Extrait du reccueil de conférences «Les arrière-plans spirituels de la Première Guerre mondiale»
Stuttgart, le 21 mars 1921 - 16ème conférence
Rudolf Steiner – GA174b
Éditions anthroposophiques romandes (2010) -
Traduction : Jean-Marie Jenni
Note de la rédaction :
Il ne saurait être question de croire un seul instant en lisant l’extrait ci-dessous, que Rudolf Steiner impute la totalité de la responsabilité de la première guerre mondiale aux anglo-saxons. En réalité, dans de nombreuses conférences il présente les facteurs déterminants à la base de la première guerre mondiale à partir de plusieurs dizaines de points de vue différents, incluant aussi bien des facteurs économiques, monétaires, culturels, étatiques (y compris l’Allemagne et l’Autriche…) ainsi que spirituels et occultes. Le texte ci-dessous n’est donc qu’un court extrait qui montre toutefois un facteur aujourd’hui encore très déterminant dans l’apparition de guerres au niveau mondial, y compris l’actuelle guerre en Ukraine. Ce facteur trouve sa source dans les conceptions de certaines personnalités dominantes du monde anglo-saxon. Cet extrait constitue aussi une invitation on ne peut plus ferme à acquérir une attitude politique qui tient compte de grandes tendances politiques mondiales sans se limiter aux seules impulsions pratiques de portée locale. Nous ajoutons en fin de cet extrait une courte vidéo qui date de 2015 qui est on ne peut plus édifiante. Cette vidéo met en relief, par l’intermédiaire d’une personnalité américaine représentative du début du XXIe siècle, la volonté de domination mondiale anglo-saxone, telle qu’exposée par Rudolf Steiner dès le début du XXe siècle. Il s’agit notamment d’enfermer et d’endiguer la Russie, et surtout de séparer l’Allemagne de la Russie. Rudolf Steiner mentionne aussi très explicitement cette intention… (toutefois dans une autre conférence encore, dont nous ne disposons malheureusement plus des références au moment d’écrire cette introduction). |
(...) Si je prends la parole aujourd’hui, c’est à cause d’un questionnement apparu lors du dernier cours de séminaire d’histoire[1]. Ce questionnement concerne la responsabilité de la catastrophe de la dernière guerre. Il revêt une telle importance, maintenant également de nature historique, qu’on ne peut pas, même dans ce cadre restreint et malgré le peu de temps imparti, se priver d’un tel sujet.
Je ferai toutefois une remarque préliminaire, afin que vous saisissiez l’esprit dans lequel je vais aborder cette question. Je n’ai jamais caché et ne me suis jamais retenu d’exposer, lors des conférences que j’ai tenues à Dornach, la vision que j’ai dû me forger à propos du thème de nos considérations d’aujourd’hui, une vision que j’ai estimé devoir être présentée, avant tout, devant le monde entier. Je ne suis pas d’avis, dans cette question importante, qu’il faille, comme on le répète à l’envi, laisser le jugement à l’histoire, seule capable d’objectivité. L’avenir perdra, précisément parce que perdureront les préjugées, autant de possibilités de se forger une opinion saine sur cette question qu’il en gagnera peut-être ça ou là d’en retirer quelques lumières. Je dis bien « peut-être » car, pour ma part, je ne crois pas que l’avenir pourra gagner un meilleur jugement sur la situation actuelle que le présent.
(…)
J’insiste sur le fait que je ne pourrai pas, vu le peu de temps que nous avons, exprimer dans mes phrases toute la force de persuasion et de démonstration qu’il faudrait, mais j’essaierai toutefois d’apporter les nuances propres à vous donner une base pour votre jugement sur la question. Or ma longue expérience et une observation minutieuse de ce qui se passe dans le devenir de l’histoire mondiale, montrent avant tout chez le peuple anglo-saxon et surtout chez certains de ses groupes de personnalités l’existence d’une vision qui dans un certain sens révèle d’amples ambitions mondiales. Il y a chez certaines personnalités, se tenant en quelque sorte à l’arrière de la politique anglo-saxonne, une vision qui s’articule en deux propositions principales :
D’une part, il y a la vision, chez une majorité de personnalités se situant derrière les politiciens actuels, qui ne sont que des hommes de paille, qui attribue au peuple anglo-saxon, par le fait de certaines forces d’évolution universelles, pour le présent et pour l’avenir lointain, une mission véritable d’exercice de la domination du monde. Cette vision est profondément enracinée en ces personnalités, malgré, je dirais, la manière matérialiste qu’ont de la concevoir les personnalités réellement dirigeantes de la race anglo-saxonne. Cette vision est si profondément enracinée qu’on peut la comparer à l’impulsion intérieure de la mission universelle historique qui vivait autrefois dans le peuple hébreu. Celui-ci avait une vision certes de nature plus morale, plus théologique, mais en intensité, elle est comparable à ce qui vit dans les personnalités dirigeantes de la race anglo-saxonne. Nous sommes donc en présence, en première ligne, de ce principe que vous pouvez trouver extérieurement également dans la conception du monde telle qu’elle vit chez ces personnalités dirigeantes du peuple anglo-saxon. La vision en présence veut qu’en toutes circonstances soit entrepris, ou que rien ne doit empêcher que ne soit entrepris, tout ce qui concourt à cette impulsion historique. Cette impulsion est implantée de manière intellectuelle, de manière grandiose dans les esprits des personnes plus bas-situées, au nombre desquelles il faut compter les secrétaires d’État, tous les politiciens actifs. Je crois que ceux qui ne voient pas ce fait sont dans l’impossibilité de suivre la marche du développement mondial récent.
Le deuxième point sur lequel agit cette triste et funeste politique pour l’Europe du Centre est le suivant. Car on envisage le long terme. Du point de vue de l’esprit anglo-saxon, cette politique est précisément ample, elle est traversée par la croyance que le monde est mené par des impulsions mondiales et non par les petites impulsions pratiques par lesquelles parfois les politiciens se laissent conduire avec dédain. Cette politique de l’esprit anglo-saxon est donc d’une grande ampleur ; pour les mesures pratiques, elle compte également sur des impulsions de l’histoire mondiale. Or le deuxième point est celui-ci : on sait parfaitement que la question sociale constitue une impulsion de dimension mondiale qui doit nécessairement se déployer. Il n’existe aucune personnalité dirigeante anglo-saxonne qui ne se dise pas froidement, je dirais même qui ne regarde pas d’un œil extraordinairement froid et neutre que la question sociale doit faire l’objet d’une expérience. Mais elle dit tout de suite également que cela ne doit en aucun cas se passer au détriment de la mission occidentale anglo-saxonne. Elle le dit presque textuellement, et il a bien souvent été prononcé que le monde occidental n’est pas disposé à se laisser ruiner par des expérimentations sociales. Pour cela il y a le monde oriental. Aussi s’emploie-t-elle à transporter dans le monde oriental , notamment en Russie, l’expérimentation sociale.
Ce que je vous dis ici est une conception que j’ai pu constater dans les années 1880 déjà, et je ne sais pas pour le moment si elle remonte plus loin encore. Dans le peuple anglo-saxon, on savait froidement que la question sociale devait nécessairement s’exprimer mais que jamais elle ne devait le faire en Occident et ruiner le monde anglo-saxon, et que pour cette raison la Russie devait être le terrain de l’expérimentation sociale. Toute la politique tendait ainsi vers ce but, on tendait tout à fait clairement vers ce but. Toute la question des Balkans, surtout et y compris le traité de Berlin par lequel on jeta la Bosnie et l’Herzégovine aux côtés des Européens du centre médusés, toutes ces questions furent traitées dans cette perspective. Tout le traitement de la question turque fut lui aussi guidé par le monde anglo-saxon dans cette perspective. On espérait ainsi que les expérimentations sociales qui découleraient nécessairement du prolétariat désorienté et fourvoyé dans le marxisme et autres principes, montreraient surtout au monde des ouvriers une leçon claire de la nullité de ces expériences destructrices. On protégerait donc ainsi l’Ouest en montrant à l’Est ce que le socialisme pouvait entraîner en se déployant d’une manière qu’on ne veut pas voir à l’Ouest.
Vous voyez, ces choses historiquement parfaitement démontrables sont tout à fait généralement à la base de la situation européenne et mondiale depuis des siècles. Il en découle des événements de l’histoire mondiale, je dirais, de nature davantage physique. Il suffit de lire attentivement ce que laisse paraître dans ses phrases le fantasque Woodrow Wilson qui passe pourtant dans l’esprit contemporain pour un historien de valeur. Mais nous ne le ferons que pour signaler un symptôme de ce que je veux dire. Ainsi, bien qu’on ne le remarque pas ordinairement, l’Orient fait débat pour toute la civilisation européenne. Il ne reste à l’observateur objectif plus rien d’autre à dire sinon qu’à travers les événements historiques récents, l’Angleterre a été favorisée par une sorte d’inauguration de la mission caractérisée plus haut. Cela remonte à très loin, jusqu’à la découverte de la possibilité d’atteindre les Indes par la voie maritime. De cette découverte découle en fait et de diverses manières toute la configuration de la politique moderne de l’Angleterre. Vous avez là le trait fondamental du courant mondial, dirais-je, porté par la mission anglaise. Je me permets de vous le suggérer en traits rapides, car il faudrait des heures d’explication, mais pour rester sur la question posée il me faut abréger. Bref, cette voie maritime contourne l’Afrique pour arriver aux Indes. Cette ligne est fort riche d’enseignements. C’est la ligne pour laquelle la mission universelle anglo-saxonne se battra jusqu’au sang, faudrait-il pour cela combattre même l’Amérique à mort. L’autre voie, tout aussi importante, est celle qui emprunte la terre, elle jouait un rôle extrêmement important au Moyen Âge, mais elle est devenue impossible pour tout développement économique moderne dès la découverte de l’Amérique et dès l’invasion turque en Europe. Or entre ces deux lignes se trouvent les Balkans. Il importe pour la politique anglo-saxonne de traiter le problème des Balkans de telle manière que cette deuxième ligne soit mise totalement hors service pour le développement économique, il faut que seule subsiste la voie maritime. Pour celui qui ouvre les yeux, cela apparaît dans tout ce qui s’est déroulé dès 1900 et avant, jusqu’à la guerre des Balkans qui précéda immédiatement la guerre mondiale, jusqu’en 1914.
Un autre élément est la relation de l’Angleterre avec la Russie. Cette ligne économique n’intéresse évidemment nullement la Russie, mais ce qui l’intéresse c’est son propre comportement envers cette ligne. Comme nous l’avons vu, l’Angleterre nourrit ses propres projets pour la Russie, l’expérience socialiste. Et toute sa politique doit par conséquent tendre vers cela, c’est-à-dire que d’un côté il faut que cette ligne économique se constitue et d’autre part, il faut que la Russie soit suffisamment enfermée et endiguée pour fournir le terrain à l’expérimentation socialiste. C’était en somme la situation fondamentale du monde. Tout ce qui a été entrepris sur le terrain de la politique mondiale était sous l’empreinte de cette tendance mondiale. Il faudrait de nombreuses heures pour décortiquer tout ce qui pourrait illustrer ce fait, mais il me fallait tout d’abord du moins le suggérer.
Ce qui s’oppose à cela, ce que j’ai laissé transparaître dans mon Appel au peuple allemand et au monde de la culture en 1919[2], c’est l’autre fait devant lequel on s’est toujours bouché les oreilles et qu’on a toujours refusé de croire en Europe du Centre, c’est qu’il faut acquérir une attitude politique sous l’angle de vue de ces grandes tendances politiques mondiales. Il n’a malheureusement pas été possible sur le continent de trouver une seule personnalité pour empoigner cette question et d’établir des mesures sous l’angle de vue que l’on avait affaire à de grandes tendances mondiales.
Voyez-vous, les gens viennent vous dire que vous devez faire de la politique pratique ! Le politicien doit être un homme pratique, nous répète-t-on ! Nombreux sont ceux qui disent que ce qui est fait à Stuttgart avec cette tripartition, ce « Kommende Tag » etc., n’est que sottise d’idéalistes, que ces gens sont tous des idéalistes non pratiques ! Or placez ces gens devant votre âme et voyez comme il est tout à fait patent que ce seront les mêmes qui, si nous avons de la chance, je m’exprime ainsi, de réussir quelques réalisations pratiques, ne tarderont pas, alors qu’ils ont proclamé jusqu’ici que tout cela était irréaliste, de s’exclamer avec toute leur capacité rhétorique que voilà enfin quelque chose, et qu’ils s’emploieront même à le propager tout autour d’eux. Vous verrez que ces choses mal-pratiques deviendront subitement pratiques. C’est là le seul point de vue qui règne chez ces gens. Ce dont il s’agit sans arrêt est la chose suivante : reconnaître qu’il faut considérer les choses à leur origine et que ce que les « gens pratiques » théoriques déclarent être mal pratique est souvent ce qu’ils recherchent comme base pour leur propre pratique. Ils se refusent simplement à approcher et restent donc incompétents devant ce qui se déroule en réalité.
C’est à peu près cette « pratique-là » qui a guidé les politiciens d’Europe. On ne peut guère le dire autrement. Il s’agit donc véritablement de reconnaître que la nullité, le point zéro de cette politique fut la tragique situation de l’Europe du Centre, alors que des décisions fatidiques devaient être prises. Ce dont il s’agit est donc d’admettre qu’il est absolument nécessaire d’atteindre une vue élevée et ample, pour une politique portée par l’esprit. Il ne sera pas possible sans cela de sortir de la confusion actuelle. Sans nous décider à cela, il n’arrivera jamais que ce que nous voyons se passer sous nos yeux. (...)
[1] séminaire d’histoire : du 12 au 23 mars 1921 eut lieu un séminaire, à l’université libre anthroposophique, donné par W.J. Stein, Karl Heyer et Eugen Kolisko.
[2] Il s’agit de l’Appel au peuple allemand et au monde culturel, retranscrit dans Éléments fondamentaux pour la solution de la question sociale, GA 23 (EAR).
[Caractères gras et italique S.L.]
Rudolf Steiner
Ci-dessous, un copier-coller d'une page du site web "Les Crises" que nous reproduisons tant le contenu nous semblant éclairant et pertinent : https://www.les-crises.fr/stratfor-les-etats-unis-veulent-empecher-lalliance-germano-russe/
Stratfor : Les États-Unis veulent empêcher l’alliance germano-russe
Voici le Discours de George Friedman géopoliticien américain pour Stratfor devant le Chicago Council, le 4 février 2015. Il indique que le gouvernement américain considère comme but stratégique suprême la remise en cause d’une alliance russo-allemande. Un tel bloc serait, en tant que puissance mondiale alternative, le seul en mesure de contester aux États-Unis leur position dominante.
En résumé : 1 – L’Europe n’existe pas Transcription de la vidéo par le site les-crises.fr: George Friedman : La préoccupation primordiale des États-Unis, pour laquelle nous avons livré des guerres depuis un siècle – la Première, la Seconde, la guerre froide – a été la relation entre l’Allemagne et la Russie. Car, unies, elles sont la seule force qui pourrait nous menacer. Et pour être sûrs que cela n’arrive pas. Je dis cela en tant que victime possible du terrorisme islamique : cela arrivera. Même si nous consacrons tous nos efforts à l’empêcher, nous échouerons. Par conséquent, si nous faisons ce que nous avons fait en une décennie après le 11 septembre, c’est-à-dire nous concentrer totalement sur ce problème au détriment de tout le reste – au point que notre armée ne puisse pas se battre sans avoir de sable sous ses pieds, elle n’en a pas l’habitude. Il existe de plus grands dangers pour les États-Unis. C’est très difficile de dire à un pays qui a été frappé par le 11 septembre de bien le prendre, et aucun gouvernement ne le peut. Mais la discipline de gouvernance, c’est cela, à la fois rassurer la population en lui disant que vous faites tout ce que vous pouvez, en sachant que ce n’est pas vrai. Vous faites tout ce que vous pouvez raisonnablement faire. Et notre gouvernement – il faut se rappeler que les États-Unis sont comme un adolescent de 15 ans, ils sont maniaco-dépressifs. Le matin tout est paix, amour, bonheur, le soir ils sont suicidaires parce que leur meilleur ami ne les aime plus. Nous sommes un très jeune empire. Nous ne voulons même pas penser à l’idée d’être un empire. Nous voulons rentrer chez nous et, voyez-vous, faire des rêves libertaires. Cela n’arrivera pas. Mais cela nous prend beaucoup de temps d’atteindre la maturité. George Bush ne se doutait absolument pas que sa présidence tournerait autour du 11 septembre, et il n’avait aucune idée de la façon d’y répondre, et ses opposants non plus. Barack Obama a décidé qu’il pouvait prétendre que cela n’existait pas. Que s’il était gentil, ils n’essaieraient pas de le faire sauter. Il nous faut trouver un modèle de gouvernance qui combine une république américaine avec ce qu’elle n’a jamais voulu être. Mais nous sommes presque le quart de l’économie mondiale, nous allons mettre les gens sacrément en rogne. Nick Brand : Bien, juste en bas au premier rang, Phil Levy, notre chercheur émérite en économie globale. Philip Levy : Merci pour vos remarques, c’est très intéressant. Pendant que le monde entier discute du comportement des États-Unis, j’espérais que vous pourriez aborder ce que devrait être la politique américaine vis-à-vis de la crise financière en Europe. Je vais vous poser cette question parce que nous somme à huis-clos, mais de toute évidence cela semble avoir tendu la plupart du temps vers l’encouragement et la stimulation économique. Dans votre exposé, vous exprimez un certain scepticisme sur ce que produirait la stimulation. Comme nous pouvons le constater, cela revêt évidemment une grande importance pour nous. Quelle devrait être la politique américaine ? George Friedman : La politique américaine devrait être de rester le plus loin possible, éventuellement d’adopter une loi interdisant à toutes les banques américaines d’avoir des devises européennes. Nous ne pouvons pas le faire mais cela serait une bonne idée. L’Europe est trop vaste pour que les États-Unis y fassent quoi que ce soit. Et les européens sont trop sophistiqués pour avoir besoin de conseils. Le problème de l’Europe n’est pas comme si elle cornaquait un pays du tiers-monde et qu’elle ne savait pas comment s’y prendre ; le problème est une profonde contradiction entre les intérêts de diverses régions d’Europe, ce qui a mené à une impasse politique. Il est inconcevable que les États-Unis puissent avoir assez d’argent pour résoudre le problème s’ils le voulaient, et il est insensé que les États-Unis l’aient même envisagé. En ce qui concerne les conseils sur la politique économique, les européens n’accepteront pas de conseils venant des États-Unis. Moi-même, je n’accepterais pas de conseils en politique économique venant des États-Unis. Le problème ici n’est pas que les gens n’ont pas de politique économique, c’est que cette situation impossible ne peut pas être résolue avec le paradigme dans lequel les européens travaillent. Ils changeront de paradigme une fois que la City se sera effondrée. Mais ils n’ont pas la volonté politique de faire face à l’irrationalité de la situation et de se pencher sur le fait que l’Allemagne ne peut pas exporter 50% de son PIB. En tout cas pas la moitié de celui-ci vers l’Europe. Et donc cela n’arrivera pas et c’est une des raisons pour lesquelles personnellement la politique ne m’intéresse pas. La politique étrangère, c’est ce que vous auriez aimé voir arriver, l’histoire, c’est ce qui arrive réellement. Et, vous voyez, très rarement la politique étrangère arrive à faire un trou en un. Ce que j’essaie de comprendre c’est ce qui va arriver. Vous voyez, si j’étais vraiment intelligent, je serais riche. Il est certain que je ne donnerais pas de conseil aux européens sur la manière de s’enrichir. Nick Brand : Question suivante s’il vous plait. Oui, tout au fond là-bas. Question : Étant données les faiblesses que vous décrivez à la fois en Europe mais aussi en Asie du sud-est, et probablement en Asie orientale elle-même, est-il approprié ou même réaliste que nous continuions à repousser les frontières de l’« empire américain » si vous voulez, jusqu’au-delà de la zone de ces problèmes internes ? George Friedman : Les États-Unis ont un intérêt fondamental. Ils contrôlent tous les océans du monde. Aucune puissance n’a jamais fait cela. Grâce à cela nous avons la possibilité d’envahir les gens et ils n’ont pas la possibilité de nous envahir. C’est une très bonne chose. Maintenir le contrôle de la mer, le contrôle de l’espace est le fondement de notre pouvoir. Le meilleur moyen de vaincre une flotte ennemie c’est de ne pas la laisser se construire. La façon dont les britanniques sont arrivés à être certains qu’aucune puissance européenne ne puisse construire de flotte a été de s’assurer que les européens se sautent à la gorge entre eux. La politique que je recommanderais, c’est celle qu’a adoptée Ronald Reagan vis-à-vis de l’Iran et de l’Irak. Il a financé les deux côtés pour qu’ils se combattent entre eux et qu’ils ne nous combattent pas nous. C’était cynique, ça n’était certainement pas moral, ça a marché et c’est le but : les États-Unis ne peuvent pas occuper l’Eurasie. Dès lors que la première botte touche le sol, le différentiel démographique fait que nous sommes totalement surpassés en nombre. Nous pouvons vaincre une armée, mais nous ne pouvons pas occuper l’Irak. L’idée que 130 000 hommes pouvaient occuper un pays de 25 millions… et bien la proportion de policiers par citoyen à New-York était plus grande que ce que nous avons déployé en Irak. Donc nous n’avons pas la possibilité de traverser mais nous avons bien la possibilité, premièrement, de soutenir diverses puissances concurrentes pour qu’elles se concentrent sur elles-mêmes, avec un soutien politique, un peu de soutien économique, du support militaire, des conseillers, et in-extremis de faire ce que nous avons fait au Japon [NdT : il se corrige] au Viêt Nam, en Irak et en Afghanistan : des attaques de désorganisation. L’attaque de désorganisation n’a pas pour but de vaincre l’ennemi. Elle est destinée à le déséquilibrer. Ce que nous avons fait dans chacune de ces guerres, en Afghanistan par exemple, c’est d’avoir déséquilibré Al-Qaïda. Le problème que nous avons, puisque nous sommes jeunes et stupides, c’est qu’après les avoir déséquilibrés, au lieu de dire ok, bon travail, on rentre à la maison, nous avons dit « bon, c’était facile, pourquoi ne pas construire une démocratie ici ? » C’est à ce moment que la démence a commencé. Par conséquent, la réponse est que les États-Unis ne peuvent pas constamment intervenir partout en Eurasie. Ils doivent intervenir de manière sélective et très rarement. C’est le cas extrême, nous ne pouvons pas, comme première étape, envoyer des troupes américaines. Et lorsque nous envoyons des troupes américaines nous devons véritablement comprendre ce qu’est la mission, s’y limiter, et ne pas développer toutes sortes de délires psychotiques. Donc espérons que nous ayons appris cela cette fois-ci. Il faut du temps pour que les enfants apprennent leurs leçons. Mais je pense que vous avez tout à fait raison, nous ne pouvons pas, en tant qu’empire, faire cela. La Grande-Bretagne n’a pas occupé l’Inde. Elle a pris plusieurs états indiens et les a tournés les uns contre les autres, et a fourni quelques officiers britanniques pour une armée indienne. Les romains n’ont pas envoyé de vastes armées. Ils ont placé des rois comme, vous savez, pleins de rois différents, créés sous l’autorité de l’empereur. Et ces rois étaient responsables du maintien de la paix. Ponce Pilate en était un exemple. Donc les empires qui sont directement gouvernés par l’empire, comme l’empire Nazi, ont échoué. Personne n’a autant de pouvoir. Il faut un certain niveau d’habileté. Cependant notre problème n’est pas encore celui-ci. En fait, notre problème est d’admettre que nous avons un empire. Donc nous ne sommes même pas encore arrivés au point où l’on ne pense qu’il ne nous reste plus qu’à rentrer à la maison et ça sera terminé, mission accomplie. Et donc nous ne sommes même pas prêts pour le chapitre 3 du livre. Nick Brand : Question suivante s’il vous plait. Oui, le monsieur ici au 4ème rang. Question : Donc je déduis de vos commentaires que l’Euro en tant que monnaie ne survivra pas. A quoi cela ressemblerait-il et à quelle vitesse cela se produirait-il ? George Friedman : Le modèle a été établi par les hongrois. Les hongrois ne sont pas dans l’Euro mais ils ont souscrit des prêts hypothécaires libellés en Yen, en Franc suisse et tout le reste. Quand le Forint est parti en cacahouète, le gouvernement hongrois a défendu ses « otthons » [NdT : « foyers », en hongrois dans le texte] et a dit : nous allons vous rembourser en Forint. Et vous aurez 50 cents par dollar, copie-carbone grossière mais globalement cela. Ou alors vous n’aurez rien. Rappelez-moi demain matin, faites-moi savoir ce que vous voulez. Les banques européennes se sont écrasées et ont pris ce qu’elles pouvaient avoir : c’est cela que la Grèce va faire. Ils vont vous faire une offre que vous ne pourrez pas refuser. Rappelez-vous que l’Allemagne est terrifiée à l’idée que quelqu’un quitte la zone de libre-échange. C’est la terreur de l’Allemagne. Il n’y a pas de meilleure bluffeuse que Frau Merkel. Elle m’enfume et tout le monde avec. Mais la vérité c’est que c’est elle qui a la main la plus faible. Parce que c’est elle qui dépend des exportations. Et les autres ne sont pas sûrs de vouloir rester dans la partie. Si elle fait sortir un pays de l’Euro qu’est-ce qui les empêche de la faire sortir de la zone d’échange ? Elle le sait, c’est pour cela qu’elle va toujours droit sur le rebord avant de revenir. Les grecs le savent, c’est pour cela qu’ils vont la pousser contre le mur. Son point faible est en train d’apparaître à tous les européens. Comment cela va-t-il se passer ? Les grecs vont imprimer de la Drachme pendant la nuit, dont la valeur nette vaudra Dieu sait combien, et ils vont faire une offre. Et l’offre sera ou vous prenez cela, ce sera un plan d’allégement structuré de la dette , ou alors nous ne paierons pas du tout. Rappelez-vous que le débiteur doit beaucoup d’argent. Quel était le vieux dicton ? « Si je vous dois 100 dollars vous me tenez, si je vous dois un milliard de dollars c’est moi qui vous tiens. » Qu’est-ce que ces banques vont faire ? Et le problème en Europe, c’est que si vous les faites sortir de la zone Euro vous toucherez encore moins qu’en restant. Je soupçonne que l’Euro va survivre. Mais je soupçonne aussi que quelque part en Europe il y ait un bâtiment qui abrite le bureau de la Société des Nations, qui n’est jamais tout à fait abolie. Et je suis sûr qu’il ne sert plus à rien. En Europe, les institutions se maintiennent bien après avoir perdu leur fonction. L’Allemagne n’aura pas un Mark, elle aura un Euro. Combien d’autres pays seront là, je ne le sais pas. Mais le chemin de la sortie a été trouvé par les hongrois et la prochaine étape est le retour de la Drachme. Et la vraie question est qu’est-ce que les banques vont faire ? Que pouvez-vous faire ? Elles ne peuvent pas parler de risques moraux parce qu’elles ont déjà racontées ça en Argentine. Je veux dire qu’elles savent déjà, toute l’Europe sait, que faire faillite, que ce soit l’Argentine ou American Airlines, ne signifie pas la fin du monde. Et les allemands ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour rendre plus attirant un sauvetage plutôt que pas de sauvetage. Maintenant qu’ils le fassent en Euro ou dans une autre monnaie est moins intéressant que le fait qu’ils vont faire défaut. Et la question est : comment ce sera géré ? Nick Brand : Nous avons le temps pour peut-être une question de plus. Nous avons pris beaucoup de questions de la part d’hommes ce soir, est-ce qu’il y a des femmes avec des questions qui voudraient… Oui, la Consule générale de Croatie. George Friedman : Croatie. [NdT : Il dit une phrase, probablement en hongrois.] Nick Brand (à celui qui porte le micro) : Steven, c’est elle la Consule de Croatie. Consule générale de Croatie : Oui, je pense qu’ayant étudié l’histoire vous vous rappelleriez si vous aviez vécu en union personnelle pendant 700 ans environ, et les gens parlent yougoslave ils ne parlent jamais le croate-hongrois, après avoir passé 7 siècles ensemble. Excusez-moi, je m’égare. Est-ce qu’il est dans l’intérêt US de se passer de la Russie en tant que puissance européenne ? George Friedman : Est-ce que je pourrais… je ne vous ai pas entendu je pense. Consule générale de Croatie : Est-ce qu’il est dans l’intérêt américain de se passer de la Russie en tant que puissance européenne ? George Friedman : Avec la Russie en tant que puissance Européenne ? Consule générale de Croatie : Oui, je suis juste curieuse. Comment prévoyez-vous l’architecture une fois que cela aura implosé ? Qu’est-ce qu’il arrivera ? C’est un scénario effrayant, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? George Friedman : Rappelez-vous la structure de l’Europe ; tracez une ligne de Saint-Pétersbourg à Rostov. A l’ouest vous avez la péninsule européenne, à l’est se trouve la Russie. Personne n’a jamais occupé de façon permanente la Russie. Mais la Russie a toujours avancé vers l’ouest. A présent, elle est au point le plus éloigné à l’est. La ligne, accessoirement, correspond grosso modo à la frontière avec les états baltes, la Biélorussie et l’Ukraine. La question sur la table pour les russes est : vont-ils maintenir une zone tampon qui serait au moins neutre, ou est-ce que les occidentaux vont pénétrer si loin en l’Ukraine qu’ils seront à 100 kms de Stalingrad et à 500 kms de Moscou ? Pour la Russie, le statut de l’Ukraine est une menace existentielle. Et les russes ne peuvent pas renoncer. Pour les États-Unis, dans le cas où la Russie s’accrocherait à l’Ukraine, où s’arrêtera-elle ? Ce n’est donc pas un accident si le Général Hodges, qui a été nommé pour porter le chapeau dans toute cette histoire, parle de pré-positionner des troupes en Roumanie, Bulgarie, Pologne et dans les états baltes. C’est l’Intermarium [NdT : la Fédération Międzymorze] de la mer Noire à la Baltique dont Piłsudski a rêvé. Pour les États-Unis, c’est la solution. Le problème auquel nous n’avons pas de réponse, c’est : que va faire l’Allemagne ? Par conséquent, le véritable joker en Europe serait, qu’alors que les États-Unis construisent un cordon sanitaire [NdT : en français dans le texte], pas en Ukraine mais à l’ouest, et que tandis que les russes essaient de monter une stratégie pour influencer les ukrainiens afin qu’ils les rejoignent, nous ne connaissons pas la position des allemands. L’Allemagne est dans une position très particulière, son ancien chancelier Gerhard Schröder est au conseil de surveillance de Gazprom, ils ont une relation très complexe avec les russes. Les allemands eux-mêmes ne savent pas quoi faire. Ils doivent exporter, les russes peuvent absorber les exportations. D’un autre côté, ils perdent la zone de libre-échange. Ils doivent construire quelque chose de différent. Pour les États-Unis la peur primordiale est le capital russe, la technologie russe, je veux dire la technologie allemande et le capital allemand, les ressources naturelles russes, la main-d’œuvre russe… C’est la seule combinaison qui depuis des siècles flanque la trouille au États-Unis. Par quoi cela va se traduire ? Et bien, les USA ont déjà mis leurs cartes sur la table, c’est la ligne des états baltes à la mer Noire. Pour les russes leurs cartes ont toujours été sur la table. Il doivent avoir au moins une Ukraine neutre, pas une Ukraine pro-occidentale. La Biélorussie, c’est autre chose. Maintenant, celui qui me dira ce que les allemands vont faire pourra me raconter les vingt prochaines années de l’Histoire. Mais malheureusement, les allemands ne se sont pas décidés. Et c’est toujours le problème avec l’Allemagne. Économiquement énormément puissante, géopolitiquement très fragile et ne sachant jamais vraiment comment réconcilier les deux. Depuis 1871, c’est la question allemande, la question fondamentale de l’Europe. Donc pour répondre à ma loyale collègue de 700 ans d’empire, lorsque la Hongrie et la Croatie étaient unies, je n’ai pas pensé que vous ayez tellement aimé : pensez à la question allemande, parce qu’elle se pose à nouveau. C’est la prochaine question que nous avons à aborder. Ou que nous n’avons pas à aborder – nous ne savons pas ce qu’ils feront. Contexte : Le politologue américain George Friedman est le chef du think tank de renseignement « Stratfor Global Intelligence » qu’il a fondé en 1996. Le siège de Stratfor se trouve au Texas. Stratfor conseille dans le monde 4 000 entreprises, personnalités et gouvernements, rapporte le New York Times. Parmi eux figurent entre autres « Bank of America », le département d’état américain, Apple, Microsoft et Lockheed Martin, Monsanto et Cisco pour les questions de sécurité. En décembre 2011 le système informatique de Stratfor fut l’objet d’une cyber-attaque, à la suite de laquelle 90 000 noms, adresses, numéros de carte de crédit avec mot de passe, de clients de Stratfor furent publiés sur le net. L’attaque était le fait du hacker Jeremy Hammond, démasqué par la suite. Toutefois on apprendra plus tard qu’un collaborateur du FBI a incité Hammond à commettre cette attaque. Le FBI avait connaissance de toutes les étapes de l’attaque. Friedman a publié en 2009 un livre intitulé « The Next 100 Years » (Les 100 prochaines années), dans lequel il procède à un certain nombre de déclarations concernant la politique sécuritaire du 21e siècle. Entre 2020 et 2030, la Turquie, la Pologne et le Japon deviendront, avec le soutien des États-Unis, des puissances régionales. Durant la même période, un bloc pro-américain formé par plusieurs états se constituera en Europe de l’Est. La Russie et l’UE, quant à eux, s’effondreront. Source : Deutsche Wirftschafts Nachrichten, 17/03/2015 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source. |
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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- Tous les matins brille le cirage de la chaussure cosmique, ou la prétention d’avoir un jugement sur la totalité du monde à partir des seules lois de la physique, de la chimie, de la biologie
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- Comment pouvons-nous contrebalancer consciemment les instincts antisociaux, qui se développent naturellement, par des instincts sociaux ?
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- Le processus que nous connaissons plus immédiatement et plus intimement que tout autre processus du monde: notre penser
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- De la nature abstraite des concepts
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