Article de Rudolf Steiner publié originellement dans Mitteilungen aus dem Verein zur Abwehr des Antisemitismus, Ile A., N° 52, 25 décembre 1901.
Cet article est publé en français dans le livre «Steiner journaliste»
Rudolf Steiner – GA031
Deuxième édition 1989 - Éditions Novalis - 2004
Traduction : Geneviève Bideau
NDLR : Dans des dizaines de contributions, Rudolf Steiner a toujours combattu énergiquement l’antisémitisme (de même que le nationalisme et le racisme). Ceci ressort aussi de la vision de l’être humain et des civilisations qu’il développe au cours de milliers de conférences ou de nombreux ouvrages.
Ceux et celles qui prétendent le contraire, le font rarement par ignorance. La plupart savent pertinemment qu’il s’oppose radicalement à l’antisémitisme, au racisme et au nationalisme. Il suffit de prendre connaissance avec sérieux et rigueur de son œuvre pour le savoir. C’est sciemment et consciemment que ces personnes mentent. Leur moyen : traîner dans la boue autant que possible Rudolf Steiner en l’assimilant à ce qu’il y a de plus opposé à son être et à la science de l’esprit d’orientation anthroposophique. Leur objectif, qu'ils cachent au public : détourner le maximum possible de personnes de l’anthroposophie, car cette science de l'esprit représente une source de renouvellement de la culture et de la civilisation qu’ils veulent, par tous les moyens possibles et imaginables, détruire. |
IDÉALISME CONTRE ANTISÉMITISME[1]
Deux curieux livres sont parus récemment l'un après l'autre. Le premier avait pour titre : Gesetz, Freiheit und Sittlichkeit des kiinstlerischen Schaffens (Loi, liberté et moralité de la création artistique). L'auteur en est Lothar von Kunowski[2]. Il a fait maintenant suivre le premier écrit d'un deuxième, ayant pour titre : Ein Volk von Genies (Un peuple de génies). Les deux volumes sont censés n'être que des parties d'un ouvrage d'ensemble de vastes dimensions qui porte le titre : Durch Kunst zum Leben (Par l'art vers la vie). Or Lothar von Kunowski passe dans certains cercles absolument pour un prophète. On peut entendre des expressions d'admiration sans réserve. On loue comme un nouvel Évangile ce qu'il dit sur l'essence de l'art et sur la vie morale.
Même si pour celui qui connaît l'évolution de la vie allemande de l'esprit au dix-neuvième siècle aucune pensée nouvelle n'y est contenue, cependant il peut lui aussi s'associer au jugement qui a récemment été porté d'un côté important sur Kunowski[3]. Son livre y est désigné comme un ouvrage où « un homme sérieux s'exprime sur des problèmes qui l'ont torturé pendant des années : le cri de douleur d'un artiste qui tâtonnait sans but dans l'obscurité ; le cri d'allégresse de celui qui voit enfin le but. »
Certes, bien des choses sont immatures dans ces deux livres ; certes, tout ce que dit Kunowski a été dit précédemment avec plus de profondeur et d'ampleur de vues ; il y a pourtant dans ces deux livres quelque chose qui est au plus haut point rafraîchissant, même pour celui qui connaît la littérature faisant autorité sur ce sujet. En effet, on n'a pas parlé depuis des décennies sur l'art et ses rapports avec la vie avec un tel idéalisme issu de la connaissance que ne le fait Kunowski.
Kunowski attribue au peuple allemand une grande mission culturelle. Il est censé produire un renouveau de vision morale du monde par une vraie appréhension de l'art : « une nouvelle théorie artistique devra être une nouvelle théorie de la vie et, inversement, une nouvelle conception de la vie devra s'enraciner dans une théorie de l'art rajeunie (...) Peu de gens savent ce qu'ils disent lorsqu'ils exigent un art populaire, un art qui fasse de chaque membre du peuple un artiste dans tous les actes de la vie. » Il pourrait sembler que la manière dont Kunowski s'exprime sur « l'art et le peuple » pourrait être exploitée pour leurs buts par ceux qui voudraient répandre par ce slogan toutes sortes d'antipathies de peuple et de race. Et le premier volume de cet ouvrage paru il y a quelques mois a aussi été exploité en ce sens -- de façon tout à fait injustifiée.
Le deuxième volume qui vient de paraître a causé une déception radicale à beaucoup de gens qui croyaient auparavant pouvoir compter Kunowski au nombre des leurs. Il s'exprime dans plusieurs passages de façon claire et sans équivoque sur le « problème des races ». Et ce qu'il dit dans ces passages montre comment un homme d'esprit idéaliste doit penser sur ce « problème ». En particulier, Kunowski rejette fortement tout antisémitisme. Il blâme vivement l'Anglais Chamberlain pour ses sorties contre les « Sémites » dans le livre Les fondements du dix-neuvième siècle. Et du même point de vue sont portés des jugements qui rendent impossible aux antisémites de se référer à Kunowski qu'ils aimeraient sinon bien mentionner lorsqu'ils content que les fortes racines de la culture et de la civilisation s'enracinent dans la « nation ». Mais Kunowski conçoit le concept de « Peuple » absolument de façon telle que tout antisémitisme est inconciliable avec sa conception. « Nous, les Allemands, nous sommes destinés », dit-il, à « réserver la forme du monde à transformer à tous les peuples, à les appeler tous à mener cette œuvre à bonne fin, principalement les Latins et les Sémites auxquels nous devons infiniment de choses, avec lesquels, unis dans l'infini, nous élargirons aussi en commun ce qu'a de fini le terrestre. Dans cette équité pleine d'amour réside l'avenir de l'Allemand, est caché son royaume universel, son renouveau qui en fait un homme nouveau, un peuple nouveau. » Kunowski ne veut pas de lutte entre les races ; il veut faire passer ce que toutes les races ont d'important dans la culture de l'avenir : « La loi morale du Juif, l'État du Romain, l'art des Grecs, la pyramide de l'Égyptien » doivent s'unir en nous afin que nous puissions « travailler en toute indépendance dans la forge de l'univers ». Cette idée apparaît avec une particulière beauté dans les paroles suivantes : « Sur nos autels reposent la croix, le croissant et l'arche d'alliance, dans nos forêts se promènent Zarathoustra, Moïse, Socrate, Dante, Rousseau, sur nos prairies s'élèvent sous forme nouvelle Jérusalem, Athènes, Sparte, Florence et Paris. »
Au point de vue étroit des races Kunowski oppose le sien en ces termes : « Le but de la conquête du monde n'est pas l'expansion du type allemand inchangé, mais bien plutôt la création d'un nouvel homme de la culture qui n'est ni Germain, ni Latin, ni Sémite. » Cette représentation culmine dans la phrase suivante : « Des peuples deviennent par fusion des peuples dans le brasier d'une culture nouvelle qui brûle la haine raciale. »
Il est licite de concevoir le livre de Kunowski comme un symptôme important de l'époque. Nous voulons de nouveau un idéalisme. Non pas un idéalisme confus que ne crée que l'imagination débridée, mais un idéalisme qui repose sur la connaissance et la culture. Kunowski se fait le porte-parole d'un tel idéalisme. Il est significatif qu'il devient de ce fait tout naturellement l'adversaire de l'antisémitisme ennemi de la connaissance et de la culture, de l'étroite « germanité ».
Notes
[1] Mitteilungen aus dem Verein zur Abwehr des Antisemitismus, Ile A., N° 52, 25 décembre 1901. Article traduit par Geneviève Bideau.
[2] Lothar von Kunowski, Ober-Wilkau près de Namslau – 1866 Silésie. Durch Kunst zum Leben (“Par l’art vers la vie”), t. 1 : « Ein Volk von Genies » (« Un peuple de génies »), Éditions Diedrichs, Leipzig, 1901, pp. 5 et 8.
[3] N’a pas pu être identifié.
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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