparence le fait qu'il se présente comme un membre au sein d'une totalité naturelle (race, ethnie, peuple, famille, sexe masculin ou féminin) et qu'il œuvre au sein d'une totalité (État, Église, etc.). Il porte les particularités de caractère communes à tous les membres de la communauté dont il fait partie et donne à son agir un contenu qui est déterminé par la place qu'il occupe à l'intérieur d'une pluralité.

L'individualité est-elle alors dans ce cas tout simplement possible ? Peut-on considérer l'être humain lui-même comme une totalité en soi, s'il est issu d'une totalité et s'insère dans une totalité ?

Le membre d'une totalité est déterminé par la totalité en ce qui concerne ses qualités et ses fonctions. Un peuple est une totalité et tous les êtres humains qui en font partie portent en eux les particularités qui sont conditionnées par l'essence de l'ethnie. La façon dont l'individu est constitué et dont il déploie son activité est conditionnée par le caractère de l'ethnie. De ce fait, la constitution et la façon d'agir de l'individu prennent quelque chose qui relève de l'espèce. Quand nous demandons la raison pour laquelle ceci ou cela se présente chez tel être humain sous tel ou tel trait, nous sommes renvoyés au-delà de l'individu à l'espèce. Celle-ci nous explique pourquoi quelque chose apparaît en lui sous la forme où nous l'observons.

Mais l'être humain s'affranchit de cet élément qui relève de l'espèce. Car ce qui relève de l'espèce humaine, lorsque l'être humain en fait l'expérience de la façon juste, n'est rien qui limite sa liberté et ne doit pas non plus l'être par des dispositions artificielles. L'être humain développe en lui-même des qualités et des fonctions dont nous ne pouvons chercher qu'en lui-même la raison déterminante. Ce qui relève de l'espèce ne lui sert alors que de moyen pour exprimer l'entité particulière qui réside en lui-même. Il utilise les particularités dont la nature l'a doué comme fondement et leur donne la forme qui correspond à son être propre. C'est donc en vain que nous cherchons dans les lois de l'espèce la raison de la manifestation de cet être. Nous avons affaire à un individu qui ne peut être expliqué que par lui-même. Quand un être humain a réussi à progresser jusqu'à ce détachement de ce qui relève de l'espèce et que nous voulons même en ce cas persister à expliquer tout ce qui est en lui à partir du caractère de l'espèce, c'est que nous n'avons point d'organe pour ce qui est individuel.

Il est impossible de comprendre entièrement un être humain lorsqu'on prend pour base du jugement que l'on porte sur lui un concept d'espèce. C'est lorsqu'il s'agit du sexe de l'être humain que l'on s'entête le plus à juger d'après l'espèce. L'être masculin voit dans l'être féminin, l'être féminin dans l'être masculin presque toujours trop du caractère général de l'autre sexe et trop peu de ce qui est individuel. Dans la vie pratique, cela nuit moins aux hommes qu'aux femmes. Ce qui rend la situation sociale de la femme la plupart du temps si indigne, c'est qu'en bien des points où cela ne devrait pas être, elle est déterminée non par les particularités individuelles de telle femme dont il s'agit, mais par les représentations générales que l'on se fait de la tâche naturelle et des besoins de l'être féminin. L'activité de l'être masculin dans la vie dépend de ses capacités et de ses goûts individuels, celle de l'être féminin est censée être exclusivement conditionnée par le fait qu'elle est précisément un être féminin. L'être féminin est censé être l'esclave de ce qui relève de l'espèce, de l'universel féminin. Tant qu'est mené par des êtres masculins le débat sur la question de savoir si la femme « de par sa constitution naturelle » est apte à telle ou telle profession, ce que l'on appelle la question féminine en restera au stade le plus primaire. Qu'on laisse donc à la femme le soin de juger ce que la femme peut vouloir de par sa nature. S'il est vrai que les femmes ne sont aptes qu'à la tâche qui leur incombe actuellement, elles n'ont par elles-mêmes que bien peu de chances d'accéder à aucune autre. Mais il faut que ce soit elles qui puissent décider elles-mêmes de ce qui est conforme à leur nature. A celui qui redoute un ébranlement de notre réalité sociale par le fait que les femmes ne soient pas prises en tant qu'êtres appartenant à une espèce, mais en tant qu'individus, il faut répondre qu'une réalité sociale où la moitié de l'humanité a une existence indigne d'un être humain a, précisément, fortement besoin d'être améliorée[1].

Celui qui juge les êtres humains d'après des caractères génériques arrive justement à la limite précise au-delà de laquelle ils se mettent à être des êtres dont l'activité repose sur la libre auto-détermination. Ce qui se trouve en-dessous de cette limite peut naturellement être l'objet de l'observation scientifique. Les particularités de race, d'ethnie, de peuple et de sexe sont le contenu de sciences particulières. Seuls des êtres humains qui ne voudraient vivre que comme des exemplaires de l'espèce pourraient coïncider avec une image générale qui naît par une étude scientifique de ce genre. Mais aucune de ces sciences ne peut pénétrer jusqu'au contenu particulier de l'individu pris en lui-même. Là où commence le domaine de la liberté (du penser et de l'agir), on cesse de pouvoir déterminer l'individu d'après les lois de l'espèce. Personne ne peut fixer une fois pour toutes et laisser sous forme achevée à l'humanité le contenu conceptuel que l'être humain doit mettre par le penser en rapport avec la perception afin de s'emparer de la réalité complète (cf. pp 90 qq.). L'individu doit acquérir ses concepts par sa propre intuition[i]. La façon dont l'individu doit penser ne peut pas être déduite d'un quelconque concept d'espèce. C'est uniquement l'individu, et lui seul, qui est déterminant sur ce point. On peut tout aussi peu déterminer à partir de caractères généraux de l'être humain quels buts concrets l'individu doit proposer à son vouloir. Celui qui veut comprendre l'individu pris en lui-même doit pénétrer jusqu'à son entité particulière et non en rester à des caractéristiques typiques. En ce sens, chaque être humain pris en lui-même est un problème. Et toute science qui ne s'occupe que d'idées abstraites et de concepts génériques n'est qu'une préparation à la connaissance, à laquelle nous avons part lorsqu'une individualité humaine nous communique sa façon de voir le monde, et à cette autre connaissance que nous tirons du contenu de son vouloir. Là où nous avons l'impression que nous avons ici affaire à cette partie d'un être humain qui est affranchie d'une forme de pensée typique et d'un vouloir propre à l'espèce, il nous faut cesser de recourir à l'aide de quelconques concepts tirés de notre esprit si nous voulons comprendre son être. Le connaître consiste en l'union du concept à la perception par le penser. Pour tous les autres objets, l'observateur doit acquérir ses concepts par son intuition ; pour comprendre une individualité libre, il s'agit seulement de faire passer dans notre esprit, dans toute leur pureté (sans les mêler à notre propre contenu conceptuel), les concepts de cette individualité par lesquels elle se détermine effectivement elle-même. Les êtres humains qui mêlent immédiatement leurs propres concepts à tout jugement qu'ils se forment sur autrui ne peuvent jamais parvenir à la compréhension d'une individualité. De même que l'individualité libre s'affranchit des particularités de l'espèce, de même le connaître doit s'affranchir de la manière dont est compris ce qui relève de l'espèce.

C'est dans la seule mesure où l'être humain s'est affranchi, de la façon qui a été caractérisée, de ce qui relève de l'espèce qu'il entre en ligne de compte en tant qu'esprit libre à l'intérieur d'une communauté humaine. Aucun être humain n'est totalement espèce, aucun totalement individualité. Mais tout homme détache progressivement un domaine plus ou moins grand ou plus ou moins restreint de son être, aussi bien de la vie animale - l'élément propre à l'espèce - que des commandements des autorités humaines auxquels il est assujetti.

Mais pour la partie pour laquelle l'être humain ne peut pas acquérir une liberté de ce genre, il forme un membre au sein de l'organisme que constituent la nature et l'esprit. Sous ce rapport, il vit comme il le voit faire aux autres ou comme ceux-ci le lui ordonnent. N'a de valeur éthique dans un sens véritable que la partie de son agir qui naît de ses intuitions. Et ce qu'il possède comme instincts moraux, parce qu'il en a hérité sous la forme d'instincts sociaux, devient quelque chose d'éthique par le fait qu'il l'intègre à ses intuitions. Toute forme d'activité morale de l'humanité naît d'intuitions éthiques individuelles et de leur intégration dans des communautés humaines. On peut dire aussi ceci : la vie morale de l'humanité est la somme totale des productions de l'imagination créatrice morale des individus humains libres. Tel est le résultat du monisme.

 Rudolf Steiner

[Caractères gras ou soulignés : SL]

 

Notes

[1] Dès la parution de ce livre (1894), on* m'a fait à propos des développements précédents l'objection qu'à l'intérieur de ce qui relève de l'espèce, l'être féminin peut dès à présent s'exprimer aussi individuellement qu'il le veut, avec beaucoup plus de liberté que l'être masculin qui est désindividualisé par l'école d'abord, puis par la guerre et la profession. Je sais qu'on me fera aujourd'hui cette objection avec encore un peu plus d'insistance peut-être. Il me faut pourtant laisser subsister ici ces phrases et j'ose espérer qu'il y aura aussi des lecteurs qui comprennent à quel point ce genre d'objection est en contradiction avec le concept de liberté tel qu'il est développé dans cet écrit, et qui apprécient mes développements précédents selon un autre critère que celui de la désindividualisation de l'être masculin par l'école et par la profession.

* Il s'agit du philosophe Edouard von Hartmann, (1842-1906). Déjà, Rudolf Steiner avait inscrit en liminaire de sa dissertation Vérité et science. Prélude à une « philosophie de la liberté » publiée en 1892 : « Dédié par l’auteur, avec une chaleureuse admiration au Docteur Édouard von Hartmann ». Quand paru deux ans plus tard de cette Philosophie de liberté, Hartmann s’y trouva être de loin l'auteur le souvent cité. Aussitôt après sa parution, Steiner Envoya son ouvrage à Hartmann, qui l’étudia avec un « vif intérêt », et renvoya l'exemplaire à Steiner, pourvu de nombreux commentaires, notes marginales et passages biffés, ainsi que la prière de bien vouloir le lui retourner.

 

NDLR

[i] Attention : le mot « intuition » est utilisé ici dans un tout autre sens que le sens commun. Dit de manière très simplifiée, il s’agit de la faculté de saisir en toute clarté les concepts purs (pour le connaître ou pour le vouloir, c’est-à-dire en tant que motifs d’une action libre). Une étude attentive de la « Philosophie de la Liberté » ainsi que la pratique des observations et du penser que cet ouvrage invite à exercer, est nécessaire pour clairement cerner ce à quoi renvoie le mot « intuition » dans le présent article.

 

 

Note de la rédaction
Un extrait isolé issu d'une conférence, d'un article ou d'un livre de Rudolf Steiner ne peut que donner un aperçu très incomplet des apports de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique sur une question donnée.

De nombreux liens et points de vue requièrent encore des éclairages, soit par l'étude de toute la conférence, voire par celle de tout un cycle de conférence (ou livre) et souvent même par l'étude de plusieurs ouvrages pour se faire une image suffisamment complète !
En outre, il est important pour des débutants de commencer par le début, notamment par les ouvrages de base, pour éviter les risques de confusion dans les représentations.

Le présent extrait n'est dès lors communiqué qu'à titre indicatif et constitue une invitation à approfondir le sujet.
Le titre de cet extrait a été ajouté par la rédaction du site  www.soi-esprit.info   

 À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens !
Merci de prendre connaissance
d'une IMPORTANTE mise au point ici.

 

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