Extrait du cycle de conférences « Nature et destin de l'homme - Évolution du monde »
6ème conférence - Christiana (Oslo), 21 mai 1923
Rudolf Steiner – GA226
(…) Sous l'influence du matérialisme de notre époque, on a toujours plus tendance à organiser le travail scolaire en se basant sur le corps physique. On teste ainsi la mémoire, la volonté, la pensée. Je ne m'élève pas là-contre, cela est fort intéressant pour les spécialistes, mais s'en servir pour orienter la pédagogie est quelque chose d'affreux. Ainsi, il apparaît que la nature humaine nous est devenue tout à fait étrangère, puisque pour comprendre un enfant nous devons le tester. Si nous étions intimement unis à sa nature, nous n'aurions pas besoin d'expérimenter. Je souligne ici encore une fois que je ne combats pas la psychologie expérimentale. Elle présente un grand intérêt pour les sciences. Mais prise comme fondement de la pédagogie, elle montre seulement combien l’être humain nous est devenu étranger, dès lors que, pour le connaître, nous en faisons un objet d'expérimentation, et que nous n'avons plus avec lui de lien intérieur. Nous devons retrouver la possibilité, par les voies de l'âme et de l'esprit, d'accéder à la connaissance de l'être humain.
Voici par exemple ce qu'on constate. On peut exiger de la mémoire d'un enfant de neuf à dix ans, de sa faculté de souvenir, ou bien trop, ou bien trop peu ; toute propagande en vue de ne pas fatiguer la mémoire peut aussi conduire à l'exercer trop peu. Il faut trouver le juste milieu : ne faire ni trop appel à la mémoire, ni trop peu. Il faut penser par exemple que si nous exigeons dans l'éducation ou l'enseignement trop d'efforts de mémorisation d'un enfant de neuf à dix ans, les suites n'en apparaîtront que plus tard, lorsqu'il aura trente ou quarante ans : il sera rhumatisant ou diabétique[1]. Car si nous avons surchargé la mémoire à un moment défavorable précisément, disons vers neuf ou dix ans, cette surcharge provoquera plus tard une accumulation excessive de déchets de l'assimilation. Et le lien de correspondance entre un âge de la vie et un autre passe d'ordinaire inaperçu. Par contre, si nous ne nourrissons pas assez son souvenir, nous favorisons une disposition marquée aux états inflammatoires de toute sorte. Il est important de savoir comment les états physiologiques à un certain âge sont la conséquence d'états psychiques et spirituels à un âge antérieur.
Je vais citer autre chose encore. Nous faisons par exemple avec des écoliers de huit, neuf, dix ans, une expérience en vue de mesurer la fatigue causée par la lecture. On peut dresser des courbes de la fatigue due au calcul, ou à la gymnastique, et l'on organisera l'enseignement en fonction de ces graphiques, qui sont très intéressants certes pour la science pure, que je salue comme il se doit. Je ne m'oppose en rien à ces procédés, mais pour la pédagogie ils ne servent à rien. Car entre le changement de dentition et la puberté, c'est-à-dire à l'âge de l'école primaire justement, nous n'enseignerons de façon juste que si nous ne faisons pas exagérément appel soit à la tête, soit à l'activité des membres - mais plutôt en nous adressant au système rythmique, à la respiration-circulation. Dans la gymnastique aussi il faut avant tout introduire un élément artistique : le rythme, la mesure.
Ce qui fait de l'eurythmie un si bon facteur d'éducation, c'est qu'elle introduit l'art jusque dans les mouvements de l'enfant. Nous devons de même éviter de surcharger l'activité cérébrale en ne faisant pas trop appel à la pensée, en enseignant à l'aide d'images, en présentant tout sous une forme imagée ; par ce moyen, nous ne nous adressons ni au système nerveux, ni à la motricité, mais surtout au système rythmique, lequel ne connaît pas la fatigue. Pensez que notre cœur doit battre toute la nuit, qu'il bat même quand nous sommes fatigués et que nous reposons. Notre respiration doit s'accomplir inlassablement de la naissance à la mort. Il ne peut être question de fatigue que pour le système moteur, que pour le système neuro-sensoriel, Le système rythmique ne se fatigue jamais. Donc, à l'âge où l'enfant doit recevoir la substance la plus importante pour son âme, on doit organiser l'enseignement en s'adressant à ces forces qui ne se fatiguent jamais. Car en établissant que l'enfant est fatigué plus ou moins par ceci ou par cela, on ne fait que prouver scientifiquement que la méthode employée est mauvaise. Si l'on se conforme à ces courbes, on règle les méthodes d'enseignement sur une base fausse. Il faut savoir que la psychologie expérimentale nous instruit clairement de ce qui n'est pas humain. Ce qui est humain doit être connu de l'intérieur.
Par cette voie, l'étude de l'âme et de l'esprit se joindra à nouveau à la médecine. Elle le faisait dans le passé, elle le faisait si bien que le même mot signifiait guérir et éduquer. On considérait qu'en venant au monde, l'être humain avait besoin d'être soigné. Éduquer, c'était guérir. Ceci sera possible à nouveau quand la connaissance de l'âme et de l'esprit sera suffisamment évoluée pour saisir les choses dans leur réalité profonde aussi. Comme je l'ai dit, exercer trop peu la mémoire donne lieu plus tard à des états inflammatoires; la surcharger provoque l'accumulation des déchets de l'assimilation (…).
[1] NDLR : Il ne faut pas comprendre ici que selon Rudolf Steiner les seules causes du rhumatisme ou du diabète sont à trouver dans une surcharge de la mémoire à l’âge mentionné. Ce n’est pas ce qu’il dit. Merci de ne pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit !
[Caractères en gras : S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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