Jost Schieren
Département de pédagogie
Université Alanus pour l’art et la société, Alfter, Allemagne
RoSE - Research on Steiner Education Vol.13 No11 — 2022, pp.76-83 (de) pp.84-90 (en)
Publications originelles : PDF (de) - PDF (en)
Traduction : Daniel Kmiecik
Source : Les traductions de Daniel Kmiecik − www.triarticulation.fr/AtelierTrad
Notes de la rédaction : Les numéros de page des ouvrages de Rudolf Steiner mentionnés dans les notes de bas de page, concernent l'édition allemande de son oeuvre, et non pas les éditions en langue française. |
Table des matières
Il n'est guère facile de présenter sous une forme adéquate et succincte ce qu'est l'anthroposophie.[1] Les quelques phrases prégnantes formulées par Rudolf Steiner[2] constituent plutôt, de leur côté, une invitation à la connaissance plutôt qu’à la compréhension. Toute l'œuvre de la vie de Rudolf Steiner a probablement consisté à avoir exploré l'anthroposophie sous les plus diverses perspectives — philosophique, théosophique, ésotérique, artistique et à l’instar d’une pratique de vie — et à lui avoir donné une forme. La difficulté presque insurmontable de présenter et d'expliquer l'anthroposophie réside dans le fait qu'elle échappe à la forme ordinaire de la conscience représentative. Ce que la simple représentation de l'anthroposophie saisit et décrit, passe tout droit à côté d'elle et ne la touche pas. Les critiques et les partisans de l'anthroposophie, qui s'en occupent de manière représentative — que ce soit de manière érudite et analytique et même s'ils le font avec respect et avec une sensibilité intense — ne font qu’en créer une image déformée. Tu ne dois t’en faire aucune image... n'est pas un appel d’ordre moral, mais une nécessité méthodologique propre à la conscience, pour pouvoir faire principalement l'expérience de l'anthroposophie.
Dans son œuvre philosophique précoce, Steiner critique en ce sens la limitation de la conscience représentative. Il interroge la capacité productive du penser. Dans le prolongement de ses recherches sur Goethe, il explique que le penser ordinaire (l’activité de représentation) ne fait que refléter les phénomènes du monde, mais qu'il n'est pas capable d'en saisir le contenu ontologique [à savoir, celui relatif à son essence, ndt]. Il considère la représentation comme un produit final apparaissant dans la conscience, laquelle n’en connaît ni les propres origines ni les aspects spirituels plus subtils relevant des qualités du monde des apparences. Dans les conférences, prononcées ultérieurement du cycle Allgemeine Menschenkunde [Anthropologie générale] (1919), pour la fondation de la pédagogie Waldorf), Steiner parle du fait que la pensée morte (il s'agit ici de la pensée représentative) ne donne qu'une image du monde, mais n'en saisit pas l'être et que, de son côté, elle ne saisit et n’en comprend que ce qui est mort.[3] Steiner n'est pas le seul à avoir cette opinion. Jean-Paul Sartre est du même avis. Il formule de manière presque identique à Rudolf Steiner : « En ce sens, on peut dire que la représentation contient un certain néant. [...] Quelle que soit la vivacité, l'impression et la force d'une représentation, elle donne son objet comme n'étant pas. »[4] Sartre aussi parle de la possibilité d'une autre conscience qui serait indissociable de l’être-étant, sans possibilité de saisir autre chose que l'étant : « Si tant est qu'une conscience, qui ne représenterait pas, était concevable, il faudrait la comprendre comme étant engluée de manière indissociable à l'Étant, sans possibilité de saisir autre chose que ce qui est. »[5] Chez Sartre, cette forme de conscience est décrite comme restreignant la liberté de l’être et comme étant fixée. C'est également l'avis de Steiner. La conscience de représentation de l'homme moderne, ontologiquement émancipée et détachée de l'être, constitue certes la base d'un développement de la liberté dans la conscience de soi, mais au prix d'une perte du monde, de l'être et aussi de la spiritualité. Steiner ne souhaitait pas revenir sur ce gain de liberté. C'est pourtant ce que supposent les critiques de l'anthroposophie et de la pédagogie Waldorf quand, à l'instar de Heiner Ullrich, ils parlent, à propos de l'anthroposophie, d'une vision du monde pré-moderne qui renverrait au mythe et à la philosophie, impliquant un retour au mythe et à la mystique.[6] Ce n'est pas la préoccupation de Steiner. C'est pourquoi il souligne sans cesse la valeur (au plan méthodologique) de la science naturelle comme attitude de conscience de l'époque contemporaine et s'efforce de fonder, avec l'anthroposophie, une expérience moniste de l'être et une spiritualité moderne.
Il rejoint ainsi Goethe. Au cours de son Voyage en Italie, Goethe s'était intéressé de près à la question de la plante archétype. Il s'agissait pour lui de dépasser les limites de la représentation, qui ne parvient pas à atteindre la sphère de vie du monde végétal. Cela signifie pour lui: « [...] par la contemplation immédiate d'une nature toujours vivante il s’agit que nous nous rendions dignes de prendre part à ses productions ».[7] Goethe cherchait à entrer, par le biais de la vision intuitive immédiate[i], dans une relation moniste, participative et processuelle avec la raison d'être du vivant.
Rudolf Steiner s'en inspire, mais en tournant son regard vers l'intérieur. Il s'agit pour lui d'une saisie de soi du penser en tant que réalisation et processus. Ce qui est chez Goethe la faculté de juger par la vision intuitive immédiate, devient une observation de la vie de l'âme, une introspection de celle-ci, chez Rudolf Steiner. Alors que la méthode phénoménologique de Goethe se tourne vers le monde des apparences, Steiner développe, surtout dans La philosophie de la liberté, une phénoménologie de la conscience. Il explique, en conséquence, que la pensée ordinaire ne connaît que ses contenus, non pas leur genèse, ni l'activité du penser qui produit d'abord ses contenus.[8] Si l'on parvient à observer cette activité in actu, cette observation est la plus importante que l'être humain puisse faire. L'être humain entre ainsi consciemment dans une activité qu'il a lui-même réalisée et fondée. En même temps, il touche et fait l'expérience d'une sphère auto-fondée de concepts et d'idées spirituelles et dynamiques, avec lesquelles l'acte de penser entre dans un rapport d'échange et d'union. Alors que la faculté de juger, par la vision intuitive immédiate de Goethe, mène à un monde intérieur dans le monde extérieur, l'observation psychique de Steiner ouvre au monde intérieur (spirituel) dans le monde extérieur (conscient). Rudolf Steiner désigne cela par le terme « d'intuition » : « L'intuition est le déroulement purement spirituel d'une expérience consciente d'un contenu purement spirituel »[9]. Il s'agit d'une activité intérieure, d'un effort de production du sujet, qui constitue en même temps une expérience de rencontre avec une réalité spirituelle objective.[10]
On peut dire qu'une spiritualité antérieure (aux Lumières) accueille les expériences spirituelles sans qu'il y ait en contrepartie de participation auto-activée du sujet dans la pensée comme expérience de révélation. De nombreux témoignages d'une formation spirituelle des temps passés documentent qu'il s'agit d'une sorte d'effacement de la voix rationnelle du sujet. Une spiritualité moderne, telle que celle de l'anthroposophie de Rudolf Steiner, mise au contraire sur l'auto-activation du penser. Ce critère d'une mise en forme d'exécution auto-activée du penser dans une spiritualité moderne peut conduire à ce qu'une telle expérience de l'esprit peut aussi être interprétée comme une simple autosuggestion. Mais sans la forme d'exécution, le concept de spiritualité serait alors un retour à une forme de conscience pré-moderne qui ne fait qu’en recevoir des contenus et ne veut pas les produire elle-même.[11]
Réalisme métaphysique naïf
Dans son œuvre philosophique de jeunesse, Steiner s'est opposé au réalisme naïf, qui parle d'une réalité objectivement existante sans la participation du sujet connaissant. Cela vaut dans le même sens pour l'anthroposophie et pour la réalité spirituelle dont elle ouvre l’accès. Aussi un réalisme métaphysique naïf, sous la forme d'une croyance pseudo-religieuse et pieuse en l'Ange, au Christ et aux êtres élémentaires, n'est-elle pas conciliable avec une spiritualité moderne post-Lumières telle que la défend l'anthroposophie. L'expérience moderne de l'esprit est toujours aussi un acte d'une individualité. Sinon, le gain de liberté et d'autonomie des Lumières ne peut pas être garanti et autrement, le monde spirituel ne peut pas être expérimenté dans une conscience moderne. La forme d'exécution du penser, qui est activée par le sujet et qui constitue en même temps un échange avec des enchaînements idéels se fondant objectivement sur eux-mêmes (concepts et idées), garantit l'expérience de liberté de l'individu moderne.
On peut se demander en quoi consiste exactement cette forme d'exécution (qui transcende la forme de représentation) du penser lorsqu'il s'agit de contenus spirituels ? Il s'agit essentiellement d'une expérience de nature vertueuse qui a un caractère de transformation existentielle. Cézanne a qualifié une telle expérience de « réalisation » dans sa production picturale de la Montagne St. Victoire.[12] C'est l'expérience (à la fois mystique et réfléchie du point de vue des Lumières) que l'objet produit par le sujet est un nouvel objet qui produit en même temps le sujet sous une nouvelle forme. C'est donc moins le côté contenu mais plutôt celui de la forme et de la vertu qui caractérise la forme de je-ité dans l'accomplissement, aussi dans le suprasensible.
Présentation faite par Rudolf Steiner dans Des énigmes de l'âme
Les philosophes de l'idéalisme allemand, en particulier Fichte et Schelling, ont déjà lutté pour l'idéal d'une auto-représentation du penser en tant qu'accomplissement ou acte. Ils utilisent pour cela le concept d'intuition intellectuelle. Suite à ses études sur Fichte, Novalis s'est lui aussi engagé sur cette voie de l'expérience du penser en tant que forme exécutive. Il appelle cela l'idéalisme magique, où magique signifie ici que le sujet, au-delà d'une activité du penser idéaliste, vit un contact intellectuel et magique avec des idées de nature objective. Novalis écrit : « C'est vers l'intérieur que va le chemin mystérieux. En nous, nulle part ailleurs, se trouve l'éternité avec ses mondes, le passé et l'avenir. Le monde extérieur est le monde des ombres, il projette son ombre dans le royaume de la lumière. Certes, maintenant, il nous semble si sombre, solitaire et sans forme à l'intérieur. Il nous semblera tout à fait différent lorsque cette obscurité sera passée et que le corps d'ombre aura été rejeté. Nous jouirons plus que jamais, car [nous nous rendrons compte que, ndt] notre esprit en a été dépourvu ».[13] Le monde de la représentation ordinaire est donc, dans cette perspective de Novalis, un monde d'ombres.
C'est également ce que décrit Rudolf Steiner dans son ouvrage Des énigmes de l’âme (1917). Il est remarquable que plus de vingt ans après la première publication de La philosophie de la liberté (1894), il a, à nouveau, donné cette impulsion d'une spiritualité pouvant être fondée épistémologiquement, d'une part dans ce livre et d'autre part, dans la réédition élargie de La philosophie de la liberté (1918). C'est en particulier dans Des énigmes de l’âme que Steiner se penche à nouveau sur le thème de la « formation des représentations » et sa délimitation.[14] Il explique que les représentations du monde matériel, qui constituent la substance quotidienne de la conscience éveillée, ne sont purement et simplement que des paralysies d'une activité conceptuelle vivante, qui est cependant préconsciente par rapport aux représentations conscientes. Il écrit : « De même que les représentations par leur essence archétype même, font certes partie de la vie de l'âme ; mais elles[ii] ne peuvent pas devenir conscientes dans l'âme aussi longtemps que celle-ci ne fait pas usage de son organe-esprit ; elles demeurent alors inconscientes en l'âme, tant qu'elles sont vivantes selon leur propre essence. L'âme vit à travers elles, mais elle ne peut rien savoir d'elles. Celles-ci doivent atténuer leur propre vie pour devenir des expériences conscientes ordinaires de l'âme. Cette atténuation se réalise au travers de toute perception sensorielle. C'est ainsi que, lorsque l'âme reçoit une impression sensorielle, il se produit une paralysie de la vie imaginative ; et l'âme expérimente consciemment la représentation ainsi paralysée comme l’intercesseuse d'une connaissance de la réalité extérieure. Toutes les représentations qui sont rapportées par l'âme à une réalité extérieure des sens, sont des expériences intérieures de l'esprit dont la vie a été atténuée ».[15] C'est donc ce qu'il faut entendre lorsque Rudolf Steiner écrit que le penser [ordinaire, ndt] ne saisit que ce qui est mort.[16] L'activité (tout d'abord inconsciente) qui s'enflamme à partir des expériences sensorielles conduit à des concepts et des idées spirituellement vivant(e)s qui, au moment où ils/elles sont amené(e)s à l'expérience sensorielle, sont atténué(e)s et paralysé(e)s dans leur réalité spirituelle et ne conduisent de ce fait qu'à des représentations conscientes du monde des apparences. Steiner fait ensuite remarquer que cette fonction de mise en images de la re-présentation, dont la conscience est habituellement imprégnée, ne constitue qu'une partie de son essence. « On peut maintenir en conscience des représentations que l'on a acquises par les expériences sensorielles de telle sorte que l'on puisse y voir la reproduction de la réalité sensible. Et on peut aussi les vivre de telle sorte que l'on laisse agir dans l'âme la vertu qu'elles y exercent en celle-ci par ce qu'elles sont, en tant que telles, en dehors du fait qu'elles re-produisent une chose sensible »[17]. Comme dans le chapitre 3 de La philosophie de la liberté, Steiner se penche sur l’aspect ou vertu inconscient(e) sinon pré-conscient(e) du penser. L'observation de l'âme conduit en ce sens à la saisie de la genèse de la formation de la représentation. Le penser devient alors conscient de sa propre origine spirituelle. C'est en cela que Steiner voit l'essence même de la représentation : « Le développement correspondant à la représentation, par sa propre essence, est celui d'agir en tant que vertu opérante dans le développement de l'âme. »[18] Steiner fait une comparaison avec une graine qui, d'une part, est utilisée comme nourriture et qui, d'autre part, peut permettre le développement d'une nouvelle plante en étant semée : « Oui, on peut dire que, de même que l'utilisation comme nourriture est quelque chose de tout à fait extérieur à la graine, de même la reproduction cognitive l'est pour les représentations. En réalité, dans les représentations, l'âme saisit sa propre essence en développement. Et ce n'est que par l'activité propre de l'âme que les représentations deviennent des intercesseuses de la connaissance d'une réalité ».[19] Cette dernière reste généralement inconsciente et ne peut être élevée à la conscience que par un effort de formation. C'est l'objectif du chemin de formation anthroposophique, à savoir que la forme active préconsciente de la pensée devienne consciente de son origine spirituelle dans la formation de la représentation objective. C'est dans une telle représentation vivante (Steiner parle ici aussi de concepts vivants) que peut commencer à apparaître le fondement spirituel des phénomènes du monde. — De même que l'intuition dans la représentation de Rudolf Steiner est l'union pensante et active avec un contenu de pensée dynamique[iii], de même l'expérience d'une liaison spirituelle avec le monde sensible des phénomènes, que Goethe connaissait déjà, se révèle dans les concepts et représentations vivant(e)s. On peut lire comme phrase de méditation : « Je me sens penser en étant uni au courant des événements universels. »[20]
Problème de l’ésotérisme nominaliste
A l'origine, Rudolf Steiner ne voulait pas que ses conférences soient transcrites et diffusées. Elles servaient à la formation spirituelle et ne devaient pas être reçues uniquement pour leur contenu. Il ne pouvait pas réguler et contrôler cela, c'est pourquoi, pour éviter de graves erreurs, il a confié la sténographie de ses conférences à des personnes de confiance. Celles-là ont ensuite été publiées la plupart du temps sans une révision. Il stipulait que toutes les conférences devaient porter ce qu'il appelait un « avertissement de réserve». Les statuts de la fondation de la Société anthroposophique générale stipulent même que les cycles de conférences « doivent être conservés sous forme de manuscrit pour les membres de l'université libre de science de l’esprit, le Goethéanum et la Klasse [école ésotérique, ndt] ».[21] « Il n'est accordé de jugement compétent pour ces écrits à personne qui n'en ait pas d’abord acquis la connaissance préalable [...] invoquée par cette école. »[22] Les conférences servent ainsi de matériel aux membres de l'université libre en vue de leur formation méditative. Les contenus qui y sont exprimés ne sont guère décisifs en tant que tels — car ils relèvent de la représentation — c’est la stimulation qu’ils exercent afin de dépasser la perception habituelle de la conscience et transcender ainsi la forme de représentation de la conscience ordinaire. Dans sa conférence dite de Bologne, du 8 avril 1911, à l'occasion du 4ème Congrès international de philosophie, Rudolf Steiner explique comment les sciences de l'esprit peuvent être utilisées et comment il convient de traiter les contenus des sciences de l'esprit : « Le chercheur en sciences de l'esprit, au sens commun où nous l'entendons ici, cherche des contenus d'âme qui sont semblables aux concepts et aux idées de la vie courante en matière de recherche scientifique ; mais il ne les considère pas d'abord en fonction de leur valeur, à l’instar d’un objectif atteint, mais il les laisse vivre dans sa propre âme en tant que vertus opérantes. Il les enfouit en quelque sorte à l’instar de germes spirituels dans la terre nourricière de la vie psychique et attend, dans une parfaite sérénité, leurs effets sur la vie de l'âme ».[23] On parle ici aussi du côté vertueux et actif des représentations, qui ne peut pas se manifester dans la seule simple réception d’un contenu. Ce serait alors, à l'inverse, la visualisation des contenus des sciences spirituelles, uniquement sous une forme représentative, qui conduirait aux malentendus. Il est dit (également dans le discours de Bologne) : « Mais c'est aussi ici qu'il faut chercher la raison pour laquelle les représentations du chercheur en sciences spirituelles peuvent être si aisément mal comprises. Ce qui compte, notoirement chez lui, c'est moins ce qu'il dit que la manière dont il l'exprime. C'est dans le « comment » que réside le reflet de ses expériences extrasensorielles. »[24]
Le malentendu formulé ici est sérieux et grave. Si, l'apprentissage à l'observation scientifique de la vie de l'âme d'un auto-accomplissement de la conscience pensante immédiate — s'actualisant elle-même dans l'observation des contenus anthroposophiques — est négligé, l'anthroposophie est mal comprise. Or, une telle incompréhension se manifeste et s'observe partout, aussi bien chez les critiques de l'anthroposophie que chez ses représentants. Sur la base de l'ensemble de l'œuvre de Rudolf Steiner disponible, les enchaînements idéels ésotériques profonds sont utilisés uniquement comme des contenus et de manière nominale. On y rattache, selon le groupe auquel on appartient, des jugements dévalorisants ou affirmatifs. Une forte partialité, qui soutient le besoin de critique ou d'approbation, va de pair avec cette attitude incomprise. Sous cette forme, la spiritualité de l'anthroposophie n'est guère viable. L'anthroposophie nécessite avant tout une conscience capable de l'assumer. C'est comme jouer du violon. On peut en jouer simplement en ayant seulement la capacité de le faire. Il est alors possible, même pour ceux qui ne font qu'écouter de percevoir la qualité musicale du jeu et de se sensibiliser à la musique. C'est là que réside la valeur de communication des contenus anthroposophiques. Mais la conscience de représentation se comporte vis-à-vis de la virtuosité du violon de la même manière qu'un auditeur qui se contente de se réjouir de la mimique du violoniste ou qui s'en détourne. La simple représentation n'atteint pas la spiritualité de l'anthroposophie, même si on la {ré-cite, ndt} nominalement.
Une conscience qui se contente d'imaginer et qui s'appuie sur des expériences sensorielles est en principe plus sûre qu'une autre, qui s'intéresse aux contenus des sciences spirituelles. Or, les phénomènes sensoriels sont tout de même tirés de notre propre vision. Mais si cette représentation, qui a besoin d'un contenu, est rapportée à des communications spirituelles, elle échappe à la propre vue d'ensemble et devient un enseignement valable qui, par la suite, se voit souvent défendu de manière dogmatique vers l'extérieur. C'est alors une sorte de « Tik-Tok » anthroposophique. Ce média Internet encourage notamment à interpréter la musique populaire avec des mouvements de bouche et des représentations en forme de danses. Beaucoup d'œuvres anthroposophiques secondaires imitent de manière comparable les déclarations de Rudolf Steiner sans forme d'exécution propre et y rajoutent des formes de jugement et de partialité.
L'ésotérisme de l'anthroposophie ne peut pas être saisi en termes de contenus. Il ne se prête pas à la forme de représentation. L'ésotérisme est une performance de formation de l'individu et ne peut être appréhendé qu’à l’instar d’une forme d'exécution du penser. Il s'agit d'un processus et non d'une connaissance coagulée. C'est pourquoi il est indisponible. Il ne peut pas être utilisé pour des raisonnements, des conclusions, des modèles de jugement ou simplement comme une base de connaissances. Ce serait une erreur naïvement réaliste. Il est la forme de vie spirituelle de l'anthroposophie, qui n'est expérimentable que dans la conscience méditative accomplie. Toutes les communications dites ésotériques ne peuvent et ne doivent donc pas être considérées (et diffusées) uniquement comme des contenus, mais elles servent avant tout à la formation, avant tout à l'apprentissage. En tant que contenus, ils peuvent offrir un élargissement de la perspective et du regard qui dépasse l'étroitesse de la vie de représentation habituelle. Ils peuvent, au sens de Goethe, sensibiliser l'observation en tant qu'organes de la vision contemplative immédiate[25] et ouvrir ainsi progressivement des niveaux d'expérience plus profonds. Ils peuvent aussi, par exemple dans l'agriculture biodynamique, avoir une signification pratique dans une relation spirituellement sensibilisée à la nature, l'attitude de l’âme étant, ici aussi, décisive.
Le terme d'ésotérisme nominaliste utilisé ici est en fait un oxymore dans le sens de ce qui a été exposé, à l'instar d'un « cri muet », d'une « chaleur froide » ou d'une « obscurité lumineuse ». L'ésotérisme est l'expression pour désigner une spiritualité accomplie, authentique, qui en fait coïncider la forme et le contenu et s'évapore dans l'esprit des gens dans le nominalisme de la conscience représentative.
Remarque complémentaire
La compréhension de l'anthroposophie présentée ici est essentiellement marquée par des rencontres biographiques précoces avec l'œuvre et la personne de Herbert Witzenmann. Plus que tout autre élève de Rudolf Steiner, Herbert Witzenmann défend une épistémologie à dimension spirituelle ou une spiritualité accessible par l'épistémologie. Je suis convaincu que l'approche qu'il a défendue, ainsi que celle d'autres personnalités, d'une ouverture épistémologique de l'anthroposophie est très décisive et durable pour le développement de celle-ci. Cette approche est essentielle à la pérennité de l'anthroposophie et à son influence et à son impact sur l'ensemble de la société. Les impulsions d'humanité émanant de l'anthroposophie sont, à mon avis, nécessaires et précieuses pour la société actuelle :
- Un respect de l'individualité spirituelle inhérente à chaque être humain,
- Une vision de l'être humain y est liée, favorisant et préservant la liberté en tant qu'être créatif,
- Une impulsion de formation de communauté non hiérarchique et pas uniquement basée sur le penser relativement aux convictions ou à la richesse de cœur,
- Une reconnaissance et un soin écologiquement conscients de l'environnement naturel,
- L’ouverture d'une perspective de sens spirituel universel.
Il est important que ces impulsions, qui sont certainement propres à d'autres courants humanistes avec des pondérations différentes et qui reçoivent de la part de l'anthroposophie un contexte justificatif global, puissent trouver une forte diffusion. Outre les grandes forces du cœur et de l'action qui sont décisives pour une efficacité civilisatrice de l'anthroposophie, je considère qu'une représentation et une forme de présentation basées sur la science et la recherche sont significatives et appropriées.
Dans le cadre de mon activité professionnelle à l'université Alain de Lille d'Alfter (RFA), en tant que professeur de pédagogie scolaire, spécialisé dans la pédagogie Waldorf, j'ai tenté, dans différentes publications, de clarifier et d'équilibrer la relation entre l'anthroposophie et la pédagogie Waldorf.[26] Dans ce contexte, j'ai parlé, dans une compréhension méthodologique, d'un « renoncement à l'anthroposophie » et d'une « pédagogie Waldorf sans ésotérisme ». Ces formulations n'ont guère été comprises au plan méthodologique dans les réponses critiques qui ont suivi, comme des étapes épistémologiques ascétiques nécessaires qui correspondent à peu près à l'époché husserlienne, c'est-à-dire à une abstinence de jugement ou de vision du monde, mais elles ont été comprises au contraire comme une trahison de l'anthroposophie et comme un accommodement au courant scientifique dominant.[27] Cela n'était nullement voulu. Je vois cependant dans les réactions que je dois dorénavant mieux m'expliquer sur le fond.
Comme nous l'avons déjà mentionné, il s'agit, lors d’un jugement ou d’une représentation réductionniste[28] d’une fréquentation de l'anthroposophie, de s’expliquer au plan épistémologique sur la forme de représentation dans laquelle sont habituellement pris et diffusés les contenus anthroposophiques et de s'en libérer par la suite, afin que la doctrine et la dogmatique ne se trouvent pas au premier plan. Soupçonner en cela une adaptation au réductionnisme scientifique ou y voir une simple compréhension sélective de l'anthroposophie[29] et croire ensuite devoir s'y opposer, c'est méconnaître la méthode phénoménologique. C'est comme si l'on créait d'abord un épouvantail, pour ensuite mettre en garde contre lui.
Rudolf Steiner a déclaré une fois : « La phénoménologie, c'est l'idéal de l'effort scientifique qui existe dans l'anthroposophie »[30]. C'est justement le cœur d'une démarche phénoménologique que de prendre conscience de ses propres attitudes de connaissance et de vision, afin que l'objet de l'observation ne soit pas perçu uniquement dans une perspective déformée par le sujet. Dans la mesure où il s'agit d'objets et de questions purement intellectuels, on n'a à faire, en conséquence, qu'à des erreurs relativement bénignes. Celles-ci peuvent également être graves. Lorsque l'anthroposophie entre dans les domaines de la vie et de l'action (comme par exemple dans la pédagogie Waldorf), la formation d'un jugement ou d'une retenue cognitivement consciente et prudente est d'une importance éminente. Dans le domaine de la pédagogie, tout regard déformé, toute défense dogmatique de jugements et toutes formations d'opinion ont des conséquences interpersonnelles directes et peuvent parfois laisser derrière eux des séquelles biographiques extraordinaires. C'est pourquoi je constate avec beaucoup de respect que Rudolf Steiner fit preuve d'une admirable retenue dans la pédagogie Waldorf, en ce qui concernait les déclarations et les contenus anthroposophiques et ésotériques. Les élèves sont bien restés au cœur de ses préoccupations. L'anthroposophie servit uniquement à rendre les enseignants capables d'assurer une bonne pédagogie. Elle ne devait pas intervenir dans le processus pédagogique de manière à surformer la vision du monde. Là où cela se produit, des dommages peuvent survenir pour les enfants et les adolescents qui lui sont confiés et l'anthroposophie elle-même en est endommagée, car on agit à l'encontre de son esprit.
Dans ce contexte, on m'a aussi régulièrement reproché de ne pas me démarquer des critiques de l'anthroposophie et même, par exemple, dans la revue en ligne Steiner Studies — de collaborer avec certains d'entre eux. Or, je fais bien la différence entre les critiques et les opposants. Je ne pense pas qu'il soit utile d'échanger avec des opposants qui nient le droit à l'existence de l'anthroposophie et des initiatives anthroposophiques et qui tentent de les entraver dans leur développement et de leur ôter leurs moyens d'existence. Il en va autrement des critiques. Même si je ne partage pas toutes les critiques et que j'argumente ensuite contre elles sur le fond, j'apprécie de nombreux critiques parce qu’ils mettent, en partie à juste titre, le doigt dans la plaie. Leur principal reproche concerne une vision pré-scientifique, religieuse et mythique du monde. Même si ce jugement ne s'applique pas — à mon avis — à Rudolf Steiner, il n'en est pas moins vrai qu'il s'applique en partie à certaines publications, projets de revues et institutions anthroposophiques. Les critiques le soulignent et je leur suis reconnaissant d'attirer l'attention sur ce point, afin de travailler encore plus résolument à une forme d'anthroposophie scientifiquement valable.
Notes de la rédaction : Pour rappel, les numéros de page des ouvrages de Rudolf Steiner mentionnés dans les notes de bas de page, concernent l'édition allemande de son oeuvre, et non pas les éditions en langue française. |
Notes
[1] Première publication dans la revue : Anthroposophie, Noël 2022.
[2] « L'anthroposophie est un chemin de connaissance qui veut conduire le spirituel vivant dans l'être humain au spirituel vivant dans l'univers ». Dans :Rudolf Steiner : Maximes anthroposophiques. (GA026), Dornach 2013, p. 14, Maxime Ière.
[3] Cf. Rudolf Steiner : L'anthropologie générale comme base de la pédagogie. (GA293), Dornach 2019, 3ème conférence : « Lorsque nous nous trouvons face à la nature de telle sorte que nous tournons vers elle notre côté pensée, notre côté représentation, alors nous n’en saisissons en fait que ce qui est mort en elle. » (p. 56) Et : « L'homme, tel qu’il se tient face à la nature, saisit par son intellect tout ce qui est mort en elle et s'approprie des lois à partir de ce qui en est mort ». (p. 58).
[4] Jean Paul Sarte : Das Imaginäre. Phänomenologische Psychologie der Einbildungskraft [L'imaginaire. Psychologie phénoménologique de l'imagination]. Hambourg 1980, p. 57. 5 Ibid. p.291.
[5] 5 Ibid. p.291.
[6] Cf. Heiner Ullrich : Rudolf Steiner. Leben und Lehre [Vie et enseignement]. Munich 2011 : « C'est ici que la spéculation dogmatique et métaphysique pré-moderne du néoplatonisme se transforme en une interprétation du monde consciemment re-mythifiante de la théosophie ». (p. 109 et suivantes) Cf. également : Heiner Ullrich : Waldorfpädagogik. Eine kritische Einführung [Pédagogie Waldorf. Une introduction critique]. Bâle 2015, p. 143 et suiv.
[7] Johann Wolfgang von Goethe : Werke [Œuvres]. Édition de Hambourg. Éd. Erich Trunz. Anschauende Urteilskraft [vertu du jugement intuitif immédiat]. Vol. 13, p. 30 et suiv.
[8] Cf. Rudolf Steiner : La philosophie de la liberté. (GA004), chapitre 3.
[9] Ibid. Chapitre 9, pp.146.
[10] Une position constructiviste de la philosophie contemporaine considère le penser comme un produit uniquement subjectif de l'homme qui ne peut prétendre à aucune objectivité. Une exception dans la philosophie contemporaine est la position de de Markus Gabriel et d'autres représentants de ce que l'on appelle le « nouveau réalisme » Cf. Markus Gabriel (éd.) : Neuer Realismus [Nouveau réalisme]. Berlin 2014.
[11] Un tel malentendu se retrouve chez Frank Linde dans son article sur Christian Clement « Imagination et Hallucination. L’image de Christian Clement de l’investigation de l’esprit par Rudolf Steiner » dans Die Drei 11/2015 [Traduit en français : DDFL1115.pdf, Ndt ] Linde y argumente que Clement n'a qu'une conception subjective de la spiritualité. Christoph Hueck en a fait la démonstration dans son article Le monde spirituel comme « projection » ? Ein Beitrag zur Diskussion um die SKA" dans "Anthroposophie [Une contribution au sujet de la discussion autour de la SKA] 278, Noël 2016, p. 361] rectifie la situation. Il écrit : « Clement a plutôt caractérisé, sous une forme condensée [...], le noyau à la fois épistémologique et mystique de l'anthroposophie : La prise de conscience de soi de la raison d'être spirituelle dans la connaissance humaine ».
[12] Cf.. Michael Doran (édit.) : Gespräche mit Cézanne [Entretien avec Cézanne]. Zürich 1982.
[13] Novalis : Poussière de fleurs. Dans Novalis : Die Christenheit oder Europa und andere philosophische Schriften [La christianité ou l'Europe et autres écrits philosophiques]. Cologne 1996, p. 103.
[14] Johannes Kiersch a souligné à plusieurs reprises, et nous lui en sommes reconnaissants, l'importance de l'ouvrage de Rudolf Steiner Von Seelenrätseln, notamment dans : Vom Land aufs Meer. Steiner Esoteric in veränderem Umfeld [De la terre à la mer. L'ésotérisme de Steiner dans un monde en mutation], Stuttgart 2008.
[15] Rudolf Steiner : Von Seelenrätseln [Des énigmes de l'âme] (GA021), Dornach 1983, p. 26.
[16] Voir la note 2.
[17] Rudolf Steiner : Von Seelenrätseln, à l’endroit cité précédemment, pp.23 et suiv..
[18] Ibid. p.24.
[19] Ibid., p.35.
[20] Rudolf Steiner : Le seuil du monde spirituel (GA017), Dornach 2009, p.12.
[21] Rudolf Steiner : Le congrès de Noël pour la fondation de la Société Anthroposophique Universelle (GA260), Dornach 1994, p. 52. [versions française dans deux livres, ici et ici]
[22] Ibid.
[23] Rudolf Steiner : Philosophie et anthroposophie (GA 35), Dornach 2014, p.115.
[24] Ibid.p.128
[25] Cf. Goethe : « Une idée sur des objets d'expérience est en quelque sorte un organe dont je me sers pour les saisir. » Lettre à Sömmering du 28 août 1796. Dans : Goethe Briefe [Lettres de Goethe]. Édition en 6 volumes. Éd. Karl Robert von Mandelkow. Munich 1988, p. 237.
[26] Cf. Jost Schieren : Anthroposophie et pédagogie Waldorf - un champ de tensions. In : Jost Schieren (éd.) : Manuel de la pédagogie Waldorf et des sciences de l'éducation. État des lieux et perspectives de développement. Weinheim Bâle 2016 ; du même auteur : Le reproche de vision du monde. De l'influence de l'anthroposophie sur la pédagogie Waldorf - Une question de forme et de ... de la mesure. Critique de : Heiner Ullrich : Waldorfpädagogik. Une introduction critique. Dans : www.rosejourn.com, Vol 6, No 1 (2015) : https://www.rosejourn.com/index.php/rose/article/view/257/256, consulté le 1.11.2022 [Traduit en français: JSHURo615.pdf, ndt] ; du même auteur: Die Wissenschaftlichkeit de l'anthroposophie. Dans : www.rosejourn.com, Vol 2, No 2 (2011) : https://www.rosejourn.com/index.php/ rose/article/view/78/105, consulté le 1.11.2022 ; du même auteur : Anthroposophie in der Kritik. Dans Anthroposophie 299, Pâques 2022, p. 1.
[27] Cf. Les lettres de Christian Giersch, Friedrich Schmidt-Hieber, Arnim Husemann dans Anthroposophie 300, SaintJean 2022, p. 182, et l'autre courrier de Klaus Müller dans Anthroposophie 301, Michaeli 2022, p. 283..
[28] Husserl parle de « réduction eidétique ».
[29] Cf. Mathias Maurer : Steiner sélectif. Dans : Anthroposophie weltweit, 31.5. 2022 : https://anthroposophie.org/de/nachrichten/rudolf-steiner-selektiv, consulté le 1.11.2022.
[30] Rudolf Steiner : Fachwissenschaften und Anthroposophie [Sciences spécialisées et anthroposophie], (GA73a), Dornach 2005, p. 318. Dans un autre passage, on peut lire en conséquence : « C'est pourquoi ce que veut la science de l'esprit n'est rien d'autre que de la phénoménologie [...] » (Ibid., p. 418.).
Note de la rédaction
[i] Cette « vision intuitive immédiate » n’a rien à avoir avec de la mystique ni avec le mot « intuition » tel qu’entendu au sens commun du terme. Pour saisir en quoi consiste ce mode de connaissance nouveau qui permet de saisir le vivant, nous vous invitons à lire « Une théorie de la connaissance chez Goethe » de Rudolf Steiner (GA002).
[ii] Les formulations dans cette partie de texte pourraient prêter à confusion selon nous (nous n’avons pas été relire ces passages en allemand, dont nous présumons qu’ils sont par ailleurs très difficiles à traduire).
Par « elles ne peuvent pas devenir conscientes dans l'âme » ; il faut comprendre selon nous qu’il s’agit des «essences-archétypes» lesquelles sont à la base de toutes nos représentations et pensées. Les essences-archétypes sont des forces créatrices vivantes, des puissances spirituelles, absolument réelles, que nous pouvons percevoir supra-sensoriellement dans des conditions et circonstances bien précises (et très rares dans l’état actuel de développement de la conscience humaine).
Ce que nous appelons « pensées »
(à différencier du « penser » qui est l’activité qui saisit et amène les « pensées » à notre conscience)
et a fortiori ce que nous appelons « représentations »
(à savoir des contenus de pensées que nous avons liés à des contenus de perception particulier pour en faire un contenu d’expérience qui nous est personnel ; (par exemple nous avons lié le concept (= pensée) d’arbre aux arbres que nous percevons dans notre entourage ; de sorte que la représentation « arbre » diffère toujours quelque peu d’un être humain à l’autre, surtout si ceux-ci vivent dans des environnements très différents, tandis que le concept d’arbre, lui, demeure identique (universel) pour tous les êtres humains))
par contre, n’ont plus la qualité de forces créatrices vivantes. Elles ne sont que des reflets infiniment atténués des essences-archétypes au sein de la vie intérieure (âme) de l’être humain. Et c’est d’ailleurs parce qu’il en est ainsi que la possibilité de la liberté est offerte à l’être humain. Car lorsque l’être humain pense de purs concepts (pensées pures), qui sont des reflets atténués des essences-archétypes, (toutefois parfaitement transparents et d'une clarté cristaline pour la conscience humaine), ces pensées pures ne sont porteuses d’aucune force et d’aucune vie créatrices par elles-mêmes. Ces reflets manifestés dans l’âme sont totalement « morts », « inertes ». Dans la sphère (de la mort) des purs concepts et idées auquel l’être humain accède lorsqu’il met vigoureusement son penser en œuvre, il peut aller puiser les motifs de son action sans qu’aucune contrainte ou causalité extérieure à sa propre activité (pensante) (et à son propre être), ne le pousse en quoi que ce soit à réaliser cette action. Lui seul peut décider de faire ou non, d'un pur concept d'action qu'il pense activement, un motif de son action. Dès lors, c’est à partir de cette sphère, et uniquement à partir de celle-ci, qu’il peut agir librement. S’il fait de purs concepts d’action des motifs de son action, il le fait alors par amour de l’action ainsi conçue, et non pas sous l’effet d’une cause quelconque qui le détermine. Observons que lorsque l’être humain pense de purs concepts, l’activité du penser, elle, n’est pas morte. Au contraire, cette activité spirituelle est d’autant plus intensément vivante que l’être humain pense activement, ce qui est le cas, notamment, lorsqu’il conceptualise de purs concepts.
La constitution actuelle de l’être humain est donc telle que la possibilité lui est donnée de poser des actes libres, par amour de l’acte. Il s’agit toutefois d'une potentialité. Lui seul peut amener cette potentialité à des concrétisations sous formes d'actes libres, autodéterminés.
En ce sens on peut comprendre qu’il fallut, pour que cette constitution et ce potentiel soit mis à disposition de l’humanité, que certaines puissances spirituelles se sacrifient en quelque sorte, qu’elles acceptent de « mourir »… qu’il y ait un domaine dans l’univers où elles renoncent à agir selon leur nature d’êtres et de forces créatrices. Et ce domaine… c’est l’âme humaine !
[iii] Nous ne sommes pas très certain d’avoir compris ce que l’auteur souhaitait signifier par cette formulation… ou alors nous l’avons compris, mais alors c’est sa compréhension qui est peut-être questionnable. Une pensée à méditer peut contribuer à s'approcher de ce dont il s'agit : « l’intuition est à la pensée ce que l’observation est à la perception ».
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