Article de Rudolf Steiner publié originellement dans Magazin für Literatur, 69e A., N°35, 1er septembre 1900.
Cet article est publé en français dans le livre «Steiner journaliste»
Rudolf Steiner – GA031
Deuxième édition 1989 - Éditions Novalis - 2004
Traduction : Geneviève Bideau
Le titre originel de l'article est "AHASVER".
Le titre figurant sur la présente page web est de la rédaction de Soi-Esprit.
NDLR : Dans des dizaines de contributions, Rudolf Steiner a toujours combattu énergiquement l’antisémitisme (de même que le nationalisme et le racisme). Ceci ressort aussi de la vision de l’être humain et des civilisations qu’il développe au cours de milliers de conférences ou de nombreux ouvrages.
Ceux et celles qui prétendent le contraire, le font rarement par ignorance. La plupart savent pertinemment qu’il s’oppose radicalement à l’antisémitisme, au racisme et au nationalisme. Il suffit de prendre connaissance avec sérieux et rigueur de son œuvre pour le savoir. C’est sciemment et consciemment que ces personnes mentent. Leur moyen : traîner dans la boue autant que possible Rudolf Steiner en l’assimilant à ce qu’il y a de plus opposé à son être et à la science de l’esprit d’orientation anthroposophique. Leur objectif, qu'ils cachent au public : détourner le maximum possible de personnes de l’anthroposophie, car cette science de l'esprit représente une source de renouvellement de la culture et de la civilisation qu’ils veulent, par tous les moyens possibles et imaginables, détruire. |
AHASVER[1]
L'un de mes collègues d'études, un étudiant juif, travaillant énergiquement, conscient de son objectif, me disait - c'était à Vienne, il y a environ vingt ans - , alors que nous en étions venus à parler de l'antisémitisme :«Il n'y a pas encore longtemps, j'aurais presque estimé naturel que nous, Juifs libéraux, exprimions, par l'adhésion à une confession chrétienne, notre appartenance aux peuples parmi lesquels nous vivons et auxquels nous nous sentons unis. Mais aujourd'hui, face à l'antisémitisme, j 'aimerais mieux me faire couper deux doigts de mes mains plutôt que de faire un pareil pas. »
Il n'y a jamais eu pour moi de problème de Juifs. Mon évolution allait aussi dans un sens tel que jadis, à l'époque où en Autriche une partie des étudiants nationaux devint antisémite, cela me sembla être une insulte à toutes les conquêtes culturelles de l'époque moderne. Je n'ai jamais pu juger l'homme autrement que d'après les qualités individuelles, personnelles, du caractère que je connais en lui. Qu'il soit Juif ou non-Juif, cela me fut toujours tout à fait égal. Je peux bien le dire : cet état d'esprit est aussi resté le mien jusqu'à maintenant. Et je n'ai jamais pu voir dans l'antisémitisme autre chose qu'une vision qui, chez ses représentants, est une marque d'infériorité de l'esprit, de faculté de jugement éthique défectueuse et d'ineptie.
L'historien de la culture des dernières décennies du dix-neuvième siècle - et même des premières du vingtième ? - aura à rechercher comment il fut possible qu'à l'âge du penser scientifique ait pu prendre naissance un courant qui est un soufflet pour toute espèce de représentation saine. Nous qui vivons et avons vécu au milieu des combats, nous ne pouvons passer en revue qu'avec effroi un certain nombre d'expériences que l'antisémitisme nous a réservées.
Je l'ai souvent rencontré, ce type de Juif moderne dont l'état d'esprit s'exprime dans les paroles de mon compagnon d'études mentionné ci-dessus. Robert Jaffé[2] a en effet décrit ce type dans Emil Zlotnicki, héros de son roman Ahasver . Il l'a décrit avec toute la chaleur et la pénétration que font jaillir les plus amères expériences, les sombres désillusions. L'on ressent à chaque page du roman la profonde vérité intérieure qu'ont le dessin du caractère et la description des faits typiques. Un fragment d'histoire de l'époque se déploie devant notre âme, présenté par quelqu'un qui était là avec toute son âme lors du déroulement de cette histoire. Cela fait qu'une psychologie ressentie individuellement donne au roman une coloration intéressante au plus haut degré.
C'est pourquoi Ahasver est un roman tiré de la vie sociale de notre époque. Des courants de société sont décrits avec des couleurs pleines de sève, courants qui interviennent profondément dans la vie du personnage. Le destin d'un personnage intéressant apparaît de façon caractéristique sur l'arrière-plan de la culture du temps présent. L'art de Jaffé réside dans son dessin de la vie individuelle, qui reçoit des grandes contradictions de la société son plaisir et sa peine comme un don qui est inné. II est en ce sens psychologue. Il l'est dans ce bon sens, qu'il décrit des hommes complets de notre époque présente, mais qui comportent en même temps quelque chose de typique dans leur destin.
Il devra absolument suivre de près le roman avec le plus grand intérêt, celui qui voudra une fois se plonger dans les fines ramifications de la vie de l'âme, telle qu'elle apparaît comme le résultat de traits caractéristiques de la culture de l'époque, pénibles, regrettables sous plus d'un rapport, mais de ce fait d'autant plus dignes d'intérêt.
On ne peut sans doute pas infliger à l'antisémitisme de condamnation plus rude, mais aussi plus convaincante par son argumentation judicieusement artistique que cela ne se produit ici.
Il est vrai que chez Jaffé, à côté du sentiment artistique qu'il a de la psychologie individuellement vécue, si vraie intérieurement, il n'y a pas encore de capacité artistique remarquable. Caractères et situations ont de la raideur, et la composition du roman laisse beaucoup à désirer. Je crois qu'il ne serait pas sérieux de tirer de ce livre des conclusions sur l'avenir artistique de l'auteur.
Sa grande volonté doit susciter la plus grande sympathie. Il est vrai que le travail trahit aussi le débutant à chaque page. Les gens entrent en scène et s'en retirent, les situations vont et viennent sans grande vraisemblance, sans motivation assez profonde. Des amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps se rencontrent, parce que l'auteur doit les réunir pour montrer le heurt entre les oppositions sociales. Mais ils parlent alors aussitôt de théories de politique sociale, de philosophie de la vie, sans rien se communiquer d'individuel.
Que l'on ne se méprenne pas sur mes paroles. Je suis le dernier à vouloir proscrire de la littérature de tels entretiens. J'ai même la croyance que l'homme sérieux doit avoir plaisir à des œuvres d'art qui décrivent des hommes dont les intérêts dépassent même le cercle de ce qu'il y a de mieux dans le quotidien. Dans la vie aussi, nous nous faisons quand même part de nos idées, si nous ne sommes pas précisément des philistins amateurs de bière ou des membres de petits cercles de cafés. Pourquoi donc ne doit-il pas en être ainsi dans l'œuvre d'art ? Mais dans la vie, rien n'arrive quand même de manière aussi directe que c'est le cas chez Jaffé. Chez moi par exemple, qui ne me compte pas précisément au nombre des hommes non théoriques, il faut au moins un quart d'heure pour qu'à un ami que je n'ai pas vu depuis longtemps, je demande en quoi a changé sa profession de foi sur la philosophie de la vie et la politique sociale.
Mais lorsque Robert Jaffé en vient à des descriptions qui demandent un art psychologique délicat, un sentiment lyrique, alors il devient au plus haut degré attrayant. Alors le poète se révèle à chaque ligne.
Tout compte fait : nous avons dans Ahasver un roman psychologique de notre temps que, malgré toutes ses faiblesses, malgré le caractère de débutant de son auteur, l'on ne peut lire qu'avec le plus haut intérêt.
Rudolf Steiner
Notes
[1] Magazin für Literatur, 69e A., N°35, 1er septembre 1900.
[2] Robert Jaffé, Gnesen, province de Posnanie 1870 – 1911, Berlin, écrivain. Ahasver, roman, Berlin, 1900.
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser. |
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